La voiture tourne à droite et ils pénètrent dans la forêt, par une petite route sinueuse, comme une rivière, et ils sont dans la lumière, qui filtre entre les branches des arbres.
Le petit garçon, Sven, assis dans son siège, sur la banquette arrière, est tout excité :
« Ah ! Je reconnais ! C’est là qu’on avait joué aux chevaliers. Tu te rappelles, papa ? On avait fait une chasse au trésor … On pourra en refaire une ?… »
Papa ne répond pas. Il regarde son fils, dans le rétroviseur, et lui sourit. Il gare la voiture. Ils en sortent.
« Sven, prends ton bonnet ! Ordonne Maud.
– Non … j’ai pas envie …
– Si ! Tu prends ton bonnet !Il fait encore frais … »
Le garçonnet, bien emmitouflé dans sa doudoune, s’élance sur le chemin de sable rose. Les arbres sont hauts, clairs. La forêt sent bon. Sven ressemble à un nain, qui actionne mécaniquement ses petites jambes. Il court vite.
« Attends-nous … » crie Maud.
Elle se tourne vers John. Elle est pâle.
« Je ne peux pas avancer plus vite …
– Ca va aller ? »
Il lui prend la main.
« Oui. Mais je suis fatiguée… »
Il la prend par les épaules et la serre contre lui.
Ils se sont donné la main et marchent, le regard porté vers l’avant, silencieusement. Il n’y a que Sven qui remplisse la forêt de ses exclamations.
« Papa, papa, regarde, c’est là qu’on avait escaladé la Tour Maléfice. Tu te rappelles ? On peut le faire encore ? »
Mais John a si peu le cœur à entrer à nouveau dans les jeux insouciants d’un autre jour. Un autre jour où ne planait pas, sur eux, cette ombre qui s’est abattue, depuis quelques jours, depuis la sortie de la dernière échographie. Et les mots résonnent encore : « La clarté nucale ne disparaît pas … Il se confirme que le fœtus pourrait être atteint de trisomie 21, ou bien d’autres pathologies, sans qu’on puisse, à ce jour, vous en dire plus … » Et puis encore, cette question, terrible à entendre : « Vous êtes sûrs de vouloir garder l’enfant ? » Cette question qui, depuis, ne les a plus quittés, elle, Maud, et lui, les parents de Sven, qui forment une petite famille si heureuse, et qui accueillait la joie de s’agrandir. L’ombre est là.
« Clarté nucale », John n’avait même jamais entendu cette expression auparavant. Quelle ironie du langage que d’avoir placé le mot « clarté » dans une réalité aussi obscure.
Maud est restée debout, calme, ferme. Seulement affaiblie. Douloureuse, aux yeux de John. Ils se sont refermés, l’un et l’autre, dans un silence, obscur, long, comme la traversée d’un tunnel.
John presse la main de Maud dans la sienne. Ils se sont arrêtés sur le chemin. Ils se regardent dans les yeux l’un de l’autre, et John, après avoir soupiré profondément en son esprit, déclare à Maud : « On le garde, n’est-ce pas ? »
Et Maud lui répond :
« Cela n’a jamais fait, en moi, l’ombre d’un doute, John. »
Marc 8 : 12
« Jésus soupira profondément en son esprit. »