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Si le gouvernement civil n’a qu’une seule tâche, une responsabilité inhérente à sa fonction et à son institution divine, c’est bien de protéger par la loi — pleinement et de manière égale — la vie de ses citoyens. Le parlement du Canada a reculé face à cette responsabilité il y a quelques semaines en faisant preuve d’aveuglement et en faisant la sourde oreille à la détresse et aux voix des Canadiens les plus vulnérables.

Le 17 mars, le parlement a officiellement adopté le projet de loi C-7 (bilingue) qui étend l’accès au suicide assisté1 à quiconque souffre d’un handicap, d’une maladie, ou d’une condition pertinente. Le projet de loi a non seulement provoqué la colère des groupes de défense des droits des personnes handicapées, mais aussi la critique répétée des Nations unies (anglais), et la condamnation publique de centaines de médecins(bilingue), de dirigeants des Premières Nations (bilingue), d’universitaires, et de chefs religieux. Dans un geste rare, autant les néo-démocrates (de la gauche politique) que les conservateurs (de la droite politique) ont voté contre le projet de loi du gouvernement libéral.

Que permet exactement la modification de la loi?

Le suicide assisté est légal au Canada depuis 2016 pour les personnes âgées de 18 ans et plus qui ont exprimé le désir de mourir, qui « sont affectées de problèmes de santé graves et irrémédiables » qui lui « cause[nt] des souffrances physiques ou psychologiques persistantes qui lui sont intolérables » et que leur « mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible ».

Le dernier élément était un dispositif de sécurité crucial; il signalait que le suicide assisté ne devrait pas seulement être accessible aux derniers moments de la vie, lorsque le patient souffre de façon intolérable. Une telle loi n’était pas discriminante en soi (quoiqu’elle l’était en pratique) envers les personnes handicapées puisqu’elle était manifestement accessible à toute personne en fin de vie qui souffrait.

Ce que proposait le projet de loi C-7, et ce qui est maintenant inscrit dans le Code criminel aux articles 241.1 à 241.4, est discriminatoire et injuste. La loi élimine le critère de « mort naturelle (…) devenue raisonnablement prévisible » pour le suicide assisté, créant par la même occasion un accès à deux vitesses.

La voie rapide permet aux docteurs de mettre fin à la vie de leur patient le jour même de la demande, si la mort naturelle du patient est « raisonnablement prévisible ». Il convient de noter qu’il n’existe aucune indication sur ce qui est « raisonnablement prévisible ». Dans certaines contestations judiciaires à ce jour, certains médecins ont témoigné avoir interprété un prognostique de 10 ans comme étant une mort « raisonnablement prévisible ».

La voie lente est accessible pour toute personne dont la mort n’est pas  « raisonnablement prévisible ». Tout patient souffrant d’un handicap, d’une maladie, ou d’une autre condition pertinente, peut faire une requête écrite pour mettre fin à ses jours. Le patient entame alors une période d’attente de 90 jours durant laquelle on devrait lui offrir un soutien d’experts dans le domaine spécifique de son handicap ou de sa maladie.

Malheureusement, la loi est ambiguë par rapport au moment où débute ce décompte de 90 jours: est-ce lors de la première discussion sur le suicide assisté, ou lorsque la requête écrite est signée, ou encore lorsque le médecin vérifie si son patient y est éligible, sans que celui-ci en ait connaissance; et recommence-t-il lorsque le patient change d’avis?

C’est à travers cette « voie lente » que les éléments discriminatoires de la loi C-7 sont mis en évidence. Comme le soulève Liz Carr, défenseure des droits des personnes handicapées, « Lorsque des personnes non handicapées parlent de suicide, elles sont découragées et on leur offre une aide préventive… Par contre, lorsqu’une personne handicapée en parle, tout à coup la conversation est supplantée par les mots ‘choix’, et ‘autonomie’… alors que les discussions sur la prévention et le soutien en santé mentale sont rares ».

Si une personne de 18 ans, dépressive, mais autrement en bonne santé, exprime le souhait de mourir, le grand Nous (la famille, la communauté, la médecine, et le système médical) fera tout ce qui est en son pouvoir pour prévenir un suicide. La police arrêtera et détiendra même une personne suicidaire afin de préserver sa vie. Mais si une personne handicapée exprime le souhait de mourir, nous sommes censés l’aider à se suicider. Une ligne d’écoute pour la prévention du suicide prend un tout nouveau sens.

La nouvelle loi supprime d’autres mesures préventives, notamment en diminuant le nombre de témoins requis de deux à un. La loi n’interdit pas non plus quiconque d’offrir de manière proactive le suicide assisté aux patients vulnérables. Elle permet aux patients de renoncer au consentement final à leur propre mort (en pratique, une manière dissimulée de permettre les directives anticipées) et, entrera en vigueur dans deux ans, qui permet le suicide assisté lorsque la maladie mentale (comme la dépression chronique) est la seule condition sous-jacente.

Ces problèmes sont expliqués plus en détail dans un rapport de 7 pages présenté par ARPA Canada (anglais) au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Il y a également des implications terribles pour les médecins, les infirmières praticiennes et les pharmaciens consciencieux, sujet qui nécessiterait un autre article pour l’étayer.

Comment la communauté chrétienne devrait-elle réagir?

Le suicide est toujours une tragédie, même lorsqu’il est fait par injection létale d’un médecin. Mais maintenant, il est librement accessible aux personnes âgées, aux personnes handicapées, et aux personnes gravement malades. Les Canadiens, et particulièrement les chrétiens, devraient être consternés par ce mépris de la vie démontré dans la loi C-7.

Considérez comment les Écritures parlent des handicaps et de la souffrance. En premier lieu, elles enseignent que toute personne, y compris les personnes handicapées, est créée à l’image de Dieu (Gen 1:26-27) et ont donc une dignité et une valeur inhérente. De ce fait, aucune personne innocente ne peut être tuée par la main de l’homme (Gen 9:6; Ex 20:13).

De plus, les handicaps relèvent de la providence de Dieu (Ex 4:11); et donc les personnes handicapées doivent être traitées avec respect et non pas maltraitées (Lév 19:14); et le peuple de Dieu doit parler en faveur de ceux qui sont menés à leur mort, notamment ceux qui ont d’importants handicaps ou des pensées suicidaires (Prov 24:10-12).

Les handicaps et la souffrance offrent une occasion de démontrer l’œuvre de Dieu en nous (Jean 9:1-7), et ils offrent à l’église une occasion de démontrer son amour envers les personnes vulnérables et celles qui souffrent (Luc 14:12-14; cf. Matt 25:31-46). Et Dieu peut utiliser la souffrance pour édifier ses enfants (Jacques 1:2-4; 5:7-11). La souffrance et les handicaps nous mènent à soupirer après la gloire à venir (Rom 8:18; 2 Cor 4:16-18). Et enfin, la souffrance n’est pas inconnue de Christ (Ésaïe 53:1-12); il s’est humilié pour nous et a porté le tourment de la croix et la terreur de l’enfer pour nous. Il connaît la souffrance.

Par conséquent, nous, l’église, devons réfléchir collectivement à la façon dont nous devrions maintenant vivre et travailler, dans un Canada qui a adopté le projet de loi C-7.

Prenons par exemple la question d’appartenance. La douleur physique n’est généralement pas la raison primaire pour laquelle une personne demande le suicide assisté. C’est plutôt parce qu’elle se sent comme un fardeau pour sa famille ou sa communauté, ou parce qu’elle vit de la solitude. Ces deux raisons peuvent être atténuées par l’église.

L’église pourrait développer un plan pour être un endroit accueillant pour les personnes vulnérables, âgées, et handicapées — non seulement pour ceux de notre congrégation, mais aussi pour ceux de notre communauté. Est-ce que les aînés qui habitent à distance de marche de votre église savent que vous voulez être une aide, un ami? Combien de temps votre groupe de jeunes passe-t-il à déblayer les entrées, à jouer à des jeux, ou à faire une promenade avec les aînées de votre église, et ceux de l’extérieur? Votre église est-elle accessible aux fauteuils roulants? Est-ce que vos espaces réservés aux chaises roulantes sont seulement à l’arrière de l’auditorium?

L’église devrait aussi commencer à réfléchir de manière créative à la possibilité de reprendre la pratique de la médecine et de l’hospitalité. Les soins de santé publique sont originalement l’idée de Tommy Douglas, un prédicateur baptiste. Je pense qu’il frémirait s’il savait ce qu’ils sont devenus. La triste réalité est que les médecins consciencieux ont plus de mal à pratiquer la médecine dans ce système. Peut-être est-il temps que nos églises engagent des infirmières et des médecins pour servir les gens de leur communauté.

Dans la lutte contre le projet de loi C-7, nous avons vu de solides alliances entre les groupes laïques de défense des droits des personnes handicapées et les groupes religieux. L’église devrait être prête à amplifier sa voix auprès des communautés pour les droits des personnes handicapées et dire : « Vous êtes les bienvenues ici! Notre église est un endroit sécuritaire pour vous. Lorsque vous êtes à votre point le plus bas, nous ne vous abandonnerons pas ».

L’église devrait également travailler avec ardeur pour s’éduquer sur cette question. ARPA Canada a créé un site Web simple — CareNOTKill.ca (anglais) — pour aider le Canadien moyen à expliquer pourquoi la légalisation du suicide assisté pose problème. Les chrétiens canadiens qui sont le sel et la lumière devraient être au courant de ces enjeux afin d’aider à changer le récit culturel. Les voix des personnes vulnérables sont de doux murmures que l’église doit amplifier.

Et finalement, l’église doit prier. Plusieurs milliers de Canadiens sont déjà morts par suicide assisté, et le nombre augmentera maintenant à un rythme exponentiel. Considérez la possibilité de convoquer une assemblée solennelle dans le but de prier et de jeûner ensemble avec un cœur repentant. Faites-en un événement régulier dans le calendrier de votre église, au moins une fois par année. Et continuez d’être impliqués auprès de ceux qui dirigent et qui ont le pouvoir de faire changer la loi. La loi peut être améliorée lorsque les chrétiens prient et travaillent pour mettre fin à l’injustice.

Le suicide assisté enseigne aux gens à soutenir le désir de mourir d’un membre de leur famille ou de leur ami, plutôt que de soutenir leur vie en répondant à leurs besoins insatisfaits, et en les aidant à trouver un sens à leur vie. C’est ainsi que le suicide assisté entre en conflit avec l’Évangile. L’Évangile reconnaît la réalité du désordre et de la douleur et de l’agonie qui peuvent caractériser cette vie.

Jésus-Christ est entré dans ce désordre pour servir, et guérir, et réconforter, et ressusciter, et visiter, et encourager; et il reviendra un jour pour éradiquer la mort et la maladie et essuyer toute larme de nos yeux. Ceux qui le suivent perpétuent cette tradition en servant les autres d’une manière qui affirme la vie, qui affirme la dignité et qui affirme la personne. Le Canada peut faire mieux, et l’Église doit montrer comment le faire.


1. J’utilise intentionnellement le terme suicide assisté tout au long cet article. Le terme AMM, ou Aide Médicale à Mourir, est utilisé dans le domaine Politico-juridique. AMM est un terme intentionnellement trompeur et profondément euphémique qui brouille les lignes entre les domaines catégoriquement différents de la médecine palliative (qui aide réellement les gens à bien mourir) et le suicide assisté (qui aide intentionnellement un patient à mettre fin à sa vie lorsqu’il exprime le souhait de mourir).
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