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Le refrain de notre hymne national [en anglais] est une prière : God keep our land glorious and free. O Canada we stand on guard for thee (Que Dieu garde notre pays glorieux et libre. Ô Canada, nous veillons sur toi). Dans cette prière, nous ne demandons pas le droit de faire ce que nous voulons, quand nous le voulons, et comme nous le voulons, contrairement à la perception de ce qu’est la liberté, selon notre société moderne.

Nous prions plutôt avec la même définition de liberté qu’avait Lord Acton : « La liberté n’est pas le pouvoir de faire ce que l’on veut, mais le droit de se montrer capable de faire ce que l’on doit ». Lorsque les chrétiens revendiquent en faveur de leurs libertés, ce doit être avec le désir d’être libre de faire ce qu’ils se doivent, non pas pour faire ce que bon leur semble.

Dans cet article, je souhaite donc clarifier comment les chrétiens devraient percevoir leur liberté, ainsi que clarifier comment le gouvernement civil peut, dans certaines circonstances, limiter les rassemblements de personnes. Tout en faisant cela, j’espère maintenir une posture Biblique de respect pour l’autorité civile, tout en affirmant la liberté de l’église d’agir en tant qu’église.

Anarchie vs liberté

Le christianisme a depuis longtemps défendu ce dicton : Non pas l’anarchie ni la tyrannie.

La théologie réformée a spécifiquement soutenu que nous devons être : « gouverné[s] par lois et polices, afin que le débordement des hommes soit réprimé ». Le gouvernement civil s’oppose à l’iniquité et à l’anarchie. Mais le gouvernement civil n’est pas la seule institution qui gouverne notre société : la famille, l’église et l’individu ont l’autorité de Dieu pour gouverner certains domaines de vie particuliers, et ceux-ci ont donc besoin de libertés afin de s’acquitter de ces responsabilités confiées par Dieu.

La décision du gouvernement civil de limiter certaines libertés complique les choses. Durant la pandémie de Covid-19, les chrétiens ont eu plus de mal à accomplir ce que leur commandent les écritures, entre autres de :

  1. prendre soin le leurs parents âgés (Marc 7:9-131 Timothée 5:3-8),
  2. s’occuper des malades (Jacques 5:14),
  3. visiter et encourager les gens seuls (Mattieu 25:34-40; Hébreux 13:1-3),
  4. se rassembler pour adorer Dieu en tant que communauté (Hébreux 10:24-25),
  5. prendre part aux sacrements ensemble (Mattieu 28:19; Luc 22:19Actes 2:42; 22:16),
  6. réconforter ceux qui sont dans le deuil (Proverbes 18:14Romains 12:15),
  7. se réjouir avec ceux qui se réjouissent (Romains 12:15),
  8. aimer les orphelins, les enfants adoptifs et leurs familles (Jacques 1:27),
  9. évangéliser son prochain (Mattieu 28:19-20),
  10.  travailler avec ardeur afin de pourvoir pour les autres (Actes 20:35Ephésiens 4:282 Thessaloniciens 3:10-12),
  11. faire preuve d’hospitalité envers les étrangers (Luc 10:29-37Hébreux 13:2),
  12. accompagner les gens aux prises avec des dépendances (1 Corinthiens 10:13-14Tite 2:12-15Hébreux 4:15-16),
  13. nourrir les affamés (Psaume 112:9; Mattieu 5:42; 19:21), et
  14. prendre soin de ceux qui vivent de la détresse psychologique (1 Corinthiens 12:24-26Galates 6:2).

Comme ces passages le démontrent, Dieu a donné à l’église la responsabilité de prendre soin des malades et des personnes seules et vulnérables. Cela ne veut pas dire que le gouvernement ne peut pas jouer un rôle de soutien dans ces tâches. Mais trop souvent, l’État considère qu’il est le seul à assumer cette responsabilité, ou qu’il est le seul à être suffisamment fiable pour accomplir ces tâches de façon « sécuritaire ». Trop peu d’églises rappellent aussi au gouvernement civil qu’il peut et devrait les consulter en tant que partenaires pour assurer le bien du public, même durant une pandémie.

Lorsque le gouvernement civil limite les droits garantis par la charte

La charte canadienne des droits et libertés doit une part de ce qui est rédigé sur le pouvoir limité de l’état à son héritage chrétien. Le préambule déclare : « Attendu que le Canada est fondé sur des  principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit ». La clause de suprématie de Dieu est censée rappeler à nos législateurs et juges qu’ils sont sous le Législateur ultime et qu’ils ne sont pas l’autorité finale de la société.

Notez aussi la référence à l’état de droit. Dérivé de la tradition chrétienne, entre autre des avertissements de Deutéronome 17 envers les rois Israélites, elle réfère au principe du pouvoir étatique limité. Nous devons être gouvernés, non selon les caprices des rois ou bureaucrates, mais bien selon la loi.

La charte poursuit en décrivant comme « fondamentales » les libertés de religion et d’assemblées pacifiques. Tous les devoirs du croyant énumérées plus haut sont fondés sur la liberté de faire non pas ce que l’on veut, mais ce que l’on se doit. Or, ces libertés fondamentales ne sont pas des droits absolus de la loi canadienne; le gouvernement civil peut les restreindre lorsqu’il est capable de démontrer que les restrictions sont justifiables dans une société libre et démocratique. Notez bien que le fardeau de la preuve pour cette justification n’appartient pas au citoyen ou à l’église, mais plutôt au gouvernement civil.

Violation de la liberté vs justification gouvernementale

Notre situation actuelle est sans précédent dans le droit constitutionnel canadien, il n’y a donc pas de règlement clair par rapport aux violations des libertés et à la justification du gouvernement. La cour Suprême a déclaré que même «  une atteinte au droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne » pourrait être justifiée durant les « urgences nationales », et cela inclus les « épidémies » (R. v. Heywood, 1994).

Toutefois, c’est au gouvernement « qu’il incombe de prouver l’absence de moyens moins attentatoires d’atteindre l’objectif de façon réelle et substantielle » parce que « la privation de droits reconnus par la Charte se limite à ce qui est raisonnablement nécessaire pour atteindre l’objectif de l’État » (Carter v. Canada, 2015). La mise en pratique de cette analyse reste à voir. Alors voici la question à laquelle doivent répondre les législateurs et les juges (et aussi, les dirigeants d’église!):  Dans le contexte actuel de Covid-19, est-ce que l’ingérence du gouvernement civil dans la liberté de l’église à faire son devoir est justifiable?

La justification pour limiter la liberté d’assemblé pacifique, ou la liberté de religion, est fondée dans la section 1 de la Charte, et pour  laquelle la Cour Suprême a élaboré un examen en quatre parties. Toute limitation des droits doit être raisonnable, prescrite par la loi, et justifiée de manière démontrable, dans une société libre et démocratique. Un gouvernement provincial ou municipal doit être en mesure de prouver chacun des quatre éléments suivants :

  • Suffisamment Important (c.-à-d. urgent et substentiel) Objectif : La mesure est-elle « suffisamment important[e] pour justifier la suppression d’un droit ou d’une liberté garantis par la constitution » ? Je crois qu’une pandémie rencontre cette exigence. Je ne crois pas qu’un juge considérerait que les mesures invoquées n’ont pas un objectif urgent: empêcher la propagation d’un virus. Cela dit, la Cour Suprême du Canada a statué que les objectifs ne devraient pas changer. La question est de savoir quel était l’objectif au moment où le projet de loi a été rédigé? Il y a donc effectivement place pour un débat juridique sur cette question : l’objectif était-il « d’aplatir la courbe » dans le but de prévenir le débordement des hôpitaux? La courbe avait été aplati depuis Juin au Canada. Alors pourquoi les restrictions étaient-elles toujours en place à l’automne? L’objectif initial n’était-il pas plus large que cela: de prévenir complètement la propagation du virus? Si tel a toujours été l’objectif, les tribunaux seront probablement du côté des gouvernements par rapport à cette question.
  • Lien Rationnel : Les moyens utilisés (restreindre les assemblées d’églises) sont-ils rationnellement liés à l’objectif? Ou sont-ils arbitraires, injustes, ou irrationnels? Est-il logique de limiter le rassemblement des églises afin de propager une maladie infectieuse? Je crois que le gouvernement rencontrerait aussi cette exigence. Puisque la maladie est extrêmement contagieuse, il est rationnel de limiter l’assemblée de personnes. Cela dit, si d’autres rassemblements non-religieux avaient la permission de se réunir, cela minerait l’élément de lien rationnel. Par exemple, au cours de cette pandémie, de grandes foules extérieures de manifestants n’étaient pas seulement tolérées mais célébrées en personnes par des dirigeants politiques tel que le premier ministre Trudeau et le maire d’Ottawa Jim Watson. Cela a eu lieu en juin, pendant la première vague de la pandémie. À ce moment là en Ontario, le nombre de personnes pouvant se rassembler dans les lieux de culte était limité à 5. Ce type de comportement mine le lien rationnel entre la limite imposée aux assemblées religieuses et l’objectif de la limite.
  • Restrictions Minimales (ou mesures les moins drastiques) : Existe-t-il des mesures moins drastiques qui peuvent contenir la propagation du virus? Pour nous aider avec cette question, nous pouvons observer ce que font d’autres juridictions. La clé consiste à comparer les restrictions imposées aux divers types de rassemblements de personnes. Si l’on fait confiance aux industries pour mettre en place des mesures sanitaires (masques, stations de désinfection des mains, distanciation, etc.) alors on peut présumer que les églises le peuvent aussi. En fait, je ne connais aucun église dans tout le Canada qui n’avaient pas déjà mis en place des limites et mesures sanitaires durant leurs services une semaine même avant que les gouvernements provinciaux ne mettent fin aux réunions de culte. Les églises ont agi (de manière appropriée) en premier et ont prouvé leur fiabilité pour protéger la vie des gens.
  • Effet Proportionnel : L’effet des mesures restrictives « ne doivent pas empiéter sur les droits individuels ou collectifs au point que l’objectif législatif, si important soit-il, soit néanmoins supplanté par l’atteinte aux droits » ( v. Edward Books, 1986). Le spécialiste en droit constitutionnel Peter Hogg l’a reformulé ainsi : « si la violation de la Charte est un prix trop élevé à payer pour le bénéfice de la loi ». Si on applique ce principe à une pandémie, aplatir la courbe de contamination d’un virus spécifique est important, même très important, mais à quel prix par rapport aux libertés et au bien que ces libertés procurent à la société. Cela semble être la vraie question à se poser. Comme la Cour Suprême l’a écrit dans une autre affaire relative à la liberté de religion, « Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’attendre pour agir qu’un préjudice ait été causé, l’existence d’inquiétudes touchant à la sécurité doit être solidement établie pour qu’il soit justifié de porter atteinte à un droit constitutionnel » (Multani v. Commission scolaire Marguerite‑Bourgeoys, 2006).

La situation à laquelle l’église du Canada est confrontée de nos jours est sans précédent d’un point de vue juridique et constitutionnelle. En effet, la justification de limites sévères quand aux libertés due à une maladie contagieuse n’a pas encore été examinée devant les tribunaux canadiens depuis la création de notre pays. À ce stade, nous pouvons seulement faire une estimation éclairée par rapport à la manière dont la Court Suprême pourrait statuer sur ces questions.

En attendant, l’église devrait continuer son dialogue respectueux avec les autorités civiles, tout en argumentant en faveur de la liberté, afin qu’elle puisse continuer ses ministères envers ses membres et la communauté dans laquelle Dieu l’a placée. Peu importe les circonstances, l’église se doit d’être fidèle dans ses responsabilités et son appel devant Dieu.

Cet article a été initialement publié sur The Gospel Coalition. La traduction est publiée ici avec permission.

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