Le Cantique des cantiques de Salomon a été célébré comme le plus grand des poèmes d’amour jamais écrit. Et pourtant il est notoirement difficile à comprendre. Au long des siècles les commentateurs ont divergé sur quelques questions de base quant à son interprétation : Est-ce un seul poème avec une intrigue cohérente, ou une anthologie de multiples poèmes d’amour indépendants ? Combien de personnages principaux y a-t-il ? Quel est le rôle de Salomon dans le Cantique ? Une question particulièrement importante pour les lecteurs chrétiens est la suivante : comment relier ce Cantique au Christ ?
Historiquement, la plupart des interprètes chrétiens et juifs ont favorisé une approche allégorique de ce Cantique considérant le texte comme visant symboliquement une vérité plus profonde et spirituelle. Pour bien des lecteurs juifs, l’amant et la bien-aimée du Cantique ont été compris comme représentant Dieu et le peuple de son alliance, Israël. Et, au moins depuis l’époque d’Origène d’Alexandrie au troisième siècle, la plupart des lecteurs chrétiens ont compris le Cantique comme symbolisant la relation de Christ soit avec l’âme individuelle soit avec l’église corporativement.
À quelques exceptions près, l’approche allégorique a prévalu jusqu’au XIXe siècle. Avec l’essor de l’érudition moderne, l’accent a été mis de nouveau sur le sens littéral du texte, ainsi que sur la méfiance à l’égard des lectures allégoriques. En conséquence, de nombreux commentateurs considèrent aujourd’hui que le Cantique n’est rien d’autre qu’une expression de l’amour sexuel entre un mari et une femme. Ils affirment souvent qu’une approche allégorique ne peut être justifiée par le texte lui-même, et qu’une telle approche en dit probablement plus sur la pudeur des lecteurs chrétiens traditionnels lorsqu’il s’agit de la question de la sexualité.
Mais que faire si nous ne devons pas opposer les lectures traditionnelles et modernes ? Et s’il était possible de considérer le Cantique à la fois comme une célébration de l’intimité conjugale et comme une allégorie du Christ et de l’église ? Un nombre croissant d’évangéliques, tels que James Hamilton et Alastair Roberts, soutiennent aujourd’hui que le Cantique lui-même invite à une telle approche.
Marier le littéral et l’allégorique
Je voudrais ici vous donner trois raisons de l’évidence qu’il nous faut marier la lecture littérale et la lecture allégorique.
1. Sa place dans un canon centré sur Christ
Les chrétiens reconnaissent que la Bible, bien que écrite sur une période de plusieurs siècles par de nombreux auteurs humains différents, est inspirée par un seul Auteur divin avec un unique projet qui la domine de bout en bout. La Bible est fondamentalement une histoire qui nous conduit vers Christ. Christ lui-même traitait l’Écriture de cette manière. Par exemple, quand il parlait avec les disciples sur le chemin vers Emmaüs, Jésus a déclaré que la totalité de l’Ancien Testament pointait vers lui (Luc 24:27 ; cf. Jean 5:46). Puisque le Cantique des cantiques fait partie du canon de l’Écriture, il est approprié pour nous de nous demander comment ce texte pointe vers Christ.
Nous pouvons aussi considérer les façons dont le Cantique a un écho dans les écrits postérieurs du Nouveau Testament. Même s’il est vrai que le Nouveau Testament ne contient pas de citation directe du Cantique (à l’exception possible, mais objet de controverse, de Jean 7:38 citation de Cant. 4:15), il existe un certain nombre d’allusions qui manifestent fortement l’influence du Cantique. Par exemple, on peut comparer le fait que l’amant frappe à la porte de sa bien-aimée (Cant 5:2) avec les paroles de Christ : « Voici je me tiens à la porte et je frappe » (Apo. 3:20). L’image de Christ comme l’ « époux » (Matt. 25:1–13;Jean 3:29; cf. Apo. 19:6–9) fait aussi écho au Cantique. Certains interprètes ont aussi noté des connections verbales étroites entre l’utilisation par la femme du parfum du nard (Cant. 1:12) et l’onction par Marie de Jésus avec un parfum de nard (Jean 12:1–3), de même entre les paroles de la femme cherchant son bien-aimé (Cant. 3:1–5) et Marie de Magdala cherchant Christ au tombeau vide (Jean 20:1–18).
Si les auteurs du Nouveau Testament comprenaient et appliquaient les thèmes du Cantique dans une direction christologique, alors nous pouvons faire légitimement de même.
Si les auteurs du Nouveau Testament comprenaient et appliquaient les thèmes du Cantique dans une direction christologique, alors nous pouvons faire légitimement de même.
2. Des indices dans le Cantique lui-même
James Hamilton identifie trois aspects du Cantique qui nous dirigent vers Christ : son cadre, son intrigue et son héros.
Les deux lieux qui forment le cadre sont un jardin et Jérusalem, la cité de David. Cela correspond à l’histoire générale de l’Écriture, qui commence dans un Éden non cultivé et se termine dans la nouvelle Jérusalem, montrant la trajectoire de l’humanité telle que Dieu l’a voulue. Le Cantique est également un livre multisensoriel, rempli d’épices et de fruits qui plongent le lecteur dans un environnement rappelant l’Éden. En fait, dit Hamilton : « Ce qui se rapproche le plus du retour au jardin d’Éden dans le reste de la Bible, c’est la poésie du Cantique des Cantiques ».
L’intrigue du Cantique des cantiques parle de la poursuite et de la consommation de l’amour entre un mari et une femme, et pourtant leur intimité n’est interrompue ni par la honte, ni par l’hostilité introduite par la chute
Le héros du Cantique est Salomon (ou au moins une version idéalisée de Salomon), le fils de David, qui représente le lien au travers duquel les bénédictions promises à Abraham (Gen. 12:1–3) vont arriver à fructification et déferont les malédictions de Genèse 3. Tous ces aspects du Cantique indiquent un plus grand accomplissement en Christ, le Fils ultime de David, dont l’œuvre salvatrice triomphe du péché et de la honte et nous rétablit dans une communion aimante avec Dieu.
3. Le mystère du mariage lui-même
Il est possible que l’argument le plus fort pour prendre le Cantique dans le sens allégorique est la nature symbolique du mariage lui-même. Tout au long de l’Écriture le mariage est traité comme une métaphore de la relation de Dieu avec son peuple. Le propre mariage du prophète Osée à l’infidèle Gomer était destiné à être une parabole vivante de l’engagement de Dieu envers l’infidèle Israël (Os. 1–2). Israël est ailleurs décrit comme la « bien-aimée » de Dieu (Jér. 11:15; 12:7), avec laquelle il entre dans une alliance de mariage (Ézé. 16:8).
Les mots de Paul en Éphésiens 5 , où il donne des instructions aux épouses pour se soumettre à leurs maris et aux maris pour aimer leurs femmes, sont particulièrement significatifs. Il parle de l’union en une seule chair décrite en Genèse 2:24 et écrit : « Ce mystère est profond, et je dis qu’il fait référence à Christ et à l’église » (Éph. 5:32).
Lorsqu’un mari chrétien remplit fidèlement son rôle pour diriger et aimer sa femme, et lorsqu’une femme chrétienne remplit son rôle pour honorer et respecter son mari, cela expose l’évangile d’une manière telle qu’aucune autre institution humaine ne peut le faire. Par conséquent, nous avons raison de dire que le Cantique des cantiques est une allégorie du Christ et de l’Église, car le mariage lui-même est conçu comme une allégorie du Christ et de l’Église.
Nous avons raison de dire que le Cantique des cantiques est une allégorie du Christ et de l’Église, car le mariage lui-même est conçu comme une allégorie du Christ et de l’Église.
Un manuel pour le mariage amélioré
Quand nous considérons le texte du Cantique dans son contexte canonique, ses propres indices textuels et la nature du mariage lui-même, nous sommes sur un terrain solide pour appliquer ce livre au Christ et à son épouse, l’église.
Cela ne diminue en aucune façon ce que ce livre a à dire au sujet de l’amour sexuel entre un mari et sa femme. En fait, la lecture christologique renforce ce qu’elle dit sur le mariage, en lui donnant une signification qui va au-delà de la satisfaction physique qu’il procure.
Le Cantique des cantiques est un magnifique rappel du fait qu’un mariage pieux reflète l’amour passionné du Seigneur pour son propre peuple.