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Dans les discours d’aujourd’hui sur l’accompagnement spirituel ou la relation d’aide – ou plus largement sur les relations fraternelles ou tout simplement humaines – il est courant d’entendre parler d’accueil inconditionnel, d’amour inconditionnel ou encore de non-jugement. Ces notions assez radicales sont d’autant plus difficiles à remettre en question qu’elles paraissent contenir la réponse parfaite à toutes les mesquineries du passé. Quiconque voudrait s’interroger sur leur véritable pertinence donnerait l’impression de vouloir s’attaquer à l’Evangile lui-même. Qu’est-ce à dire ?

1) Le contexte

Ces expressions ont connu leur terrain d’envol dans des contextes définis, celui de l’action sociale, celui de la psychanalyse ou encore celui d’une certaine théologie empreinte de sociologie et de psychanalyse. Parler d’accueil inconditionnel dans le domaine social, c’est s’assurer qu’on n’usera pas de discrimination dans l’aide à apporter aux personnes en difficulté. Cette disposition est très heureuse. Parler de non-jugement en psychanalyse, c’est offrir la possibilité à celui qui parle de tout dire sans recevoir ipso facto une leçon de morale ; tout dire, tout entendre, pour pouvoir comprendre et si possible aider. Cela peut s’avérer très précieux. Parler d’amour inconditionnel c’est, en théologie, se référer à l’amour immérité de Dieu (ce n’est pas en raison de nos qualités ou de nos œuvres), ou encore à l’assurance du salut que peut avoir celui qui croit en Jésus-Christ. Parlant des brebis de son troupeau, Jésus dit : Je leur donne la vie éternelle, elles ne périront jamais et personne ne les ravira de ma main (Jn 10.28).

Ainsi, ces trois expressions ont-elles une réelle légitimité dans un certain contexte, jusqu’à un certain point, et il serait dommage de les rejeter purement et simplement. Ce qui pose question, par contre, c’est l’emploi généralisé de ces formules, leur utilisation… inconditionnelle.

2) Les contre-exemples bibliques

Que l’amour de Dieu soit immérité, c’est un fait qui ne peut se contredire. Que l’amour de Dieu soit inconditionnel, cela est loin d’aller de soi, si on entend l’amour de Dieu d’une manière générale. Quand le Psaume 1er recommande de ne pas s’asseoir sur le banc des moqueurs, on n’y voit pas l’expression d’un accueil ou d’un amour inconditionnels. Quand Jésus parle d’une porte large qui conduit à la perdition (Mt 7.13), il sous-entend sans ambiguïté qu’il y a une manière de vivre qui exclut l’amour de Dieu.

En somme, il n’y a jamais de mérites, mais il y a des conditions qui sont imposées par les termes de l’alliance que Dieu offre et dans laquelle Il s’engage. Si mon peuple sur qui est invoqué mon Nom s’humilie, prie et me cherche… (2 Ch 7.14) : cette parole fait bien apparaître une condition. Tout ne revient pas au même. En réalité, on trouve beaucoup de conditions dans la Bible qui ne nient pas la réalité de la grâce : elles en indiquent au contraire le chemin.

Jean-Baptiste a-t-il accueilli tous ceux qui se sont approchés de lui ? Il a parlé sévèrement à certains, les appelant races de vipères (Mt 3.7). Jésus a-t-il accueilli tous ceux qui se sont tenus devant lui ? La réponse est non. Etait-ce un manque d’amour ? Alors qu’il est sur la croix, Jésus est entouré par deux malfaiteurs qui, tous les deux, s’adressent à lui. Un seul sera accueilli ; à l’autre, Jésus ne dira pas même un mot.

3) Juger ou ne pas juger ?

Le verbe juger est assez souvent utilisé dans la Bible, tantôt avec le sens positif de discerner, tantôt avec le sens négatif de mépriser ou condamner. Le nombre d’emplois positifs est très nettement supérieur. Avec Moïse jugeant le peuple, bientôt secondé pour cela par les anciens (Ex 18.13, 21-23) ;avec Salomon qui, pour ce faire, recevra de Dieu la sagesse et l’intelligence (2 Ch 1.11), nous comprenons que juger signifie exercer un discernement en vue d’aider. C’est dans ce sens que Paul demandera aux Corinthiens s’il n’y a pas parmi eux un homme sage qui puisse juger (départager) entre ses frères, plutôt que d’avoir des querelles (1 Co 6.5).

Mais n’est-il pas écrit aussi qu’il ne nous convient pas de juger (Mt 7.1 ; Ro 14.10) ? Cela est écrit, et le mot grec est le même. Mais le contexte montre, dans ce cas, que celui qui exerce un jugement ne le fait pas de la part de Dieu (ce qui est légitime), mais à la place de Dieu (ce qui ne convient pas). Cela apparaît clairement quand Paul écrit : Mais toi, pourquoi juges-tu ton frère ? Ou toi, pourquoi méprises-tu ton frère ? puisque nous comparaîtrons tous devant le tribunal de Christ (Ro 14.10-11).

Il est significatif de voir que peu après avoir dit de ne pas juger (à la place de Dieu), Jésus recommande de ne pas donner les choses saintes aux chiens, de ne pas jeter les perles aux pourceaux (Mt 7.6), ce qui nécessite un sérieux discernement. Entre les deux passages, il y a la parabole de la poutre et de la paille (7.3-5) qui, elle aussi, indique le chemin d’un nécessaire discernement en vue d’aider.

4) Ne pas faire acception de personnes

L’expression ne pas faire acception de personnes, que l’on trouve plusieurs fois dans le Nouveau Testament, n’est pas aisée à comprendre à première lecture. Elle peut cependant nous aider à saisir le sens juste des expressions que nous examinons ici.

Plusieurs comprennent cette expression comme s’il s’agissait de ne jamais faire de différence entre les personnes. Est-ce le sens ? Dans le livre des Actes, Pierre dit : En vérité, je reconnais que Dieu ne fait pas acception de personnes ; mais en toutes nations, celui qui le craint et qui pratique la justice lui est agréable (10.34-35). Y aurait-il une contradiction entre les deux parties de la phrase ? Que dit Pierre ? Il dit que les distinctions traditionnelles que font les Juifs (entre Juifs et non-Juifs) ne correspondent pas à celles que Dieu fait. Il n’y a donc plus de différences à faire à ce niveau-là. Cependant, une autre différence demeure : entre celui qui craint Dieu et celui qui ne le craint pas ! C’est pour cela que les notions d’accueil inconditionnel ou de non-jugement peuvent s’avérer trompeuses si elles sont utilisées de manière absolue.

Ce qui est juste, c’est de ne pas faire de différence en fonction de l’apparence, ou de nos goûts, ou de notre intérêt personnel ; c’est de ne pas user de préférence [1]. Cette impartialité du regard est naturellement demandée aux magistrats qui agissent de la part de Dieu (Ro 13.4) et non à sa place ; elle est demandée aux anciens dans les églises, qui doivent eux aussi être loyaux, désintéressés (1 Tm 3.3 ; 1 Pi 5.2). Elle est demandée à nous tous, si nous désirons agir comme des serviteurs avisés, approuvés par leur maître.

Il y a donc une manière juste d’accueillir, d’aimer et même de juger, et il y a une manière dévoyée qui sera, selon les cas, trop sévère ou trop laxiste. Une est selon Dieu, l’autre est selon l’homme. Il importe de juger entre les deux.

5) L’amour croit-il tout ?

Croyants et incroyants aiment 1 Corinthiens 13 où on peut lire notamment que l’amour croit tout (v. 7). Beaucoup en déduisent que l’amour tient toutes choses comme étant égales, que l’amour ne dit jamais non. Est-ce juste ? La réponse est au verset 6 : L’amour ne se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité. On doit comprendre que la vérité et la justice recouvrent une même réalité, celle de la volonté juste de Dieu. Quand l’amour (on pourrait mettre là le nom de Jésus-Christ) voit une chose que Dieu approuve, il se réjouit et dit oui. Quand il voit une chose que Dieu désapprouve, il s’attriste et dit non.

A cette lumière, nous comprenons que le verset 7 ne dit pas que l’amour croit ‘tout et n’importe quoi’, mais que l’amour croit et espère tout ce qui est juste et vrai, tout ce que Dieu approuve, sans retenue, entièrement [2]. C’est le sens du Psaume 119, ou encore de ce qu’écrit Paul aux Philippiens : Que tout ce qui est vrai, tout ce qui est honorable, tout ce qui est juste, tout ce qui est pur, tout ce qui est digne d’être aimé, tout ce qui est digne d’approbation, ce qui est vertueux et digne de louange, soit l’objet de vos pensées (4.7-8). Cette énumération impose bien une totalité (tout ce qui est vrai, et pas seulement ce qui me plaît), mais elle est aussi excluante de tout le reste !

Les notions d’accueil inconditionnel, d’amour inconditionnel et de non-jugement devraient être utilisées avec parcimonie, sous peine de promouvoir un Evangile trompeur [3]. Est-ce faire une restriction à l’amour que de dire cela ? C’est plutôt rendre justice à l’amour de Dieu qui seul est vrai.

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[1] Les premiers versets de Jacques 2 illustrent parfaitement cela : Supposons qu’il entre dans votre assemblée un homme avec un anneau d’or et un habit magnifique

[2] La Bible du Semeur traduit : en toutes circonstances.

[3] Voir l’article : Dieu aime-t-il le pécheur ? (Ch. N.).

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