Jonas est ce prophète rebelle qui crut pouvoir fuir loin de l’Éternel, alors même qu’il était appelé à prêcher le jugement sur Ninive. Jonas, dans sa fuite, se trouva jeté à la mer, avalé par un poisson, et pria.
Chaque fois que je lis ce texte, dans le chapitre 2 du petit, mais précieux livre du prophète Jonas, la question me trouble. Que dois-je penser de cette fameuse prière offerte par Jonas du fond de son poisson ?
Le regret sans repentance ?
Après sa désobéissance spectaculaire à la parole donnée par l’Éternel dans le chapitre 1, le deuxième chapitre nous livre les mots que Jonas a prononcés avec un ton intime. Ce texte jette une lumière sur l’état de son cœur, à laquelle nous n’avions pas accès dans le premier chapitre.
Mais quelle lumière est-ce que passage donne sur le reste du livre ?
Différents indices dans le texte me font questionner la repentance réelle de Jonas. L’ironie qui caractérise les contrastes entre le chapitre 1 et 2 fait ressortir à quel point Jonas est un prophète plein de contradictions et de faiblesse.
- Il ne prie qu’une fois qu’il est vraiment inconfortable, et sans autre espoir. Au chapitre 1 v 9 il prêche aux marins païens “Je suis hébreu et je crains l’Éternel, le Dieu du ciel, qui a fait la mer et la terre…” Pourtant, les marins apprendront quelques versets plus loin que son Dieu est en colère contre lui et qu’il est la cause de leur péril. Les marins, une fois saufs, prient, et confessent l’omnipotence de ce Dieu qu’ils connaissent à peine. Jonas reste muet.
- Les marins font des offrandes et des vœux, dès la fin de la tempête. Ils n’attendent pas, ils agissent. Jonas lui, au 2:10 promet de faire des vœux et des offrandes, mais les accomplira-t-il? Il aurait eu le temps, entre Jaffa et Ninive…
- Jonas cite les psaumes, de multiples fois. C’est un prophète de l’Éternel, versé dans les écritures. Pourtant, chaque psaume que David a chanté dans un esprit d’obéissance, de justice, ou de sincère contrition et de repentir, Jonas semble n’en dire que les morceaux qu’il choisit. Nulle part ne dira-t-il comme le psalmiste : Lave-moi complètement de ma faute et purifie-moi de mon péché, car je reconnais mes transgressions et mon péché est constamment devant moi. J’ai péché contre toi, contre toi seul, j’ai fait ce qui est mal à tes yeux. Psaume 50:4-6
- Le poisson “vomit” Jonas. il aurait pu le recracher, simplement, mais l’auteur choisit “vomir”. Dans deux autres passages, les auteurs bibliques utilisent ce mot précis dans un contexte où les destinataires sont dans un état de compromission grave (lev 18: 25 , apo 3:16).
- Les chapitres 3 et 4 nous montrent que même après tout ce qui vient de lui arriver, et la réponse spectaculaire de Dieu à son appel du fond de l’abîme, le cœur de Jonas semble n’être toujours pas aligné au cœur de Dieu.
Il est en effet un prophète plein de contradictions et de faiblesse. Il ne semble connaître ni la profonde compassion miséricordieuse de Dieu pour tous les peuples, ni ses appels répétés à la repentance pour ses enfants rebelles.
Nous les lecteurs de Jonas, ne sommes-nous pas tentés de le condamner, lui qui se dispute avec Dieu, le fuit activement, lui réclame la mort, lui reproche sa compassion ? Jonas est sur un chemin dangereux qui est un avertissement pour nous tous, et sa prière, sans confession de péché ni supplication de pardon, nous laisse un arrière-goût amer.
Mais s’il y avait une autre façon de voir les choses ?
Un appel au secours physique et spirituel ?
Quelques fois en lisant ce texte je suis frappée par la justesse des mots. La description angoissante de cette longue descente dans l’abîme. Je m’identifie à cet appel que Jonas a lancé en sombrant, en sentant l’eau l’encercler. Dans la détresse la plus totale, Dieu a été son refuge.
- Jonas a le discernement spirituel pour voir le poisson comme instrument de salut et non de torture. “Dans ma détresse j’ai fait appel à l’Éternel, et il m’a répondu.” 2:1. Le temps passé des verbes montre qu’il se sait déjà sauvé, et qu’il voit la main de Dieu et sa réponse à son cri.
- Jonas a le discernement spirituel pour faire le lien entre sa détresse physique et son éloignement spirituel. Quand dans le poisson, il ne réclame pas la terre ferme, mais à deux reprises, il réclame le saint temple, synonyme pour un juif de l’époque, de la présence de Dieu.
- Jonas a le discernement spirituel d’utiliser les mots de la parole de Dieu pour parler à l’Éternel. Dans son heure d’angoisse la plus profonde, lui reviennent les mots du roi David, l’homme selon le cœur de Dieu.
- Jonas a le discernement spirituel de proclamer que le salut vient de l’Éternel. N’est-ce pas là la phrase la plus raisonnable qu’un homme puisse prononcer ? N’est-ce pas là l’aveu de sa condition de nécessiteux, face à la délivrance puissante de l’Éternel ?
N’avons-nous pas, parfois nous aussi fait des prières incomplètes, ou à demi-mot auxquelles l’Éternel aurait répondu ? Cela ne nous pousserait-il pas à plus d’indulgence pour Jonas ?
Comment, donc, lire la prière de Jonas ?
Si notre cœur balance tant entre condamnation et indulgence pour ce pauvre Jonas, c’est que nous sommes souvent tentés d’évaluer Jonas à la lumière de comment nous nous sentons face à Dieu au moment où nous lisons ce texte.
Finalement si notre cœur balance tant entre condamnation et indulgence pour ce pauvre Jonas, c’est que nous sommes souvent tentés d’évaluer Jonas à la lumière de comment nous nous sentons face à Dieu au moment où nous lisons ce texte.
Ce travers est courant ! En lisant des narratifs de l’Ancien Testament, nous regardons souvent au personnage dont l’histoire est rapportée. Nous cherchons les points communs ou les différences avec nos propres vies. Nous nous interrogeons sur comment nous aurions réagi. Puis, nous formons notre opinion pour savoir si cette personne est un exemple ou un contre-exemple.
Mais voici ce que cela donne quand nous utilisons cette grille de lecture anthropocentrique (c’est à dire centrée sur l’homme) sur Jonas chapitre 2.
Les jours où nous nous sentons particulièrement performants religieusement, propres-justes, acceptables pour Dieu, même, tant nous pensons vivre comme il le veut, et bien ces jours-là nous serons certainement très fermes avec Jonas. Nous le verrons comme terriblement hypocrite, faux et impénitent. Nous voudrions qu’il s’humilie et se repente. Après tout, n’avons-nous pas eu, nous, le bon goût de le faire ?
A l’inverse, les jours où nous nous sentons terriblement coupables, où le poids de nos fautes nous accable, et que nous avons l’impression que Dieu nous en veut, nous espérons très fort que la prière de Jonas a été agréable à Dieu. Sinon, qu’en sera-t-il des nôtres ? Certains jours, en effet, nous trouvons la prière de Jonas tout à fait admirable !
En encadrant la prière de Jonas par l’intervention puissante de Dieu en faveur de son prophète, l’auteur nous pousse à lever les yeux et à contempler l’Éternel.
Cette grille de lecture est faillible. La vérité sur comment il faut lire Jonas est à la lumière de qui il prie. C’est à l’Éternel. L’Éternel qui entoure, encadre et contrôle la vie de Jonas et toutes ses mésaventures du début à la fin. L’Éternel est là au premier verset “l’Éternel fit venir…” et au dernier “l’Éternel parla au poisson…”. En encadrant la prière de Jonas par l’intervention puissante de Dieu en faveur de son prophète, l’auteur nous pousse à lever les yeux et à contempler l’Éternel.
« L’Éternel, l’Éternel est un Dieu de grâce et de compassion, lent à la colère, riche en bonté et en vérité” Exode 34-5-7 mais aussi cité par Jonas au chapitre 4. L’Éternel qui, tout au long du récit de Jonas, se montre comme le Dieu souverain et patient, le Dieu des deuxièmes chances pour son prophète rebelle et pour la grande ville, Ninive.
L’Éternel qui, quelle que soit la nationalité de ceux qui viennent à lui, quel que soit leur état de compréhension, quels que soient les mots qui sortent de leur bouche, choisit de les sauver à cause de lui-même et de sa grande compassion envers ceux qui crient à lui pour le salut.
Cela m’a fait penser à ma propre conversion, moi qui, fille de chrétiens, pétrie dans la parole depuis mon plus jeune âge, ai fait de multiples démarches pour être sauvée dans ma jeunesse. La compréhension que j’ai de mon péché est très différente aujourd’hui de celle de mon enfance. Mon dégoût pour mes transgressions et la profondeur de ma repentance évoluent en couches. Le Seigneur me révèle l’étendue de mon besoin, et me purifie jour après jour, heure après heure. Avais-je tout compris ce jour où, à 4 ans, j’ai crié à Dieu pour qu’il me sauve de la mort éternelle qui me terrifiait ? Non, pourtant je l’ai reconnu comme la seule source de salut ce jour-là. Ma conclusion sur la prière de Jonas est la suivante : “l’Éternel répond à tous ceux qui font appel à lui pour le salut, même ceux qui n’ont pas tout compris.”
Oui, tu es bon, Seigneur, tu pardonnes, tu es plein d’amour pour tous ceux qui font appel à toi. Psaume 86:5