Les rêves et les visions sont-ils des messages venant de Dieu ?
La place des rêves et des visions et de leur interprétation dans la vie chrétienne cause bien des débats et amène beaucoup de confusion dans les églises. Dieu parle-t-il à son peuple par les rêves ?
Dans le passé, il l’a fait. Moïse a permis au peuple de Dieu de garder en mémoire les rêves de Joseph. A la fin du récit de la Genèse, la promesse de Dieu faite à Abraham d’avoir une descendance nombreuse est en train de se réaliser. Son descendant, Jacob, a eu douze fils ! (Bonjour la galère pour trouver un Airbnb pendant les fêtes de Noël !) Son préféré ? Joseph, qui est un rapporteur. Joseph, à qui il offre une tunique multicolore. Joseph, qui a des rêves de grandeur…
Où est Dieu quand vos rêves se brisent en éclats ?
En effet, le matin au petit déjeuner, devant son bol de céréales, Joseph raconte son rêve à ses frères : “Écoutez donc le rêve que j’ai fait ! Nous étions en train d’attacher des gerbes au milieu des champs, et voici que ma gerbe s’est dressée et est même restée debout. Vos gerbes l’ont alors entourée et se sont prosternées devant elle.” (Genèse 37.6-7)
A l’écoute de ce rêve, les autres membres de sa famille manquent de s’étrangler sur un cornflake et se disent entre eux : “Non mais, pincez-moi, je rêve ! Pour qui se prend-il ?” Bonne question ! Il se prend pour une sorte de roi… Les esprits s’échauffent : “Pour qui se prend-il ce rapporteur, ce sale chouchou… ?”
Le mercure explose quand Joseph, qui ne se rend peut-être pas compte de l’effet qu’il a sur les autres, renouvelle l’expérience, et partage à nouveau son rêve : “J’ai fait encore un rêve : le soleil, la lune et onze étoiles se prosternaient devant moi” (Genèse 37.9) Cette fois, le patriarche, Jacob, se sent concerné : “Crois-tu qu’Israël (l’autre nom de Jacob) va plier le genou devant toi ?”
Ce petit côté premier de la classe, ce favoritisme et ces rêves créent de la jalousie et de l’amertume chez les autres frères qui s’en débarrassent en lui tendant un piège et en le vendant comme esclave.
Favoritisme, kidnapping, trafic d’humains, … l’histoire du peuple de Dieu tourne au cauchemar. En direction de l’Égypte où il va être vendu comme esclave, Joseph s’interroge : “Qu’en est-il de mes rêves ?”
Quand vos rêves se réalisent
Quelques années plus tard, une grave crise éclate. Les analyses du GIEC se sont avérées justes. Une grande famine s’abat sur tout le pays. Israël cherche de la nourriture. Jacob envoie ses fils en Égypte. Les frères se frottent les yeux quand ils découvrent qu’après avoir été vendu comme esclave, être passé par la case prison, leur frère est devenu premier ministre de l’Égypte. Et devinez quoi ? Ils se prosternent à ses pieds. L’auteur le répète plusieurs fois en 42.6, 43.26, 43.28 : “Les frères de Joseph vinrent et se prosternèrent devant lui la face contre terre… ils se prosternèrent à terre devant lui… Ils s’inclinèrent et se prosternèrent…” C’est sa façon à lui de faire des grands clins d’œil (cf. 42.9) : les songes nocturnes de Joseph se sont réalisés. “Vous aviez projeté de me faire du mal, Dieu l’a changé en bien pour accomplir ce qui arrive aujourd’hui, pour sauver la vie d’un peuple nombreux.” (Genèse 50.20) Dieu a réalisé son rêve. Grâce à Joseph, Israël est sauvé.
Qui suis-je dans cette histoire ?
Avant de savoir si l’histoire de Joseph nous permet de déduire quelque chose concernant la place des rêves dans notre relation avec Dieu, il faut répondre à cette question : « Qui suis-je dans l’histoire ? » Cette question de l’identité a un impact conséquent pour notre compréhension de la Bible. C’est normal de s’identifier au personnage principal. On est même encouragé à prendre exemple (1 Corinthiens 10.13). Cependant, si le lecteur croyant voit sans ambages la nécessité d’imiter la foi d’un Abraham ou le courage d’un Paul dans la proclamation de l’Évangile, il ne se risquera pas à copier l’adultère d’un David avec Bathsheba… Pourquoi ? La clé d’interprétation de la Bible “Ce qui est descriptif n’est pas forcément prescriptif” est la réponse.
Si le lecteur croyant voit la nécessité d’imiter la foi d’un Abraham ou le courage d’un Paul, il ne se risquera pas à copier l’adultère d’un David. Voilà une clé d’interprétation de la Bible : ce qui est descriptif n’est pas forcément prescriptif
Les rêves de Joseph pour connaître l’avenir sont-ils normatifs pour nous ?
Joseph est un peu spécial dans la Bible. Il vient et il part. Il est très peu cité par ailleurs dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Pourquoi ? Parce que Joseph est un panneau indicateur qui pointe vers un autre sauveur : Jésus-Christ. On parle alors de typologie. Qu’est-ce qu’un type ? C’est une personne, un événement ou une institution qui annonce un accomplissement à venir en Jésus-Christ. C’est l’ombre des choses à venir. Joseph est un type du Messie à venir qui va sauver son peuple non seulement des catastrophes climatiques causées par la Chute en Genèse 3, mais aussi de tous ses péchés bien mis en évidence en Genèse dans la présentation des dysfonctionnements familiaux (pour énoncer le minimum).
L’arc narratif de cette section de la Genèse semble confirmer notre compréhension. Quand il est vendu comme esclave, Joseph, le fils bien-aimé de Jacob, perd son statut. La tunique multicolore qui représente une expression de la royauté, est ôtée et couverte de sang. Mais il n’a pas encore touché le fond. Joseph descend, descend encore et encore, jusqu’en prison. Puis, il remonte en accédant à la plus haute place de l’État Egyptien de l’époque pour être en poste et sauver Israël. Ça vous rappelle quelque chose ?
Au sujet de Jésus, Paul déclare en Philippiens 2.6-10 :
“ Lui qui est de condition divine, il n’a pas regardé son égalité avec Dieu comme un butin à préserver, mais il s’est dépouillé lui-même en prenant une condition de serviteur, en devenant semblable aux êtres humains. Reconnu comme un simple homme, il s’est humilié lui-même en faisant preuve d’obéissance jusqu’à la mort, même la mort sur la croix. C’est aussi pourquoi Dieu l’a élevé à la plus haute place et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nomafin qu’au nom de Jésus chacun plie le genou dans le ciel, sur la terre et sous la terre.”
Une descente en deux étapes et une remontée au-dessus de la stratosphère pour le salut de tous ceux qui plient le genou devant le Roi Jésus, le Messie rejeté par ses propres frères. C’est l’Évangile. La souffrance et l’exaltation. La croix et la couronne. L’histoire de Joseph nous prépare à voir l’accomplissement final en Jésus-Christ.
Certes, le mot utilisé pour « prosterner » est un signe de déférence, de reconnaissance d’une autorité, mais il peut aussi avoir le sens d’adoration comme en Gn 22.5, 24.48, 24.52, … En se prosternant aux pieds de Joseph, Israël annonce l’Église adorant son Messie qui par sa mort et sa résurrection l’a sauvée.
Quel est le message à la fin du livre de la Genèse ? Un peuple infidèle est sauvé par un Dieu fidèle dans sa promesse faite à Abraham grâce à son Messie rejeté.
Une chose est sûre : le récit de Joseph est moins une histoire de rêve qu’un dévoilement du Dieu qui œuvre derrière le rideau de l’histoire. Ce que Dieu pense, ce que Dieu rêve, ce que Dieu voit en avance devient réalité.
Du coup, comment répond-on à la question ?
Je ne crois pas qu’il soit possible de répondre à partir de ce texte de manière unanime. Nous ne sommes pas Joseph. Joseph annonce Jésus. Il faudrait prendre d’autres textes de préférence prescriptifs et non descriptifs pour répondre. Mais une chose est sûre : le récit de Joseph est moins une histoire de rêve qu’un dévoilement du Dieu qui œuvre derrière le rideau de l’histoire. Ce que Dieu pense, ce que Dieu rêve, ce que Dieu voit en avance devient réalité. Les plans des hommes et du malin ne peuvent nous arracher de sa main.