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Passez un peu de temps en ligne à parcourir les blogs et les articles partagés sur les médias sociaux et vous risquez de tomber sur des écrivains qui, avec confiance et conviction, étiquettent d’autres chrétiens comme hérétiques ou faux-enseignants. Parfois, les descriptions sont justes, car elles font référence à des personnes qui, par exemple, nient la Trinité et se situent donc clairement en dehors des limites du christianisme orthodoxe. D’autres fois, cependant, l’utilisation du terme « hérésie » fait référence à un domaine dans lequel les chrétiens orthodoxes, qui croient en la Bible, sont en désaccord sur la doctrine ou la pratique, comme le parler en langues ou le ministère des femmes dans l’église.

Ce qui se passe en ligne reste rarement en ligne seulement et une division sans nécessité peut facilement atteindre les églises, dans lesquelles les pasteurs et les responsables laïcs sont eux-mêmes en controverse au sujet de dirigeants chrétiens auxquels ils pourraient s’associer ou dont ils pourraient recommander les œuvres. Chaque fois que je vois des étiquettes comme « hérésie » et « faux-enseignement » utilisées à outrance, je me souviens du grand philosophe Inigo Montoya qui disait : « Vous continuez à utiliser ce mot. Je ne pense pas qu’il signifie ce que vous pensez qu’il signifie ».

Ces controverses soulèvent une importante question : Qu’est-ce qui constitue un faux-enseignement ? Comment pouvons-nous faire la différence entre les domaines dans lesquels nous pouvons « accepter d’être en désaccord » et les domaines dans lesquels le compromis est si dangereux qu’il obscurcit l’évangile ? Que faisons-nous lorsque la doctrine divise les gens qui aiment Jésus, croient en la Bible et s’accordent sur les fondements de la foi ?

Priorisation de la doctrine

Deux livres récents, dans des directions différentes et visant des lectorats différents, cherchent à apporter un conseil et une mise en contexte utiles sur ces questions. Le premier est celui de Gavin Ortlund Finding the Right Hills to Die On: The Case for Theological Triage (Trouver la bonne colline pour y mourir : la question du tri théologique) (Crossway, 2020). Le livre d’Ortlund est concis et accessible (160 pages), conçu pour discuter de l’analogie du tri théologique, introduite par R. Albert Mohler, Jr. dans son article « Un appel au triage théologique et à la maturité chrétienne ». Le tri consiste à déterminer les actions prioritaires dans les contextes médicaux. Un médecin sur le champ de bataille ne peut pas traiter tous les soldats blessés simultanément ; lui ou elle doit s’appuyer sur une procédure pour déterminer les blessures qui doivent être traitées en premier.

Ortlund utilise le concept de tri dans le contexte de la théologie afin de faire valoir deux points. Premièrement, les doctrines ont différentes sortes d’importance. « Certaines collines valent la peine de mourir », écrit Ortlund. « D’autres non. » Deuxièmement, le tri suppose que certains besoins sont plus urgents que d’autres. « Plus les questions sont exigeantes, plus vous devez prendre des décisions difficiles. »

En construisant sur ce concept, Gavin Ortlund fait valoir que « les doctrines de premier rang sont essentielles à l’Évangile lui-même, les doctrines de second rang sont urgentes pour la santé et la pratique de l’Église, de sorte qu’elles provoquent fréquemment la séparation des chrétiens au niveau de l’Église locale, de la dénomination et/ou du ministère, les doctrines de troisième rang sont importantes pour la théologie chrétienne, mais pas assez pour justifier la séparation ou la division entre les chrétiens, et les doctrines de quatrième rang sont sans importance pour notre témoignage évangélique et notre collaboration dans le ministère ». (19)

Des exemples de tri

Ortlund propose la Trinité comme exemple de doctrine de premier rang, le baptême comme doctrine de second rang, et le calendrier des événements entourant le retour du Christ comme doctrine de troisième rang.

Dans une correspondance personnelle avec Gavin, j’ai posé des questions sur le calvinisme (un clivage doctrinal qui n’est pas abordé dans son livre), et lui et moi avons convenu que le calvinisme et l’arminianisme seraient une doctrine de troisième rang lorsque le débat reste centré sur les distinctions sotériologiques étroites. Cela signifie que les gens pourraient avoir des opinions multiples même au sein d’une même congrégation ou parmi les dirigeants de l’église. Dans certains cas, cependant, l’attention peut s’élargir à une série de questions culturelles et pratiques qui découlent de la théologie réformée ou des impulsions revivalistes dans leur ensemble, et faire ainsi dériver le débat vers la catégorie du deuxième rang. Cela explique pourquoi certaines confessions ont grandi autour de différentes positions sotériologiques et des pratiques culturelles et ecclésiales qui en découlent.

Ortlund établit non seulement un classement pour ces doctrines, mais nous aide également à développer une mentalité appropriée pour chacune d’entre elles : courage et conviction pour les doctrines de premier rang, sagesse et équilibre pour les doctrines de second rang, et circonspection et retenue pour les doctrines de troisième rang (95). En cours de route, il met en garde contre le « minimalisme doctrinal » qui conduit à sous-estimer le lien étroit de certaines doctrines avec l’évangile. Les doctrines « secondaires » ne sont peut-être pas de premier rang en ce qui concerne l’évangile, mais elles font quand même une différence dans « la manière dont nous soutenons l’évangile » (47). Elles peuvent représenter l’évangile, le protéger ou s’y rapporter d’une autre manière (57-58).

Critique du tri théologique

Certains ont repoussé l’idée du tri théologique, qui, comme toutes les analogies, s’effondre à certains moments. Pourquoi devrions-nous supposer que nous sommes les médecins qui traitent l’erreur doctrinale ? Ne sommes-nous pas tous susceptibles d’être « infectés » par un certain niveau d’erreur théologique dont nous ne sommes pas conscients ? Osons-nous classer les commandements de Jésus à notre égard, comme si certains étaient plus importants que d’autres ? Cela pourrait-il devenir une façon intelligente d’excuser ou de justifier une croyance ou un comportement erronés ?

Les critiques du tri théologique font ressortir des points saillants, et l’analogie n’est pas sans problème. Néanmoins, le fait que l’apôtre Paul parle de l’évangile comme étant « de première importance » (1 Cor 15:3) tout en donnant aux chrétiens la liberté d’être en désaccord sur d’autres sujets (Phil 3:15; Rom 14:1) montre que, à un certain niveau, il comprenait que certaines controverses doctrinales comptent plus que d’autres. Le tri théologique est une analogie qui, quoiqu’imparfaite, nous aide à garder l’unité de l’église alors que, passionnément, nous « combattons pour la foi » (Jude 3) — une foi, nous devons nous en souvenir, qui inclut l’importance de l’unité de l’église. Notre Seigneur a prié pour l’unité et ses apôtres l’ont recherchée. Nous ne devons pas sacrifier la recherche de l’unité à la recherche de la pureté quand il s’agit de doctrines de troisième rang.

La diversité doctrinale dans le monde évangélique

Le livre de Rhyne Putman When Doctrine Divides the People of God: An Evangelical Approach to Theological Diversity (Quand la doctrine divise le peuple de Dieu : une approche évangélique de la diversité théologique) (Crossway, 2020) est un livre beaucoup plus long (313 pages) au but bien plus ambitieux. Putman interagit avec l’analogie du « tri théologique », mais d’une manière qui la situe dans un cadre plus large. Les taxonomies doctrinales ou rangs dogmatiques font depuis longtemps partie de la tradition de la Réforme, dans laquelle « les doctrines fondamentales se voient accorder plus de poids et d’autorité dans un système théologique, tandis que d’autres doctrines prennent une place secondaire ou tertiaire » (204).

Le but de Putman va au-delà de l’explication et de l’application de cette analogie. Sa tâche est plus vaste : développer une méthode théologique qui « explore la nature de la diversité doctrinale d’un point de vue clairement évangélique. »  À cette fin, il espère aborder « des questions générales sur la nature de la doctrine, les sources de la théologie et les processus par lesquels nous élaborons la doctrine » (29).

De la même manière les questions de Putman sont plus étendues. « Comment des disciples du Christ ayant des convictions similaires sur l’Écriture et l’Évangile arrivent-ils à des points de vue si radicalement différents en matière de foi et de pratique ? » demande-t-il. « Que devraient faire les chrétiens qui partagent les mêmes convictions à propos des doctrines qui les divisent ? » (30)

La première partie du livre répond à la première question, et elle donne au lecteur une plus grande compréhension des raisons pour lesquelles nous approchons différemment la tâche de l’interprétation biblique et de l’application. Nous lisons imparfaitement (comme des interprètes faillibles), nous raisonnons différemment, nous ressentons différemment (et ici on a la contribution la plus unique de Putman – il nous aide à comprendre le rôle des émotions dans l’interprétation de la Bible), et nous abordons le texte avec différents biais.

Il n’est pas surprenant que Putman recommande une lecture approfondie et étendue de la tradition chrétienne au sens large afin de voir que même si nous sommes « à la fois conscients de notre faillibilité interprétative et attachés à la véracité de la parole de Dieu, nous devrions au moins considérer pourquoi d’autres chrétiens croyants en la Bible au cours de l’histoire sont arrivés à des opinions contraires aux nôtres » (167).

Le besoin d’humilité

Un thème qui court dans ces deux livres est celui du besoin d’humilité personnelle et de tolérance avec les autres. La tolérance exige que nous donnions de l’espace aux gens qui ne sont pas arrivés à une conclusion ferme sur ces questions. Tous les pasteurs du spectre n’ont pas passé suffisamment de temps à évaluer les sujets litigieux, et il ne faut pas les forcer à prendre parti prématurément. Il peut être plus sage de ne pas porter de jugement sur un sujet que de se précipiter vers une conclusion. (Putman, 198-199)

L’humilité personnelle nous oblige à reconnaître notre faillibilité. Cela ne signifie pas que nous relâchions nos convictions ou que nous levions les mains en signe de frustration. L’humilité vient de la reconnaissance de nos propres limites. « La fragilité de l’interprétation humaine devrait nous faire réfléchir à l’orgueil interprétatif et à l’arrogance théologique », écrit Putman (266). De même, Ortlund observe que « le plus grand obstacle au tri théologique n’est pas un manque de compétence ou de savoir-faire théologique, mais un manque d’humilité ». Un manque de compétence peut simplement être l’occasion de grandir et d’apprendre, mais lorsque quelqu’un aborde un désaccord théologique avec un esprit sûr de lui, hautain, qui n’a que des réponses et pas de questions, le conflit devient pratiquement inévitable » (147).

J’ai chaudement recommandé ces deux livres aux étudiants. L’ouvrage d’Ortlund  sera plus accessible aux responsables laïcs dans l’église qui n’ont pas eu la formation de séminaire. La plongée plus profonde de Putman  dans ces questions fournit une fondation plus large pour une pensée et une réflexion plus approfondies. Les deux sont bien écrits, raisonnent bien et sont bien construits apportant une solide contribution sur un sujet de la plus haute importance pour l’église aujourd’hui.

Cette recension se trouvait incluse dans l’édition de Printemps 2020 du Southwestern Baptist Theological Seminary’s Journal of Theology

Pour aller plus loin : Une « hiérarchie de doctrines » un atelier de James Hely Hutchinson proposé dans le cadre du séminaire « Le destin qui nous attend ».

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