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C’était quelques instants après un culte. Une membre de notre Eglise me fait signe qu’elle aimerait échanger avec moi. Son regard est inquiet, son ton un peu désapprobateur : « Comment faire quand on voit des gens prendre le repas du Seigneur alors qu’ils ne devraient pas le faire ? » Ce jour-là, en effet, un habitant du quartier, qui venait de temps en temps au culte mais n’avait pas fait profession de foi, avait pris le pain et le vin. « On ne peut pas laisser les gens faire ça ! » avant de poursuivre par une référence à 1 Corinthiens 11.27-29 : « Il a mangé et bu un jugement contre lui-même ! »

 

Est-ce bien, toutefois, le propos de l’apôtre Paul dans ce texte ?

Comme si souvent dans l’étude de la Bible, le contexte apporte un éclairage décisif. C’est au v. 17 du chapitre 10 que Paul aborde le repas du Seigneur. Il introduit ce point en des termes sévères pour les Corinthiens : « En faisant la remarque suivante, je ne peux pas vous féliciter … » !

Qu’est-ce qui suscite une telle désapprobation de l’apôtre ? Les versets suivants l’expliquent : les repas fraternels au cours desquels les frères et sœurs prenaient le pain et le vin en souvenir du Seigneur étaient marqués par de fortes inégalités. Chacun apportait son repas, selon ses moyens, et le gardait pour soi. Par conséquent, certains mangeaient et buvaient en abondance, et même à l’excès (v. 21) tandis que leurs frères et sœurs pauvres n’avaient presque rien à manger.

Pour Paul, il y a là un scandale singulier, une offense à l’Evangile même. Comment ose-t-on appeler un tel étalage d’égoïsme et d’exclusion sociale « le repas du Seigneur » (v. 20) ? Comment peut-on prétendre commémorer le don total du Christ, cet amour pour les siens « jusqu’à l’extrême » (Jean 13.1)  alors même qu’on sert son propre intérêt au mépris de ses frères et sœurs ? C’est plus qu’une incohérence, c’est une attitude foncièrement antichrétienne : « …méprisez-vous l’Eglise de Dieu ? » fustige Paul (v. 22). On ne méprise pas la communion en Christ… à moins de mépriser le Seigneur lui-même, et l’œuvre de la Croix ! C’est pour cela que l’apôtre poursuit en rappelant ce que la Cène signifie : « la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. » (v. 26)

Or c’est toujours dans ce contexte (« C’est pourquoi… », v. 27) que Paul ajoute cette mise en garde : « celui qui mange ce pain ou boit la coupe du Seigneur indignement sera coupable envers le corps et le sang du Seigneur », puis invite à l’examen de soi (v. 28). L’apôtre évoque donc le risque de commémorer prétendument la mort du Seigneur alors même qu’on méprise dans les faits l’œuvre de grâce et d’unité accomplie à la Croix[1].

 

Que veut dire « indigne »?

L’ « indignité » (v. 27) ne renvoie donc pas à une perception subjective de son état spirituel, mais à une pratique objective qui est ouvertement en porte-à-faux avec l’œuvre de la Croix [2] et ses bienfaits ; et l’examen de soi n’est pas une introduction nécessaire au repas du Seigneur, mais plutôt une interpellation spécifique de Paul envers les Corinthiens dans le contexte qu’il vient de dénoncer : « mais que faites-vous ? Réfléchissez un peu à votre attitude et vos actes plutôt que de prendre ce repas indignement, en faisant tout le contraire  de ce qu’il signifie ! »

Dans ce contexte, la « culpabilité envers le corps et le sang du Seigneur » (v. 27) évoque au minimum le fait que l’œuvre de Christ témoigne contre celui qui la bafoue ainsi. Certains vont encore plus loin, comme le commentateur Gordon Fee, qui estime qu’un tel mépris de la communion plaçait les Corinthiens en quelque sorte « du mauvais côté de la Croix » : en faisant frontalement offense à l’Evangile là où on est censé célébrer l’Evangile, on se comporte non pas comme ceux qui ont été justifiés grâce au sacrifice de Jésus, mais plutôt comme ceux qui sont coupables de l’avoir crucifié[3] ! C’est en cela que réside le « jugement » qu’on mange et boit contre soi-même (v. 29). Notons que Paul ne remet pas ici en question le salut de ceux qui se rendent coupables d’une telle faute (cf v. 32), mais les invite à réfléchir à la gravité de leur acte pour les pousser à la repentance[4].

 

Que veut dire « discernement du corps » ?

Quant au « discernement du corps » (v. 29) auquel doit conduire l’examen de soi, il fait l’objet d’un débat. Paul fait-il référence littéralement au corps et au sang de Jésus, et donc à son sacrifice ? Ou désigne-t-il ici l’Eglise par l’image (utilisée plus loin dans cette même lettre) du « corps de Christ » ? Cette seconde interprétation cadre plutôt mieux avec la problématique du texte et obtient la faveur de la plupart des commentateurs évangéliques. Cependant, même si l’on retient la référence au corps physique de Jésus, la conclusion est la même : mépriser les frères et sœurs par son attitude, c’est mépriser son œuvre et son Eglise !

Nous pouvons tirer deux conclusions de ces quelques considérations. D’abord, s’il n’est pas souhaitable qu’une personne non-chrétienne prenne le pain et le vin, car cela n’aurait aucun sens, ce n’est pas dramatique pour autant. Ce n’est pas cette situation que vise Paul. Ceux qui n’ont pas reçu le pardon offert en Christ sont de toute façon sous la condamnation de Dieu – prendre un peu de pain et de vin n’y changera rien ! Il leur faut se repentir et croire en Christ !

Deuxièmement, l’idée selon laquelle la Cène devrait être introduite par un temps d’introspection et de confession silencieuse de ses péchés n’est pas réellement attestée dans le Nouveau Testament. Bien sûr, il est indispensable de confesser régulièrement ses péchés devant Dieu ! Mais cette démarche essentielle de la vie chrétienne n’est pas nécessairement associée au moment de prendre la Cène[5]. Enfin, s’il est vrai que la Cène a du sens pour chaque chrétien sur le plan individuel, elle est avant tout une célébration collective de l’œuvre de Christ bien plus qu’un temps de recueillement personnel.

[1]Voir l’excellente synthèse de Laurent CLEMENCEAU, Partager la cène, Charols, Excelsis, 2017, p. 59-71

[2]Cf Gordon FEE, The First Epistle to the Corinthians, Grand Rapids, Eerdmans 1987, p. 560 ; BLOMBERG, NIV Application Commentary, 1 Corinthians, Grand Rapids, Zondervan, 1994, p. 230-231

[3]FEE, op. cit., p. 561

[4]Nous ne pouvons pas ici aborder les versets 30 et 31, qui mériteraient un article à part entière…

[5]CLEMENCEAU, op. cit., p. 82-83

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