On entend couramment dire : Dieu déteste le péché, mais il aime le pécheur. On l’entend couramment, mais est-ce tout à fait exact ?
Le péché
Que Dieu déteste le péché, cela ne fait guère de doute. C’est même trop peu dire. En effet, détester peut être une affaire de goût. Or, là, c’est bien plus qu’une affaire de goût ; c’est une question de nature. Le péché offense Dieu en ce qu’il est son contraire, comme la mort est le contraire de la vie. Le péché est la négation de Dieu, non pas de manière involontaire, mais de manière volontaire. Le péché souille l’honneur de Dieu, ce qui est une chose qui peut à peine se concevoir. Tout péché, car tout péché est contre Dieu (Ps 51.6), même quand il nous semble que ce n’est pas le cas.
Le péché attriste Dieu profondément ; le péché suscite aussi sa colère. Si ce n’était la patience de Dieu eu égard à son dessein de salut, le péché et le pécheur ne subsisteraient pas une minute de plus. L’épisode du Déluge l’atteste, qui préfigure le jugement dernier (Mt 24.37). La destruction de Sodome également. Lot ? Il fut sauvé de justesse, in extremis.
Cette réalité a souvent été atténuée ou même niée par l’évocation de l’amour de Dieu. Le professeur William Edgar parle de l’hérésie de l’amour[1] en pointant ce choix qui consiste à garder l’amour de Dieu et à oublier sa sainteté. Un peu comme si le problème était en Dieu : il y a un conflit en Dieu, mais finalement il choisit l’amour. W. Edgar a raison de parler d’hérésie, car ce mot signifie précisément choisir, garder ce qui nous convient.
Aussi grand qu’il soit, le mal que je subis est un mal secondaire, le mal principal étant le mal que je commets.
Beaucoup de prédicateurs ne retiennent de l’Ecriture que les mentions qui font du bien immédiatement, les mots positifs. Leur vision fait de l’Homme, essentiellement, un être qui souffre. La souffrance des Hommes (et celle de la création tout entière) n’est pas niée dans la Bible, loin de là, et ce n’est pas pour rien que l’Esprit Saint est appelé le Consolateur. Cependant, aussi grand qu’il soit, le mal que je subis est un mal secondaire, le mal principal étant le mal que je commets.
Le pécheur
Le sang de l’agneau réparti autour de la porte des maisons des Hébreux, en Egypte, démontre que si Dieu a vu leurs pleurs et entendu leurs cris (Ex 3.7), leur première condition demeurait celle d’hommes et de femmes pécheurs. Il y avait beaucoup de personnes en souffrance au temps de Jean-Baptiste, de Jésus et des apôtres, mais la pointe de la prédication du Royaume de Dieu demeurait l’appel à la repentance (Mc 1.4 ; Ac 2.38 ; 26.20).
Que signifie se repentir ? Se repentir, c’est dénoncer soi-même, de manière explicite, son propre péché ; c’est s’en démarquer comme d’une chose que l’on ne veut plus connaître et que l’on rejette. Si elle est profonde et vraie, la repentance implique une rupture et le désir d’un « jamais plus ». Cette démarcation (qui n’est évidemment pas une autojustification) permet à Dieu d’effacer le péché et d’agréer le pécheur.
Nous en avons un exemple remarquable avec le brigand repenti, sur la croix. Ce brigand se désolidarise d’avec l’autre malfaiteur (Ne crains-tu pas Dieu ?), reconnaît son péché (Pour nous, c’est justice), confesse l’identité de Jésus (il est roi et il est sans péché) et invoque son secours (Souviens-toi de moi !). La réponse de Jésus est immédiate : Tu seras avec moi dans le paradis (Lc 23.39-43). L’autre malfaiteur l’insultait (littéralement blasphémait), écrit Luc. Que disait-il ? N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et sauve-nous ! Ces paroles, finalement, ne nous semblent pas si insensées que cela… Jésus lui répond-il ? Pas un mot. Pourquoi ? Cet homme ne souffrait-il pas ? N’était-il pas au seuil de l’éternité ? Jésus n’aime-t-il pas le pécheur ? Pourquoi ce silence ?
L’amour se réjouit de la vérité
La réponse me semble être celle-ci : cet homme ne se démarque pas de son péché. Cet homme et son péché ne font qu’un. L’autre brigand n’était peut-être pas un moins grand pécheur, mais il s’est dissocié de son péché. L’attitude de Jésus, à ce moment si particulier de la crucifixion, nous permet de dire ceci : Dieu déteste le péché et il aime le pécheur qui se dissocie de son péché en le reconnaissant ouvertement. Martin Luther a dit cela avec d’autres mots : Dieu déclare juste celui qui se déclare pécheur !
Il est facile de constater que dans ses lettres, Paul ne condamne pas seulement des péchés, mais aussi des pécheurs. Ne savez-vous pas que les injustes n’hériteront point le royaume de Dieu ? Ne vous y trompez pas : ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères… (1 Co 6.9-10. Cf. 1 Tm 1.10). Il s’agit bien là de personnes : non pas des pécheurs contrits mais des pécheurs qui choisissent de pécher, non pas des pécheurs repentants mais des pécheurs qui démontrent leur cœur impénitent.
La rencontre de Jésus avec la femme pécheresse (Lc 7.36-50) confirme cette compréhension. De même, quand Jésus dit que les prostituées devanceront les docteurs de la loi dans le Royaume de Dieu (Mt 21.31), il ne dit pas que les prostituées en général sont aimées de Dieu en tant que telles. Il dit que parmi elles, certaines croiront et se repentiront (21.32), tandis que des gens de bonnes mœurs demeureront dans le déni de leur péché. Si la prostituée s’humilie devant Dieu, dès lors, l’obstacle à l’amour de Dieu dans sa vie est ôté – tandis que les propres justes demeurent dans l’illusion sur eux-mêmes.
L’amour se réjouit de la vérité, écrit Paul (1 Co 13.6). Or, un des premiers fruits de la vérité est de reconnaître que Dieu est juste et que je suis pécheur (Ro 3.4 ; 1 Jn 1.5-10). Le refus de cette vérité est le véritable obstacle à la foi en Jésus (Jn 3.19-21). Dieu aime-t-il ceux qui refusent de se reconnaître pécheurs et de croire en son Fils ? Non, et sa colère demeure sur eux (Jn 3.35-36).
L’amour de Dieu est-il mérité ?
Dire cela pourrait faire croire que l’amour de Dieu serait la récompense de la foi. Je crois, donc Dieu m’aime. Ce n’est pas cela. Aucun des passages bibliques mentionnés ne dit cela. L’amour de Dieu est totalement immérité, que l’on soit docteur de la loi ou prostituée ! L’amour de Dieu est premier (Jn 6.44 ; Ep 4.2). Jésus a aimé les siens (Jn 13.1 ; 17.23), alors qu’ils étaient encore des impies (Ro 5.6), sans aucun mérite à faire valoir (Ep 2.8-9). La foi – qui comprend la repentance – est une grâce, c’est-à-dire le fruit de l’amour de Dieu dans le cœur d’une personne !
Dans ce sens-là, Dieu aime des pécheurs, puisque tous les Hommes le sont. Tous le sont, mais tous ne le demeurent pas. La Bible appelle pécheurs ceux qui demeurent dans le péché. Ce n’est pas le cas d’un chrétien, même s’il pèche encore, et parfois gravement. En d’autres termes, le péché dans la vie d’un chrétien est une chose sérieuse car il attriste le Saint-Esprit et trouble son témoignage. Mais le péché dans la vie d’un chrétien ne fait pas de lui un pécheur que le péché condamne. On peut encore le dire ainsi : Dieu condamne le péché mais il ne condamne pas le chrétien, car celui-ci s’est dissocié de son péché et a été déclaré juste, par la foi, par les seuls mérites de Jésus-Christ.
Le jugement de Dieu
N’est-il pas écrit que Dieu a tant aimé le monde (Jn 3.16) ? Certes, mais cette expression ne doit pas être utilisée de manière légère : elle ne dit pas que Dieu a tant aimé tout le monde. N’est-il pas écrit que Jésus n’est pas venu pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui (3.17). Oui, mais il est aussi écrit que celui qui ne croit pas au Fils de Dieu est déjà jugé (3.18). Il nous faut garder toutes ces affirmations. L’amour de Dieu n’exclut pas qu’il a fixé un jour où il jugera le monde selon la justice (Ac 17.31).
Dieu aime-t-il les pécheurs ou les moqueurs dont il dit qu’il faut fuir leur compagnie (Ps 1.1) ? Dieu aime-t-il les méchants qui ne font que leur propre volonté (Ps 1.5) ? Ceux qui s’engagent dans des voies détournées, que l’Eternel les détruise avec ceux qui font le mal, dit le Paume 125. Ici, il n’est pas seulement question du péché mais aussi de ceux qui le pratiquent. Dieu aime-t-il le pécheur quand il dit : À moi la vengeance, à moi la rétribution (Ro 12.19) ? Jésus a-t-il aimé les hypocrites qu’il qualifie de sépulcres blanchis (Mt 23.27) ? A-t-il aimé Hérode qu’il traite de renard (Lc 13.32) ? Nous souvenons-nous que la venue du Jour du Seigneur, que nous attendons avec impatience, sera aussi un jour redoutable (Ma 4.5), l’apparition du Seigneur Jésus s’opérant au milieu d’une flamme de feu, pour punir ceux qui ne connaissent pas Dieu (2 Th 1.7-8) ?
Dieu déteste le péché et prend patience envers le pécheur. Dieu déteste le péché, et il aime le pécheurqui se détourne de ses mauvaises voies (2 Ch 7.14). Juin 2020
[1] Lire l’article du professeur William EDGAR, L’hérésie de l’amour et la discipline chrétienne, La Revue Réformée n° 137, 1984/1.