Le polyamour est un réel enjeu apologétique, car il questionne la notion même d’amour en en redéfinissant les contours. Le polyamour demande que nous puissions expliquer ce qu’est l’amour conjugal à des personnes qui sont convaincues de pouvoir choisir elles-mêmes ce qu’est l’amour… et comment le vivre. Reconnaissons-le : arriver à saisir tout ce qu’implique une relation aussi intime que celle du mariage est, disons, plutôt osé. Ceux qui sont en couple le savent : il faut une vie entière d’engagement et de fidélité, d’amour et de sacrifice, pour commencer à comprendre ce que cela implique. C’est pour cela que l’Écriture nous donne l’image du mariage parfait dans la relation de Dieu avec son peuple. Cette analogie est le cadre qui doit informer toute notre discussion. Comme toujours en apologétique, c’est plus facile à écrire sur un blog chrétien qu’à démontrer dans une discussion avec un ami non-chrétien !
Dans les deux posts précédents (article 1 ; article 2) j’ai essayé de résumer ce qu’était le polyamour et discuté brièvement de la manière dont certains pensent que « l’amour à plusieurs » est compatible avec la foi chrétienne. Ici, je voudrais évoquer quelques raisons qui expliquent pourquoi le polyamour est une situation non seulement non-biblique, mais qui détruit aussi la possibilité d’un vrai amour conjugal.
Autonomie et liberté
Du point de vue apologétique, je suis convaincu que le problème essentiel tient à la volonté de décider par soi-même. Vous connaissez la petite pique : « Pourquoi Dieu se mêlerait de ce que je fais dans mon lit ? » Dieu a des choses bien plus importantes à faire que de se mêler de ma vie sexuelle. Il n’y a qu’à voir les drames qui se jouent quotidiennement dans le monde. Dieu s’occupe de ses affaires, et moi, des miennes. Il y a ici la conséquence radicale de la révolution sexuelle initiée dans les années 1960. Personne d’autre que moi ne peut dire comment aimer.
Cette liberté absolue, cette autonomie, est, de principe, destructrice dans le polyamour. Si je suis seul, absolument seul, à décider qui j’aime, combien de temps, et de quelle manière, alors le consentement mutuel n’est pas nécessaire. Or le polyamour exige le consentement, détruisant ainsi la prétendue autonomie. Même dans le cas d’une liberté choisie à plusieurs, l’illusion de l’autonomie persiste. Si je peux sortir d’une relation polyamoureuse quand je le veux, ne vais-je pas par définition affaiblir l’un (ou l’une) de mes autres partenaires ? Si je reste dans la relation polyamoureuse simplement pour protéger l’un des partenaires émotionnellement plus faible, puis-je encore dire que je suis « libre » de choisir comment vivre ma relation amoureuse et sexuelle ? Ma liberté, mon autonomie, est compromise.
La vraie liberté n’est pas une autonomie
La vraie liberté n’est pas une autonomie. Avoir rendu synonymes liberté et autonomie, c’est probablement la conséquence à long terme la plus tragique de la révolution française. Si je suis vraiment libre, alors personne, absolument personne, ne peut me dire quoi que ce soit, à n’importe quel sujet. Le problème, c’est que la liberté, ce n’est pas cela. Dans le cadre d’une relation d’intimité, c’est plutôt un apprentissage de sacrifice de ma seule volonté en faveur de l’autre aimé. C’est là que la vraie liberté se trouve : dans une relation d’amour exclusive, monogame et hétérosexuelle.
Le sens de l’exclusivité
Le polyamour ne cesse de dire que la fidélité à plusieurs est tout à fait possible – autant que dans une relation monogame. D’ailleurs, vous dira-t-on, regardez les statistiques : en France, 45% des mariages finissent par un divorce. La monogamie n’est pas garante de la fidélité ! Bien sûr ! Mais il y a erreur sur la question. Il ne s’agit pas de savoir si la monogamie garantit le succès de la relation. Il s’agit de savoir si, de principe, le polyamour peut préserver la fidélité ou s’il ne peut le faire qu’en redéfinissant ce qu’est la fidélité. Cette dernière devient un accord moral passé entre les partenaires, accord que nous pouvons rompre à peu près à n’importe quel moment – si, du moins, les choses sont claires pour tout le monde. Ce qui est perdu dans cette transformation de la fidélité, c’est l’engagement de la vie entière de la personne.
La relation conjugale dans l’Écriture, associe intimement fidélité et exclusivité
Par contraste, la relation conjugale dans l’Écriture, associe intimement fidélité et exclusivité. La théologie biblique du mariage nous montre que ce dernier est une relation exclusive, ce qui veut dire deux choses. La première chose, c’est que l’exclusivité implique fidélité. La deuxième chose, c’est que l’exclusivité implique une relation unique. Une relation exclusive ne peut pas se vivre dans une relation non monogame. L’amour exclusif est dirigé vers une personne. Ainsi, la vraie liberté émotionnelle et sexuelle ne peut se trouver que dans un cadre d’exclusivité embrassant toute la personne. Tout ce que je suis est entièrement pour celui ou celle qui s’attache, s’engage, à et pour moi. Il y a une union et tout mon amour est dirigé vers cette personne qui, elle aussi, voit en moi celui ou celle appelé(e) à être aimé.
Le corps, le mariage et l’unité
Enfin, la possibilité même d’un amour fidèle et authentique à plusieurs partenaires ignore une réalité : l’amour est une union des corps, une union qui englobe l’intégralité de nos humanités. La Genèse en fait une partie intégrale de l’union de l’homme et de la femme : « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair. » (Gn 2.24) Jésus cite ce même verset dans son discours sur la répudiation (Matthieu 19.5). La séparation est réprouvée par Jésus en vertu de cette union intime. À propos des relations conjugales, Paul écrira ceci : « La femme n’a pas autorité sur son propre corps, mais c’est le mari ; et, pareillement, le mari n’a pas autorité sur son propre corps, mais c’est la femme. » (1 Co 7.4) Cette union, et non fusion, des personnes – union de corps, d’émotions, etc – est l’un des traits essentiels du mariage dans l’Écriture. Or, le polyamour, en divisant cette intimité entre plusieurs partenaires, compromet cette unité. Il est en effet impossible d’unir trois corps, au sens où l’Écriture l’entend.
Christ et son Église
Je terminerai sur la réalité fondamentale qui donne profondeur, signification et beauté à la relation qu’est le mariage. Cette réalité, c’est l’union entre Christ et son Église. Je l’ai déjà évoqué dans mon dernier post, mais il faut le rappeler encore. Il n’y a pas de plus grand amour, dans la vie humaine, que celui qui unit deux partenaires (et pas trois) pour l’éternité (et pas seulement pour un moment plus ou moins long) : Dieu, en Christ, se réconciliant le monde et entrant dans une relation d’amour et d’alliance avec son peuple. Dieu n’a pas plusieurs épouses. L’amour de Dieu est absolument exclusif. Dieu a voulu se marier à un peuple qu’il aime totalement et absolument, et il a désiré, et tout fait pour que ce peuple l’aime exclusivement en retour. C’est cette relation que nous sommes appelés à « imager » dans notre conjugalité.