Avez-vous déjà côtoyé ou collaboré, dans votre carrière professionnelle, avec des personnes compétentes mais ayant tendance à ne pas faire dans la dentelle, des fonceurs intraitables, qui accomplissent beaucoup mais semblent traverser des murs sans émotions ? Le roi David a été confronté à de tels caractères pendant toute sa vie : Joab et Abichaï, les fils de Tserouya. Cet article a pour but d’explorer comment le roi David les a « managés » (ou a manqué de les « manager »).
Des guerriers compétents
La Bible ne laisse planer aucun doute quant aux compétences militaires des fils de Tsejoura, des hommes courageux, issus d’une famille où les techniques de guerre et de combat semblent avoir été données avec le biberon. Quand David est poursuivi par Saül, Abichaï accepte de descendre dans le camp ennemi ; mais nous voyons, déjà à ce moment-là, que David va devoir canaliser l’énergie de cet homme qui souhaite immédiatement faire périr Saül et dont il s’avérera que ses initiatives (de même que celles de son frère) ne sont pas toujours empreintes de sagesse. Plus tard, Joab, Abichaï et leur frère Asaël se montrent braves dans l’affrontement contre l’armée de Saul, alors que David est déjà roi de Juda, mais pas encore de tout Israël (2 Samuel 2). Le genre d’hommes qu’il faut avoir dans son équipe.
Joab, un « employé modèle »…
Quand le roi David publie un « concours » pour voir qui sera le plus compétent pour devenir le chef de son armée, Joab remporte la qualification. Les succès de guerre de l’armée du peuple de Dieu avec Joab à sa tête semblent confirmer que c’était un bon choix. Le roi David peut s’appuyer entièrement sur les aptitudes de son chef d’armée, sans pour autant que Joab lui vole la gloire pour le travail accompli : en effet, quand Joab s’empare de la ville royale des Ammonites, il demande au roi David de mettre le dernier coup, de peur d’en tirer lui-même le mérite. Joab serait-il donc l’employé parfait du roi David ? Son « numéro 1 » de rêve ? Malheureusement, loin de là.
… mais visiblement incontrôlable
Au cours de la guerre civile entre David et Ich-Bocheth, le roi David s’attache les services d’Abner, ancien chef de l’armée de Saül, qui décide finalement de le rejoindre (2 Samuel 3). Mais Joab ne fait pas confiance à Abner et présente sa « théorie du complot » au roi. La question se pose alors : comment David va-t-il gérer cette divergence de vues ? Va-t-il afficher son désaccord avec Joab et défendre sa conviction que les motivations d’Abner sont bonnes ? Va-t-il communiquer clairement la marche à suivre à Joab ? Notre texte ne donne pas de réponses, mais une chose est sûre : Joab n’a aucune intention de se soumettre au jugement de David. Dans la suite des événements, Joab révèle un aspect très problématique de son caractère. Motivé par un sentiment de vengeance suite à la mort de son frère, il décide de tuer Abner, de manière lâche et perfide, dans le dos de David. Au passage, l’élimination d’Abner lui garantit que celui-ci ne pourra plus jamais faire de l’ombre à sa carrière professionnelle. Son frère Abichaï semble solidaire de ce meurtre (2 Samuel 3,30).
David, un chef avec assez de force de caractère ?
Comment David réagit-il à ce crime froid et calculé, qui n’est pas sans danger pour l’unité du peuple de Dieu ? Il prononce sa propre innocence et fait une imprécation sur Joab. Mais sa fonction royale n’aurait-elle pas nécessité davantage ? Joab ne mérite-t-il pas d’être sanctionné ? David ne devrait-il pas émettre au moins des réserves ou des conditions avant de laisser Joab se qualifier pour le poste du chef de l’armée ? Il apporte lui-même la réponse à ces questions, lorsqu’il déclare : « Je suis encore faible quoique j’aie reçu l’onction royale ; et ces gens, les fils de Tserouya, sont plus durs que moi » (2 Samuel 3,39). A ce moment-là, David n’a pas la force de caractère nécessaire pour s’imposer.
David, Joab et Abischai sont donc partis pour faire équipe ensemble, et Dieu ne manquera pas de donner du succès à leur entreprise. Le royaume se fortifie sous la houlette du roi David. Et dans ce contexte, la faiblesse managériale de David face à Joab va s’effacer naturellement grâce à l’organigramme en place.
Une relation dysfonctionnelle entre le « chef » et « l’employé »
L’épisode Bath-Chéba va cependant compromettre l’exemplarité de David en tant que chef, puisqu’il demande à Joab de faire mettre à mort un innocent, Urie, le mari de la femme avec laquelle David vient de commettre l’adultère. Ce crime affaiblira la crédibilité et la force dont David a besoin en tant que chef pour s’opposer à la tendance de Joab d’éliminer ses concurrents par le sabre.
Dans le tourbillon que cet évènement tragique va entraîner, nous découvrons que la relation entre David et Joab deviendra dysfonctionnelle. C’est particulièrement manifeste en ce qui concerne Absalom, le fils de David qui souhaite prendre sa place sur le trône… Après le meurtre d’Amnon par Absalom, Joab est celui qui prend l’initiative de faire bouger les choses pour le retour d’Absalom… mais il emploie une femme habile et met en scène une sorte de « pièce de théâtre » pour initier cette rencontre entre père et fils. N’est-il pas suffisamment proche de David pour lui faire des propositions en face-à-face ? Les propos de Joab en 2 Samuel 14,22 – « Aujourd’hui ton serviteur a connu qu’il a trouvé grâce devant toi » – semblent indiquer que Joab manque d’assurance et n’est pas confiant de jouir de l’approbation de son chef.
Puis, alors que la bataille contre Absalom se prépare, David supplie ses généraux d’épargner son fils. Joab fait fi de cet ordre et tue le fils du roi de sang-froid ; c’est effectivement le jugement que méritait Absalom, mais Joab décide d’agir de son propre chef, avec une certaine arrogance et un mépris ouvert de l’autorité de David. Cet épisode va accentuer la méfiance dans la relation entre David et Joab.
Coéquipiers ou adversaires ?
Abichaï ne semble pas en reste, et David répond assez durement à l’une de ses propositions, puisqu’il s’exclame : « Qu’ai-je à faire avec vous, fils de Tserouya, et pourquoi vous montrez-vous aujourd’hui mes adversaires ? » (2 Samuel 19,23). Cette réaction n’encourage guère un climat d’ouverture et de confiance, dans lequel l’employé se sent à l’aise pour poser des questions. D’autant plus qu’Abichaï a jusqu’ici fait preuve d’une grande loyauté envers David et va même bientôt lui sauver sa vie (2 Samuel 21,15-17). Joab et Abichaï sont censés être des coéquipiers de David, pas ses adversaires.
Cependant David continue à nourrir sa méfiance. Il tente de destituer Joab de sa fonction en tant que chef de l’armée, sans pour autant lui annoncer la raison de sa décision. Le nouveau chef, Amasa, finira… assassiné par Joab, dans des circonstances qui font penser au meurtre d’Abner, des années plus tôt. Joab n’a en rien changé ses habitudes et il continue à agir avec un détachement émotionnel qui fait froid dans le dos. Ainsi Joab reste commandant de « toute l’armée d’Israel » (2 Samuel 20,22-23), tout près de David.
Une fin tragique pour Joab
Mais malgré cette proximité physique, la distance émotionnelle et spirituelle entre David et Joab devient de plus en plus évidente et atteint des sommets lorsque Joab choisit d’embrasser la cause d’Adonija, un fils de David qui veut accéder au trône, alors que le roi a explicitement nommé Salomon comme son successeur. C’en est trop. Et, alors que David approche de sa mort et donne ses ordres à Salomon, il accuse Joab pour ses crimes commis contre deux chefs de l’armée d’Israël et demande à ce que les cheveux blancs de Joab ne descendent pas en paix dans le séjour des morts. Joab est mis à mort par Benayahou, un fidèle serviteur et employé de Salomon. L’Eternel a fait retomber sur Joab le sang versé.
Quelles leçons tirer ?
La relation entre David et les fils de Tserouya nous amènent à tirer des enseignements pour tout travail en équipe, que ce soit dans la famille, à l’Eglise ou dans un cadre professionnel. L’attitude de David nous interroge : on peut notamment se demander s’il aurait pu avoir une relation plus proche et plus amicale avec Joab. David est connu pour sa foi remarquable, son cœur doux et humble mais il manquait de force dans la confrontation du péché de ceux qui lui étaient proches.
C’est là que Joab était fort. S’opposer à l’ennemi, éradiquer le mal du milieu d’Israël était son appel, son pain quotidien. Le problème de Joab était qu’il voyait le mal partout, une sorte de déformation professionnelle, qu’il faisait preuve de violence et qu’il n’était pas un artisan de paix. Joab est l’exemple même du travailleur compétent et courageux, auquel il manque néanmoins l’humilité de se soumettre à Dieu et à ses supérieurs. Mais Dieu n’a-t-il pas donné les fils de Tserouya à David pour qu’ils le complètent, pour que David puisse apprendre de leurs forces tout en corrigeant leurs faiblesses ? David était-il en paix avec cette providence de Dieu ? Aurait-il pu être un Nathan dans la vie de Joab, le confrontant avec ses péchés pour l’emmener à la repentance, pour que cette relation dysfonctionnelle puisse devenir plus constructive ?
Ennemis ou amis de Dieu ?
Nos ennemis sont les ennemis de Dieu. Les ennemis de Dieu sont « ceux qui vont après la chair dans un désir d’impureté et qui méprisent l’autorité » (2 Pierre 2,10) : ils ne reconnaissent pas que le Seigneur Jésus-Christ, l’oint de l’Eternel, est roi dans leur vie. Dans ce sens, Abner et Amasa ont été, pour un temps du moins, des ennemis de Dieu, puisqu’ils n’ont d’abord pas reconnu l’autorité et le règne de David, l’oint de l’Eternel et précurseur de Jésus-Christ. Joab avait ses propres problèmes de soumission à l’autorité de David, tout en faisant partie de son équipe. Salomon a-t-il raison quand il conclut que la trajectoire de la vie de Joab est dans l’ensemble pire que celle d’Abner et d’Amasa, « deux hommes plus justes et meilleurs que lui » (1 Rois 2,32) ? David aurait-il pu davantage aider Joab dans sa sanctification… ou est-il l’exemple même de celui qui semble attaché à l’Oint de l’Eternel mais dont le comportement indique trop souvent le contraire ? Pourrons-nous un jour clarifier ces questions avec Joab lui-même au ciel ?