Il y a dans la Bible des récits choquants, des histoires de morts, de maltraitance, de violence. Dans notre lecture des Écritures, nous pourrions être tentés de nous habituer à ces termes. Imaginez parcourir le rayon « religion » d’une librairie Fnac ou sur Amazon. Vous allez vous retrouver plutôt avec des titres tels : « La clé de votre énergie », « Prendre soin de l’enfant intérieur », « Les secrets de l’amour divin », « La puissance de la reconnaissance », etc. Et imaginez que sur la même étagère, vous trouviez les titres suivants : « L’histoire de l’exécution de Monsieur Dupont, guillotiné » ou bien : « La gloire de la chaise électrique : récit d’une victime qui meurt en criant qu’il est abandonné par Dieu.” Quelle serait votre réaction ? « Ce livre est mal rangé ! » Effectivement. On a du mal à imaginer que la souffrance figure au rang des religions. Il n’est pas normal qu’un homme d’abord condamné par les Romains puis crucifié devienne le centre de l’histoire de l’humanité. Le graffiti d’Alexamenos, retrouvé dans le palais impérial de Rome, illustre bien la réaction face à l’anormalité de la croix : on y voit un homme crucifié, qu’on a affublé d’une tête d’âne. Près de la croix, un homme semblant prier. Cette caricature est une moquerie adressée aux chrétiens du 1ersiècle : il n’est pas imaginable qu’on puisse adorer un Roi qui a été crucifié.

Mais la croix est centrale dans la Bible. Elle présente le week-end de Pâques comme le week-end le plus important de l’histoire. « En ce qui me concerne, jamais je ne tirerai fierté d’autre chose que de la croix de notre Seigneur Jésus-Christ. » (Galates 6.14). Ces paroles de l’apôtre Paul, nous devons encore et encore nous les redire : que nous ne tirions pas notre fierté d’autre chose que de la croix de notre Seigneur Jésus-Christ. Martin Luther lui-même a dit : « Si quelqu’un médite la passion du Christ un seul jour, même une heure, nous dirons ouvertement que cela est mieux que de jeûner une année entière, de prier tous les psaumes… car cette méditation transforme l’homme dans son être. »
En cette période de Pâques, saisissons l’occasion de méditer sur la mort de Jésus. Je nous invite à porter nos regards sur la 4è parole que Jésus a prononcée à la croix.
« Vers trois heures de l’après-midi, Jésus s’écria d’une voix forte : ‘ Eli, Eli, lama sabachthani ?’ – c’est-à-dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Matthieu 27.46). C’est la seule phrase de Jésus sur la croix que Matthieu rapporte dans son évangile. Elle est si importante que Matthieu nous la donne également dans sa version originale, en Araméen.
Quelles questions ce cri nous inspire-t-il ? Quelles vérités ce cri nous révèle-t-il ?
1. Jésus a-t-il vraiment été abandonné par Dieu ?
Ces mots étaient familiers, car ils se trouvent dans l’Ancien Testament. Jésus cite le Psaume 22. C’était une expérience du roi David, un moment très noir de sa vie. Il a écrit un psaume à cet effet, “Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné” :
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
Pourquoi t’éloignes-tu sans me secourir, sans écouter mes plaintes ? (Psaume 22.2)
Il n’est pas imaginable qu’on puisse adorer un Roi qui a été crucifié.
Est-ce que Dieu a vraiment abandonné Jésus ? Parce que Dieu n’a finalement pas abandonné le roi David. Il avait ce sentiment, qui, en soit, est très lourd. Est-ce que Jésus avait juste ce sentiment à la croix ? La meilleure manière de comprendre ce verset est la suivante : Jésus était en train d’accomplir le plein sens du sentiment de David. Dans un mystère insondable, Jésus a été véritablement abandonné par son Père tout en restant véritablement Dieu.
Jésus a l’identité divine, Jésus est Dieu. Dieu est trinitaire. Tout en gardant sa nature divine, Jésus a été véritablement abandonné dans la relation parfaite qu’il avait avec Dieu le Père depuis toute éternité. Comme Paul Wells l’exprime :
« L’abandon est réel. Pire, c’est Dieu lui-même qui abandonne son Fils, qui le livre aux ténèbres… C’est un mystère impossible à percer puisqu’aucun autre homme n’a suivi ce chemin. »[1] Jean Calvin le formule ainsi : « On ne peut pas imaginer un abîme plus effrayant que de se sentir délaissé par Dieu et abandonné de lui, de ne pas en recevoir d’aide quand on l’invoque… Jésus-Christ en a été au point qu’il a été contraint, tant l’angoisse le pressait, de crier, “mon Dieu mon Dieu, pourquoi m’a tu abandonné ?” » (Inst. 2.16.11)
Jésus a vraiment été abandonné du Père.
Tout en gardant sa nature divine, Jésus a été véritablement abandonné dans la relation parfaite qu’il avait avec Dieu le Père depuis toute éternité.
2. Pourquoi Jésus a-t-il été abandonné par le Père ?
Je ne sais pas exactement comment Jésus a vécu cet abandon, mais je sais pourquoi. Pourquoi Jésus a-t-il poussé ce cri ? Jésus était innocent. La raison est le fait que nous sommes là témoins d’un terrible et merveilleux échange : Jésus subissait le jugement de Dieu comme un pécheur. Comme un coupable. Matthieu nous montre la souffrance, les autres versets dans la Bible l’expliquent. Parmi les plus clairs, relevons Galates 3.13 : « Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi en devenant malédiction pour nous, puisqu’il est écrit : Tout homme pendu au bois est maudit. » Jésus a été maudit par Dieu. Il a entendu son Père lui dire : « Sois maudit, va en enfer ! » L’apôtre Paul le formule ainsi : « [En effet,] celui qui n’a pas connu le péché, il l’a fait devenir péché pour nous afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu. » (2 Corinthiens 5.21)
Si on imagine être là, à Jérusalem, à quel moment ces mots ont-ils été prononcés ? Le vendredi de Pâques. Selon Josèphe, il y avait environ 200 000 brebis apportées à Jérusalem pour l’occasion. A trois heures de l’après-midi, le sacrifice avait lieu. Le sang coulait alors à flots à Jérusalem, mais à ce moment précis, à l’extérieur de la ville, le cri d’un homme s’est fait entendre : “Pourquoi m’a tu abandonné ?”
Ce cri nous rappelle trois vérités :
1. Ce cri me rappelle la gravité de mon péché
Jésus a pris notre place. Il a subi le jugement que nous méritions. Et pourtant, beaucoup diront : « Quand même, la crucifixion n’est-elle pas un peu exagérée ? La séparation d’avec Dieu aussi ? »
C’est sans compter sur le sens de la gravité d’une offense. Cette dernière s’évalue en fonction de la valeur de l’objet impliqué ou de la personne offensée. Imaginez rouler à moto : vous écrasez une fleur. Un papillon. Un chien. Une personne. La gravité ne sera pas la même, tout dépend de la valeur de l’objet ou de la personne impliquée. Dans le cas dont nous parlons ici, Dieu est parfait et sa valeur est infinie. C’est lui l’offensé, c’est lui qui est blessé et bafoué par notre péché. On peut donc en déduire que notre culpabilité est infinie.
Comprenez-vous la gravité du péché ? De votre péché ? Mesurons-nous le poids infini de notre rébellion contre Dieu ? Il n’est rien dans tout l’univers qui révèle la gravité de nos offenses contre Dieu autant que la croix. Il n’y avait que cette solution. La veille, Christ avait prié : « Mon Père, si cela est possible, que cette coupe s’éloigne de moi ! » (Matt 26.39). Ce n’était pas possible. Pour sauver l’humanité, il n’y avait pas d’autre moyen que la croix.
Dieu est parfait et sa valeur est infinie. C’est lui l’offensé, c’est lui qui est blessé et bafoué par notre péché. On peut donc en déduire que notre culpabilité est infinie.
2. Ce cri nous rappelle que Jésus connaît la souffrance
C’est extraordinaire, le fils de Dieu lui-même est mort avec cette question sur ses lèvres : pourquoi ?! POURQUOI Dieu l’a-t-il abandonné ?
La réalité de la souffrance est quelque chose qui touche nos vies tôt ou tard. Et pour certains, elle touche la vie avec un poids terrible.
La Bible donne quelques pistes de réponses mais, en fin de compte, nous n’avons pas de réponse claire. Le verset dont on parle ne donne pas de réponse, mais il nous rassure : Dieu lui-même a connu les pires souffrances.
Jésus a pleinement goûté à l’enfer. Il a accumulé les souffrances physiques, il a connu des souffrances psychiques, il a connu des souffrances de solitude. Personne n’a jamais connu la solitude comme Jésus au moment précis où il s’est retrouvé pendu au bois.
Jésus a connu la honte
Jésus a connu la solitude
Jésus a connu les moqueries des autres
Jésus a connu le fait d’être mal compris
Jésus a connu l’injustice
Jésus a connu la souffrance physique
Les gens argumentent souvent : « Comment Dieu peut-il nous juger ? Que sait-il, lui, des souffrances que nous avons endurées ? »
Un sketch intitulé « The Long Silence » et cité par John Stott[2] met en scène tous types de personnes assemblées devant le trône de Dieu. Plusieurs s’insurgeaient, disant que Dieu ne sait rien des souffrances qu’ils ont endurées, lui qui était bien protégé dans son ciel. Ils voulaient donc, avant d’être jugés par Dieu, que ce dernier endure les mêmes peines qu’eux, en venant les vivre sur terre. Voici leurs exigences : « ‘Qu’il naisse juif. Que la légitimité de sa naissance soit mise en doute. Qu’on lui fournisse un travail si difficile que même ses proches le traiteront de fou lorsqu’il s’efforcera de l’accomplir. Qu’il sache ce que c’est que d’être trahi par ses amis intimes. Qu’il soit faussement jugé par un tribunal qui a des partis pris, et condamné par un juge lâche. Qu’il connaisse le goût de la torture. Enfin, qu’il fasse l’expérience de la solitude la plus totale. Puis, qu’il passe par la mort, mais de manière à ce qu’il ne puisse subsister aucun doute quant à sa réalité. Que beaucoup de témoins s’en assurent’. Au fur et à mesure que les délégués énonçaient les différentes sanctions du verdict, la foule les ponctuait d’un murmure approbateur qui allait toutefois en decrescendo. À l’énoncé du dernier châtiment, ce fut le silence complet. Pas le moindre bruit. Pas le moindre mouvement. Car soudain chacun venait de réaliser que Dieu avait déjà subi cette condamnation. »
Alors oui, Dieu a connu la souffrance. Il sait ce que c’est.
3. Ce cri nous révèle la grandeur de l’amour de Dieu
Jésus est allé à la croix volontairement. Il voulait donner sa vie. Si Jésus a enduré le rejet de Dieu, la malédiction de Dieu, c’était afin que nous, pécheurs, nous ne subissions jamais ce jugement. Jésus a été abandonné, afin que moi, je sois accepté.
Jésus a subi l’abandon du Père, afin que jamais nous ne le subissions.
Rien, non, rien ne peut me séparer de l’amour de Dieu si Christ a payé ce prix pour moi. « Mais voici comment Dieu prouve son amour envers nous : alors que nous étions encore des pécheurs, Christ est mort pour nous. » (Romains 5.8)
Corrie Ten Boom, qui avait connu l’horreur des camps de concentration de Ravensbrück, a pu écrire : « Il n’y a pas de fosse si profonde que Dieu ne s’y trouve pas ; avec Jésus, même pendant nos heures les plus sombres, le meilleur est là et ce qui est vraiment meilleur est à venir. »
La croix révèle une logique de l’amour : la profondeur de la souffrance manifeste la grandeur de son amour. C’est précisément cette logique qui a bouleversé les premiers chrétiens, eux qui connaissaient de près l’horreur d’une crucifixion. Si Dieu a volontairement accepté une telle souffrance pour me délivrer, je peux vivre confiant dans son amour, quoi qu’il arrive.
En cette semaine de Pâques, relevons le défi de nous émerveiller à nouveau devant la croix – et devant le cri de Jésus, à la fois terrible et glorieux. Jésus a subi cet abandon afin qu’aujourd’hui, je vive chaque jour avec l’immense assurance que mon Père ne m’abandonnera jamais.