Le miracle des réseaux sociaux, c’est que nous pouvons continuer d’être surpris. Ou du moins … continuer d’apprendre. Un commentaire dans une excellente série vidéo de Kurious a attiré mon attention[1]. Le sujet ? Un classique en apologétique. Il s’agit du problème du mal. Si le mal existe, comment expliquer la coexistence d’un Dieu de bonté et tout-puissant ? Je vous disais qu’il s’agissait d’un classique. Il n’y a probablement pas une génération de chrétiens qui ne se soit pas posée cette question.
Le règne de l’absurdité
Au cours d’un bref échange avec Kurious à propos de la présence du mal dans le monde, un utilisateur conclut : « Si le monde est absurde, l’existence du mal s’explique bien. » Et par « bien », il veut dire de manière satisfaisante. Voilà quelques mots qui m’ont surpris. J’ai lu quantité de blogs, d’articles et de livres ; j’ai écouté des podcasts et des conférences sur le problème du mal. Ce n’est donc pas le sujet qui est surprenant. Ce n’est pas non plus l’idée que le monde serait absurde. Il y a plusieurs courants athées et nihilistes qui affirment que ce monde est absurde, bien qu’ils proposent des attitudes différentes, de l’acceptation fataliste à la révolte chère à Albert Camus.
Non, ce qui est une première, c’est, en quelques mots seulement, de dire que l’absurdité du monde est la meilleure solution à l’existence du mal et de la souffrance. Pour beaucoup de philosophes athées, ce n’est pas le cas. Le monde est absurde, c’est une observation : il n’a tout simplement pas de sens. Quoi que nous en disions, quelles que soient les théories philosophiques, c’est absurde. Franchir un pas supplémentaire en disant que cette observation est une explication satisfaisante à l’existence du mal est… disons, osé.
Le constat de cette personne se poursuit :
« De fait, l’homme naît dans un monde où le mal lui pré-existe. Il n’a donc pas d’autre choix que ‘faire avec’, puisqu’il n’a pas le pouvoir de lutter pleinement contre. J’ajouterais même que l’homme ne sait pas ce qu’est un monde sans maux. Comprendre l’origine du mal lui permettrait au moins de mieux supporter sa présence, tout en lui donnant une motivation pour lutter contre. »
Le mal fait donc pleinement partie du monde dans lequel nous vivons. Observant le monde où le mal ravage pays, villes, familles, et personnes, je comprends la conclusion. D’ailleurs la réponse biblique me semble être un « oui » et « non ». Oui, personne ne peut échapper à la présence du mal. Non, le mal ne pré-existe pas à toute l’humanité. C’est d’ailleurs l’espérance chrétienne !
Que nous ne puissions pas expliquer totalement le mal, nous sommes d’accord. D’ailleurs une saine théologie ne dira pas autrement. Là où la foi chrétienne dit tout autre chose… c’est lorsqu’elle affirme la merveilleuse espérance qu’un monde où le mal est absent existait, et existera.
Il faudrait donc oublier toute tentative d’expliquer totalement et rationnellement le mal. Il existe, c’est tout. Du coup, le monde est absurde. Il nous suffit d’accepter cela et d’être en paix. Voilà la meilleure solution. La seule solution.
C’est là, précisément là, que notre parole doit se faire entendre. L’espérance chrétienne rayonne d’une manière inattendue. Si nous ne pouvons pas expliquer totalement et rationnellement l’existence du mal, nous n’avons pas à accepter sa « pré-existence », pas plus que nous n’avons à nous soumettre à l’absurde.
La persistance du Bien
Je me demande parfois si le constat selon lequel le monde est absurde n’est pas un signe d’aveuglement. Je ne parle pas d’aveuglement spirituel, bien que tout rejet du Dieu de l’Écriture soit un aveuglement spirituel. Paul le montrera bien dans sa lettre aux Romains : Dieu a livré les hommes au péché de leur cœur (Romains 1.24-25).
Ici, je me demande s’il n’y a pas aussi un aveuglement psychologique. Certains de nos contemporains marchent, voient, ressentent et ne peuvent qu’être accablés par l’omniprésence du mal, de la douleur, de la trahison, de la suspicion, ou de l’abandon. L’absurdité du monde leur est radicalement manifeste parce que le mal prédomine en toutes choses. Bien sûr, il est possible que ce ne soit qu’un prétexte pour refuser d’accepter que Dieu les poursuit de sa grâce.
Il est aussi possible qu’ils soient réellement convaincus de cette absurdité. Et alors oui, c’est tragique… mais ils sont incapables de voir le Bien. Cette incapacité peut surprendre : après tout, même dans un monde déchu, même avec la présence du mal en chacun de nous, le Bien est présent dans le monde. Il ne peut en être autrement, car le Dieu bon et généreux, Dieu créateur de tout bien, n’a pas abandonné ce monde qui lui appartient.
À cause de sa bonté commune, qui restreint les effets dévastateurs du péché, nos voisins, nos amis, tous nos contemporains sont capables de générosité, d’altruisme, d’amour … de sacrifice. Ils peuvent être pour nous les meilleurs amis que nous pourrions souhaiter avoir, toujours prêts à nous venir en aide. Ils peuvent être sages et nous donner des conseils précieux. Ils viennent en aide aux plus faibles, participent à l’aide humanitaire en zones de guerre. Ils mettent parfois leur vie en danger pour aider les autres.
Et pourtant… le monde est absurde, n’est-ce pas ? Aider un ami, c’est absurde : c’est faire le bien dans un monde pétri de mal ! Pourquoi notre action serait-elle autre qu’absurde si c’est bien ainsi que le monde est fait ? Le mal est absurde, le monde est absurde, mon action est absurde. Y compris l’action humanitaire grâce à laquelle des millions de personnes ne meurent pas de faim. Vous voyez à quel point cette affirmation radicale de l’absurdité du monde est… absurde !
Le chrétien voit avec le regard de la foi, les yeux de l’espérance, sous la lumière de la grâce de Christ, marchant vers la gloire scintillante du royaume. Le chemin est difficile. Nous tombons, nous souffrons, nous doutons même parfois. Paul décrivait son ministère en ces termes lorsqu’il écrivait aux Corinthiens :
« Nous portons ce trésor dans des vases de terre, afin que cette puissance supérieure soit attribuée à Dieu, et non pas à nous. Nous sommes pressés de toute manière, mais non écrasés ; désemparés, mais non désespérés ; persécutés, mais non abandonnés ; abattus, mais non perdus ; nous portons toujours avec nous dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus se manifeste dans notre corps. Car nous qui vivons, nous sommes sans cesse livrés à la mort à cause de Jésus, afin que la vie de Jésus se manifeste aussi dans notre chair mortelle. » (2 Corinthiens 4.7-11)
Le mal ne nous détruira pas, il n’aura pas raison de nous, car c’est le Bien qui pré-existe et qui remplira un jour de nouveau le monde. Gardons les yeux fixés sur le Seigneur, car il revient pour détruire entièrement et définitivement le mal.