1 – Le concept de « séparation »
Le concept de « séparation » apparaît dans cet ouvrage qui a fait date : La Société du Spectacle, publié en 1967. Guy Debord (1931-1994) fut un intellectuel d’extrême gauche, militant, et précurseur, parmi d’autres, de Mai 68. Il a entrepris un travail d’analyse du mode de fonctionnement du système capitaliste, au cœur duquel on trouve ce concept de « séparation » : celle de l’homme et du monde réel.
Guy Debord fait le constat de la domination progressive de l’économique sur l’humain. Lorsqu’il parle de « société du spectacle », le terme de « spectacle » ne doit pas être entendu dans le sens courant. Il n’est pas question du monde du spectacle. Le « spectacle », dans sa pensée, désigne un certain mode de perception de la réalité. Il est la diffusion généralisée de la perception capitaliste de la réalité. Le réel est transformé en marchandise, regardée comme un spectacle.
Debord évoque « l’aliénation du spectateur au profit de l’objet contemplé ». Celle-ci « s’exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes des besoins, moins il comprend sa propre existence et son propre désir. L’extériorité du spectacle par rapport à l’homme agissant apparaît en ce que ses propres gestes ne sont plus à lui, mais à un autre qui les lui représente. C’est pourquoi le spectateur ne se sent plus chez lui nulle part, car le spectacle est partout. (1)
Le spectacle met donc l’homme hors du monde réel. Il s’en voit séparé.
2 – Actualisation du concept
Cette actualisation, Debord l’a opérée lui-même, vingt ans après, en 1988, dans les Commentaires sur la Société du Spectacle. En fait, il ne fait que constater l’aggravation du phénomène qu’il avait perçu.
Je le cite : « Le changement qui a le plus d’importance, dans tout ce qui s’est passé depuis vingt ans, réside dans la continuité même du spectacle. Cette importance ne tient pas au perfectionnement de son instrumentation médiatique (…) : c’est tout simplement que la domination spectaculaire ait pu élever une génération pliée à ses lois. » (2) Entendons bien le constat négatif : une génération entière se voit pliée aux lois de la consommation du réel comme d’une marchandise.
Debord va plus loin encore : « Le spectacle s’est mélangé à toute réalité, en l’irradiant. Comme on pouvait facilement le prévoir en théorie, l’expérience pratique de l’accomplissement sans frein des volontés de la raison marchande aura montré vite et sans exceptions que le devenir-monde de la falsification était un devenir-falsification du monde. » (2)
Arrêtons-nous encore sur cette expression du « devenir-falsification du monde ». C’est une reformulation du mal diagnostiqué par Debord : il y avait une réalité du monde, à laquelle l’homme était relié, mais, à cause de ce que Debord nomme « la raison marchande », agissante dans le système capitaliste, le monde a été faussé, il s’est « marchandisé », « spectacularisé » et ce qui règne donc, c’est le mensonge, lié à l’Argent. Le rapport de l’homme au monde est devenu un rapport de plus en plus dénaturé.
L’homme contemporain est toujours immergé dans le « spectacle », soit : dans l’univers marchand.
3 – Perspective biblique
Jésus a déclaré : « Nul ne peut servir deux maîtres car ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon. » (Matthieu 6 :24) Mamon désigne une « personnification de la richesse ». (3)
Debord nous présente un homme asservi au tout-économique, victime de la « raison marchande », certes, mais consentant. Il parle d’une génération entière pliée à ses lois ». Donc aveuglée. La Bible relie souvent le mensonge et l’aveuglement. Génération aveuglée.
Que faut-il voir à nouveau ? Mais simplement, le réel, le monde réel. Jésus ne dit-il pas ? « Regardez les oiseaux du ciel » (Matthieu 6:26) ? Non pas l’image des oiseaux, mais les oiseaux ! Quelle leçon en tirer ? « Ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n’amassent rien dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit » (idem). Jésus cherche à tirer l’être humain hors des inquiétudes matérielles, pour le manger, ou le vêtement… Consommer le réel n’est pas le but premier de la vie.
L’être humain n’est pas condamné au mensonge de la séparation. Il y a une vérité du monde, à redécouvrir, à goûter, dans sa beauté, et en toute simplicité.
(1) La Société du Spectacle Folio 2788
(2) Commentaires sur la Société du Spectacle Folio 2905
(3) Nouveau dictionnaire biblique Éditions Emmaüs