Les désaccords dans l’Église me découragent ces derniers temps. Non pas leur existence, ceux-ci étant à prévoir. Depuis l’époque de l’Église primitive, nous avons vécu avec des désaccords. Je parle ici de la façon dont nous gérons les débats.
Les débats surgissent à chaque fois que nous rencontrons des chrétiens fidèles à la Bible qui sont d’accord sur les bases de la foi mais en désaccord sur la façon de classer les plus grands dangers auxquels l’Église fait face aujourd’hui, ou sur la façon d’être les meilleurs intendants de nos ressources, ou sur la façon de « faire Église », ou sur la façon d’interagir avec des sources séculières de sagesse, ou sur la façon de déterminer les priorités politiques, ou sur la façon de répondre aux manquements pastoraux. Ces débats dégénèrent souvent en querelles lorsque nous supposons que ces zones de désaccords représentent un compromis des bases mêmes de la conviction chrétienne.
Et s’il y avait une meilleure façon d’explorer ces désaccords ? Il y a des choses à apprendre en observant le travail de la mission transculturelle, lorsque les convictions bibliques et les valeurs fondamentales sont au premier plan des chocs culturels.
Tatouages et adultère
Dans leur livre juste à propos, « Une conviction bienveillante : être en désaccord sans diviser l’Église. », Tim Muehlhoff et Richard Langer offrent un exemple de choc culturel. Ils racontent l’histoire d’Amy Medina, une missionnaire américaine en Tanzanie dont le mari enseignait un cours sur le développement d’une vision biblique du monde. D’une façon ou d’une autre, le sujet des tatouages est arrivé, et la classe a réagi si négativement à l’idée qu’un chrétien se fasse tatouer que le missionnaire a demandé : « Qu’est-ce qui vous ennuierait le plus : si un pasteur se faisait tatouer, ou s’il commettait l’adultère ? » La classe était unanime. Le tatouage serait bien plus dérangeant !
Que se passe-t-il donc ? A première vue, si vous êtes un chrétien occidental (en particulier un qui porte des tatouages), vous pourriez trouver difficile de comprendre les raisons qui amèneraient ces étudiants à conclure que le tatouage est pire que l’adultère. Vous pourriez balayer le débat en le considérant comme l’expression d’un certain syncrétisme ou celle d’une nouvelle forme de légalisme bien étrange. Pire encore, vous pourriez renforcer un ethnocentrisme subtil, dans lequel vous supposeriez que la réponse des croyants tanzaniens est « retardée » en comparaison avec la vision plus « éclairée » que vous avez, vous, en tant qu’occidental.
De la même façon, lorsque vous rencontrez des croyants qui ont des convictions différentes des vôtres sur une large gamme de sujets, vous pouvez tout d’abord vous sentir choqués de ce désaccord. (Je connais beaucoup de chrétiens qui étaient consternés à l’idée que n’importe quel croyant authentique puisse voter pour Donald Trump, et je connais beaucoup de chrétiens qui étaient tout aussi stupéfaits à l’idée que n’importe quel croyant authentique puisse ne pas voter pour lui.) Vous pouvez en déduire que votre désaccord est dû au compromis que fait l’autre personne, ou au syncrétisme, ou au légalisme, ou à l’autojustification. Ou bien vous pouvez, tout comme ce missionnaire en Tanzanie l’a fait, creuser plus loin afin de voir les racines sous-jacentes de la passion des étudiants vis-à-vis des tatouages.
La majorité des lecteurs de la Bible occidentaux croient que l’interdiction du tatouage n’est plus d’actualité aujourd’hui, mais les Tanzaniens croient que ces deux interdictions sont toujours d’actualité, et, de façon surprenante, croient que le tatouage représente quelque chose de bien pire que l’adultère
Aller plus loin
Dans l’exemple susmentionné, alors que la conversation progressait, le missionnaire a reconnu que l’Écriture interdit de façon explicite à la fois les tatouages et l’adultère (Lev 19.28, Deut 5.18). La majorité des lecteurs de la Bible occidentaux croient que l’interdiction du tatouage n’est plus d’actualité aujourd’hui, mais les Tanzaniens croient que ces deux interdictions sont toujours d’actualité, et, de façon surprenante, croient que le tatouage représente quelque chose de bien pire que l’adultère. Muehlhoff et Langer expliquent l’état d’esprit des étudiants :
« Les tatouages sont associés à la sorcellerie et aux esprits mauvais. Un tatouage, quelles que soient les intentions de la personne, est une marque d’appartenance placée sur votre corps qui, soit confirme l’influence d’un sorcier ou d’un esprit mauvais sur votre vie, soit au minimum implique ou invite une telle influence. L’adultère est un péché, mais, assurément, même les Occidentaux croient qu’il est pire pour un pasteur de s’identifier publiquement à un esprit mauvais. » (p69)
Pour clarifier les choses, les étudiants n’étaient pas favorables à l’adultère. Cependant, ils croyaient que, parce que l’adultère survient hors de la scène publique et qu’il est géré dans la sphère privée, le péché d’adultère n’amènera pas la honte sur la famille ou sur l’Église à un même niveau que le tatouage.
« Les tatouages, en revanche, sont des signes visibles d’allégeance à des esprits mauvais ou à des sorciers tribaux. Culturellement, le tatouage proclame que Jésus n’est pas réellement mon Seigneur, mais qu’une autre personne ou qu’un autre esprit l’est. » (p69)
Le terrain d’entente
Il serait malvenu de la part des Tanzaniens, qui reculent devant l’attachement des Occidentaux pour les tatouages, de traiter d’apostats les frères et sœurs occidentaux qui voient cette situation différemment. Il serait également malvenu de la part du missionnaire américain, qui trouve difficile de comprendre la façon dont ces étudiants classent la gravité des péchés, de rejeter leurs préoccupations. Une meilleure approche, comme le montrent Muehlhoff et Langer, est d’explorer l’éventail des convictions pour clarifier au mieux la nature du désaccord.
Que devrions-nous penser de ce conflit ? Les étudiants et le missionnaire sont d’accord sur le fait que la Parole inspirée de Dieu est leur autorité finale. Les étudiants pourraient croire que les Occidentaux ne prennent pas la Parole de Dieu au sérieux parce qu’ils ont l’air d’être d’accord avec les tatouages, mais une approche plus sage consisterait à supposer le meilleur de leurs frères et sœurs chrétiens et de trouver un terrain d’entente à partir duquel travailler.
Clarifier les vrais désaccords
Commencer sur un terrain d’entente nous aide à voir plus clairement où se trouve le vrai désaccord. Une zone se présente rapidement d’elle-même : les principes que nous utilisons pour appliquer les commandements bibliques au travers des contextes historiques et culturels, ainsi que la différence entre les alliances. Au fil de la discussion, il devient évident que le débat ne porte pas sur l’autorité de l’Écriture, mais sur la façon dont nous interprétons ce commandement de l’Ancien Testament.
Un autre point est l’emphase que les étudiants mettent sur le combat spirituel. La fidélité d’un conjoint est un mandat moral, sans nul doute, et briser ses vœux d’engagement est un échec moral. Le tatouage, cependant (en tout cas dans cette culture), est un signe public d’allégeance à un sorcier, à un esprit mauvais ou à quelque chose de surnaturel. Les Occidentaux pourraient objecter qu’il ne faut pas voir tous les tatouages avec la préoccupation culturelle africaine, tandis que les Tanzaniens pourraient objecter que les Occidentaux sous-estiment ou négligent trop souvent les dynamiques du combat spirituel. (Cette discussion transculturelle sur l’importance ou le peu d’importance à accorder aux puissances et aux principautés spirituelles est un sujet auquel j’ai dédié plusieurs articles par le passé.)
Une troisième zone de désaccord surgit de la différence qu’il y a entre vivre dans une culture basée sur le schéma « coupable/innocent » et une culture basée sur le schéma « honneur/honte ». C’est la raison principale pour laquelle les étudiants croyaient qu’un tatouage était un bien plus grand scandale que l’adultère. « La culpabilité devant la loi opposée à la honte devant la communauté est évaluée de façon différente dans les deux cultures, » écrivent Muehlhoff et Langer (p71).
Mieux débattre
Comment les Occidentaux et les Tanzaniens devraient-ils poursuivre ce débat ? Eh bien, une discussion de fond nécessiterait que chaque camp identifie où le conflit se situe réellement. Vous commencez sur le terrain d’entente puis vous partez de là pour clarifier la nature des différences. Dans l’exemple cité, le désaccord provient du principe avec lequel nous interprétons et nous appliquons les commandements de l’Ancien Testament ainsi que de certaines valeurs fondamentales : la manière dont nous soulignons l’importance du combat spirituel, de la fidélité sexuelle et de l’honneur et de la honte au sein d’une communauté.
Une discussion de fond nécessiterait que chaque camp identifie où le conflit se situe réellement. Vous commencez sur le terrain d’entente puis vous partez de là pour clarifier la nature des différences.
Muehlhoff et Langer concluent :
« L’éventail des convictions n’élimine pas les désaccords mais permet plutôt de les localiser et de les clarifier. Le but recherché est que l’appréciation du terrain d’entente pose un fondement pour le respect des convictions différentes. Cela ouvre la porte à d’autres conversations et, espérons-le, à des compromis respectueux, dans la lignée de ce que Paul suggère lorsqu’il exhorte ceux qui sont plus forts dans la foi à ne pas exhiber leur liberté et ceux qui sont plus faibles à ne pas juger leurs frères. » (p72)
Pourquoi, en cas de désaccord, les chrétiens ici en Occident ne pourraient-ils pas suivre la même approche ? Au lieu de lancer des grenades, d’accuser, et de supposer le pire sur nos frères et sœurs qui voient les choses différemment, prenez du recul. Construisez sur le terrain d’entente que vous partagez concernant les bases de la foi chrétienne. Prenez le temps d’explorer les problèmes fondamentaux sous-jacents pour pouvoir clarifier où se situe le vrai désaccord : dans la zone des principes et des valeurs essentielles. C’est à ce moment-là que vous pourrez avoir une discussion et un débat fructueux, parce que vous débattrez vraiment sur la question et vous ne vous précipiterez pas pour rejeter ceux qui pensent différemment.
Est-ce que cette approche résoudra toutes nos différences et nos désaccords ? Bien sûr que non. Mais peut-être serons-nous mieux équipés pour être en désaccord sans diviser l’Église.