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« Tout, mais pas la maison de retraite ! » me disait l’autre jour une de mes patientes. À d’autres, quand je demande « Comment allez-vous ? », j’entends : « Comme un petit vieux… ». Et le conseil qui revient sans cesse ? « Ah, faut pas vieillir, hein ! »

Vous l’aurez compris, je rencontre beaucoup de personnes très âgées. Ce qu’on appelle aujourd’hui le quatrième âge.

Ce qui est dur pour elles, c’est la douleur quotidienne : l’arthrose, les varices, les anciens accidents ou fractures qui se rappellent à elles.
Ce qui est dur, c’est aussi la lenteur : chaque geste demande du temps, chaque mouvement peut devenir risqué, et la moindre chute peut avoir de graves conséquences.
Ce qui est dur, c’est encore de ne plus se rappeler le nom d’une rue qu’elles essaient de m’indiquer. La mémoire, elle aussi, devient moins fiable.

Mais ces douleurs ne sont pas ce qui pèse le plus sur leur cœur. Leur véritable épreuve, la plus redoutée, c’est la dépendance.

Ne plus pouvoir conduire. Ne plus régler ses factures en ligne. Ne plus donner un coup de main à ses enfants, ni entretenir sa maison. Autant d’actes simples, évidents hier encore, qui s’effacent peu à peu. Et à cela s’ajoute une réalité parfois plus lourde encore : devoir sans cesse demander.
Demander à la société, pour obtenir des aides financières ou administratives. Demander à des professionnels qu’il faut rémunérer : auxiliaires de vie, femmes de ménage. Demander à des inconnus, pour porter un sac trop lourd ou attraper un pot de confiture placé trop haut.
Et puis demander à ceux-là mêmes dont ils ont un jour changé les couches, mouché le nez, accompagné les premiers pas. Ceux pour qui ils ont travaillé dur, afin qu’ils deviennent autonomes et quittent le nid.

Le monde dans lequel nous vivons valorise avant tout l’indépendance et la performance… Cette culture ajoute de la souffrance à la souffrance.

Le monde dans lequel nous vivons, si différent des sociétés orientales où la vieillesse est signe de sagesse et où l’on prend soin des anciens, valorise avant tout l’indépendance et la performance. Cette culture ajoute de la souffrance à la souffrance. À la douleur physique et à la frustration quotidienne s’ajoute la honte. La honte de ne plus savoir faire seul ce qui paraissait évident. La honte de sentir que ses demandes sont accueillies par un soupir agacé. La honte encore d’être bousculé pour aller plus vite, parce que « les jeunes sont pressés ».

La dépendance est insupportable pour toutes les personnes âgées que je côtoie. Leur retour d’expérience fait froid dans le dos à tout jeune qui les écoute. On préfère ne pas y penser, et on suit leur conseil : « Profitez de la jeunesse ! »
Pourtant, préparons-nous : nous allons tous être dépendants un jour, bientôt pour certains.

Alors que cette perspective est peu réjouissante, je ne peux m’empêcher de m’interroger : à quoi sert cette phase finale de notre vie ?
Et si l’extrême vieillesse, loin d’être une épreuve inutile, était en réalité la dernière et peut-être la plus grande œuvre de transformation bienfaisante de notre Dieu ? Celle qui nous permet de ressentir dans notre chair, avant de le rencontrer face à face, ce que signifie être dépendants de lui, notre Créateur, notre Maître et notre Sauveur.

Soyons honnêtes : ce n’est pas lorsque nous sommes dans la force de l’âge que nous comptons le plus sur Dieu. Nous sommes, pour la plupart, capables, indépendants, forts, efficaces, productifs. À cause de cela, Dieu devient une sorte d’addition sympathique à notre compétence réconfortante et valorisante.

Mais Jésus dit : « Laissez venir à moi les petits enfants, ne les empêchez pas, car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent » (Matthieu 19:14).

Pourquoi les enfants ? Parce qu’ils savent qu’ils sont dépendants. Ils n’ont aucune honte à demander de l’aide à leurs parents. Ils savent qu’ils ne peuvent pas tout, et se tournent simplement vers celui qui peut davantage.

Dans le Royaume de Dieu, la honte est sur ceux qui se croient indépendants.

En grandissant, nous perdons cette attitude de cœur. La dépendance pour les enfants est une chose, mais pour un adulte, c’est d’avoir été productif, considéré, autonome, en position d’autorité, puis retomber dans un état de faiblesse qui est dur. Pourtant, pour la plupart d’entre nous, Dieu ne veut pas que nous arrivions au ciel “ au top de notre forme”, remplis de nos forces et de nos réussites. Car, en réalité, cela ne suffirait pas. Les valeurs du royaume sont inversées par rapport aux valeurs du monde. Dans le Royaume de Dieu, la honte est sur ceux qui se croient indépendants. La souffrance est pour ceux qui se sont crus forts.
Notre Père veut que nous entrions dans son royaume, dépendants de lui, et de l’œuvre de Jésus-Christ sur la croix, alors il ne nous laisse pas entrer forts, mais dépendants. 

Un jour, on sera vieux. Que nous puissions être de ces personnes qui proclame la grandeur des œuvres de Dieu aux générations suivantes, sa bonté et sa fidélité, même dans la dépendance la plus grande : l’extrême vieillesse. 

Nous pouvons dès aujourd’hui nous poser ces questions, pour voir si notre cœur est prêt pour la dépendance à Dieu dans la vieillesse :

Qu’est-ce qui me fait le plus peur dans le fait de vieillir ?

Quelles sont les choses que je considère comme fondamentales aujourd’hui, que j’ai peur de perdre un jour, au point ou cela pourrait me rendre aigri contre Dieu ?

Ces craintes sont-elles des craintes valides dans le royaume “inversé” de Dieu ?

Quelles sont les personnes âgées que j’admire autour de moi ? Pourquoi ?

Qu’est-ce que je voudrais que mes frères et sœurs dans l’église apprennent de moi quand je serai très âgé ? 

Ne m’abandonne pas, ô Dieu, malgré ma vieillesse et mes cheveux blancs, afin que j’annonce ta force à la génération présente, ta puissance à tous ceux qui viendront !
Psaumes 71.18

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