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Nous reproduisons ci-dessous le texte d’une conférence apportée par le directeur lors de la séance d’ouverture de l’IBB du 29 septembre 2013.

Introduction

Qui que nous soyons dans cette salle, nous avons besoin de points de repères en matière de travail. Les étudiants sont peut-être en train de se demander comment ils vont pouvoir gérer tout le travail que les professeurs leur imposent. Plusieurs des récents diplômés et futurs diplômés sont maintenant serviteurs de Dieu à temps plein dans le ministère pastoral ; ils connaissent la frustration de devoir jongler avec les demandes exprimées par leur troupeau et la nécessité de préparer de bonnes prédications et études bibliques. Des préoccupations dans le domaine de nos activités nous guettent toutes et tous, ainsi que la fatigue – que ce soit à la maison, à l’usine, au bureau ou en salle de cours. Nos questions en rapport avec le travail peuvent être multiples. Est-il utile de travailler vu que le Seigneur pourrait revenir d’un jour à l’autre ?1 Devrais-je viser le travail du Seigneur par opposition au travail séculier (quelqu’un m’a récemment posé la question de savoir s’il devait viser à devenir professeur d’économie ou pasteur) ? Comment faire lorsque les exigences du travail commencent à empiéter sur mes responsabilités au sein de la famille ? Et nous ne pouvons pas fermer les yeux sur les développements dans notre société. Le taux de chômage a atteint un niveau record – il n’est pas loin de 9% en Belgique (en France, le taux de 10,5% n’est pas loin de son niveau record) – et le chômage à Bruxelles a dépassé 20%. Le nombre de Belges en congé-maladie de longue durée aurait augmenté de 25% en cinq ans, sans doute en partie à cause de la pression qu’implique la conjoncture.

Je ne suis pas sans savoir que le champ de notre considération du travail est potentiellement immense. Il fut un temps où je n’étais pas un dilettante (!) : j’ai exercé pendant sept ans une vraie profession (!) – j’ai travaillé pour une banque – ce qui fait que je ne suis pas insensible aux difficultés, aux dilemmes éthiques, aux complexités que nous pouvons rencontrer dans le monde du travail séculier. Je ne pourrai pas tout aborder maintenant, et, de toute façon, plusieurs de nos questions doivent recevoir des réponses au cas par cas. Mais nous allons quand même parcourir la trame du dévoilement progressif des Ecritures pour ce thème, et ma prière, c’est que, durant les minutes qui suivent, le fait de poser des jalons bibliques clairs puisse être profitable pour chacune et chacun de nous.

1) Création : Le privilège de travailler

Au commencement, Dieu a travaillé pour créer le monde. Il a accordé à Adam le privilège de travailler, lui aussi, ainsi que le privilège d’avoir une aide dans son travail, Eve (Gn 2.15.18). En effet, pour les êtres humains en général, hommes et femmes, être « en image de Dieu » implique le travail (Gn 1.26-28 ; cf. Ps 8.5-9). Il s’agit d’un travail de gestion effectué à l’instar de Dieu le travailleur, à titre de représentants de Dieu, sous l’autorité de Dieu.

2) Chute : Le péché et la malédiction du sol

Mais cette autorité divine n’a pas été respectée, et le refus de travailler convenablement a donné lieu à une malédiction qui affecte les conditions du travail : la terre, maudite, est devenue moins fructueuse, « des épines et des chardons » y poussant ; et le travail s’effectue, durant nos jours limités par la mort, « à la sueur de [notre] visage » (Gn 3.17-19 ; cf. Gn 5.29).
Il est d’une importance capitale que nous réglions et re-réglions bien notre optique sur le caractère du travail depuis la chute. Cela implique tenir simultanément compte de trois réalités.

a) Corruption d’activité et de motivation

D’abord, le travail est corrompu par le péché. L’image de Dieu dans les êtres humains subsiste après la chute (Gn 9.6 ; Jc 3.9 ; 1 Co 11.7), mais elle a été gravement altérée, et nous êtres humains n’arrivons pas à nous acquitter correctement de nos tâches en tant que gérants soumis au Patron. La corruption pécheresse peut être flagrante. Cela s’observe aisément dans la vie des Israélites comme dans des pratiques de par le monde en 2013. Le travail peut être carrément satanique à l’instar de la
construction de la Tour de Babel de Genèse 11, une entreprise destinée à rayer Dieu de la carte. On pense à la persécution des croyants en Corée du Nord. On pense aux faux dieux d’autres religions qui sont fabriqués et érigés en rivaux à l’encontre de l’unique Dieu vivant et vrai des Ecritures (cf. Dt 4.28 ; Ps 115.2-8 ; Ps 135.15-18). Certains métiers sont carrément iniques dont la prostitution. Le travail peut se pratiquer au noir et devenir complice du vol (cf. Ep 4.28). Le travail « peut devenir de l’exploitation sociale par malhonnêteté (Lv 19.35 ; Dt 25.13 ; Os 12.8) » ou « par oppression (Ex 1.11-14 ; 1 R 12.4,10-14) »2 : le roi Roboam alourdit le joug de son père en corrigeant avec des scorpions ; aujourd’hui, des patrons font pression sur leurs employés pour que les actionnaires soient satisfaits (dans une cause célèbre en France, un suicidé de Marseille explique dans sa dernière lettre en 2009 : « Je me suicide à cause de mon travail […]. C’est la seule cause. Urgence permanente, surcharge de travail, absence de formation, désorganisation totale de l’entreprise. Management par la terreur ! »3) Mais même là où l’iniquité est moins flagrante, il va y avoir des problèmes relationnels au travail de temps à autre, et les motivations risquent de laisser à désirer. Laissons-nous déranger (je prêche d’abord à moi-même) par Ecclésiaste 4.4 : « J’ai vu que toute peine et tout succès d’une œuvre ne sont que jalousie de l’homme à l’égard de son prochain. Cela encore est vanité et poursuite du vent ». Ecoutons cet extrait du commentaire de Sylvain Romerowski sur ce verset :

Le travail est souvent motivé par le désir de faire mieux que les autres, ou d’avoir plus que les autres, par l’aspiration à une certaine reconnaissance de la part d’autrui, par l’ambition qui fait rechercher le pouvoir, ou une haute condition sociale4.

b) Peine et frustration

Deuxième constat : depuis la chute, le travail entraîne la peine et la frustration. Quelle que soit notre activité régulière, elle est menacée (je cite Sylvain Romerowski) « par les échecs, les imprévus, les difficultés ou les circonstances adverses qui font perdre du temps » ; elle apporte « beaucoup de peines, de fatigue, de souffrances et de sacrifices »5. On peut passer trente heures par semaine à faire le ménage dans des bureaux, en souffrir au niveau du dos, et pourtant avoir du mal à joindre les deux bouts. Les étudiants peuvent passer cinq heures à préparer un devoir et puis perdre toute trace du travail à cause d’un virus qui arrive malencontreusement dans l’ordinateur. Un commerçant que je connaissais en France est arrivé à la retraite et a passé son entreprise à son fils, après quoi, tout d’un coup, le fils a été frappé par une maladie incapacitante. Ecoutez Ecclésiaste 2.17-21 :

J’ai donc haï la vie, car pour moi l’ouvrage que l’on fait sous le soleil est mauvais, puisque tout est vanité et poursuite du vent. J’ai haï toute la peine que je me donne sous le soleil, et dont je dois laisser (la jouissance) à l’homme qui me succédera. Et qui sait s’il sera sage ou insensé ? Pourtant, il sera maître de toute la peine que je me suis donnée en usant de sagesse sous le soleil ! C’est encore là une vanité. Et j’en suis venu à me décourager de m’être donné toute cette peine sous le soleil. Y a-t-il un homme qui ait peiné avec sagesse, science et succès, voilà que sa part est donnée à un homme qui n’y a pris aucune peine. C’est encore là une vanité et un grand mal.

Si vous avez suivi les efforts des athlètes belges aux championnats du monde d’il y a quelques semaines, vous aurez été peinés par la performance d’Anne Zagré en demi-finale : elle aurait dû arriver en finale du 100 mètres haies, mais, de façon inexplicable, elle a mal franchi la dernière haie en demi-finale – et c’était fini. Ecoutons l’Ecclésiaste encore : « J’ai encore vu sous le soleil que la course n’est pas aux plus agiles … les circonstances bonnes ou mauvaises surviennent… » (9.11).

c) Satisfaction et « normalité

En même temps, le même auteur affirme clairement, et à plusieurs reprises, que le travail est censé encore amener la satisfaction et être le sujet de réjouissance ! Et c’est là la troisième réalité dont il faut tenir compte, même après la chute. Ecoutez, par exemple, 5.17-19 :

Voici ce que j’ai vu : c’est déjà bien beau pour l’homme de manger, de boire et de voir le bonheur au milieu de toute la peine qu’il se donne sous le soleil, pendant le nombre de jours de vie que Dieu lui a donnés ; car c’est là sa part. D’ailleurs pour tout homme à qui Dieu a donné richesse et ressources et qu’il laisse maître de s’en nourrir, d’en prendre sa part et de s’en réjouir au milieu de sa peine, c’est là un don de Dieu. En effet, quand il n’aura plus grand-chose il se souviendra des jours de sa vie, où Dieu lui répondait par la joie du cœur.

Ce genre de constat revient en tant que refrain dans le livre6. D’ailleurs, à titre de généralisation, affirmons, avec Salomon, qu’il y a un sens dans lequel « en tout travail il y a du profit » (Pr 14.23). Quel est ce sens ? Eh bien, les étudiants affectionnent forcément le mot « contexte » : comme le démontre la deuxième partie du verset, le profit consiste en le principe selon lequel travailler permet de manger (ce lien entre travailler et manger est bien établi dans les deux Testaments7). Le travail reste donc une notion positive. On ne devrait pas confondre travail et vertu, mais notons que la femme vertueuse est travailleuse (Pr 31) !

On ne saurait trop insister sur le caractère « normal » du travail. Dans la perspective du Psaume 104, le travail humain s’inscrit dans le cadre du bon fonctionnement régulier, ordinaire du monde : « Le soleil se lève : [Les lions] se retirent et se couchent dans leurs tanières. L’homme sort pour se rendre à son ouvrage et à son travail, jusqu’au soir » (v.22-23). Cela fait partie du « rythme de la création »8. Les êtres humains continuent à imiter leur Créateur en tant que travailleurs…

Et attention si nous croyons que notre métier est un peu plus à la pointe de l’imitation de Dieu : comme l’affirme fort justement Henri Blocher, Dieu est potier, jardinier, couturier, roi, juge, instructeur, vaillant guerrier, berger, avocat, médecin et – surtout – « l’Eboueur des éboueurs … qui enlève nos ordures »9!

Cette liste n’est pas exhaustive, et, puisqu’on est en Belgique, on va certainement y ajouter « constructeur » (Hé 11,10) ; certains y ajouteraient sans doute « homme politique »…

Bref, rechercher le bonheur suprême dans sa retraite serait illusoire : notre prépension, si nous en avons une, ne devrait pas devenir l’objet de nos espoirs. La retraite, comme le chômage, peut être une période déstabilisante – et pour cause… car elle n’est pas biblique ! Se reposer est biblique ; mais la paresse ne l’est pas et est condamnée dans le livre des Proverbes10. Passer du temps à prendre plaisir dans la création de Dieu est biblique ; mais la retraite en tant que telle n’est pas en adéquation avec qui nous sommes en image de Dieu, des personnes qui devraient travailler. Soulignons-le : le travail n’est pas le produit de la chute ! Visons à travailler jusqu’à la mort, si Dieu nous accorde les forces… Bien entendu, la quantité de travail que nous arrivons à accomplir diminue normalement à mesure que nous vieillissons, et la forme de nos activités est susceptible de changer vers la fin de notre vie11. Si nous ne sommes pas demandeurs d’emplois – si nous avons une activité – ou des activités – régulière(s) et stable(s), qu’elle soi(en)t rémunérée(s) ou non –, soyons reconnaissants envers Dieu pour cela. Nous qui sommes croyants avons l’avantage de pouvoir mettre nos dons à la disposition de l’Eglise locale – nous y reviendrons.

Mais notre but immédiat est de parcourir les Ecritures pour discerner la façon dont la solution aux problèmes rencontrés depuis la chute est présentée. En clair, une solution tout englobante entraînera deux éléments : (1) une restauration complète de l’image de Dieu dans les êtres humains qui doivent pouvoir servir à nouveau en tant que vice-gérants de Dieu, sans péché, soumis, obéissants ; et (2) un renversement de la malédiction du sol conduisant aurétablissement du caractère fructueux du travail.

3) Pentateuque : La promesse du travail fructueux vs la nécessité de l’obéissance

Cette solution est d’abord annoncée à Abraham. Elle englobe « une terre ruisselant de lait et de miel »12, image qui évoque non seulement le fait que Dieu pourvoit abondamment mais encore le fait que le travail sera à nouveau fructueux. Le sol fertile d’Eden aura été retrouvé : l’abondance agricole est promise en lien avec cette terre. Il n’en reste pas moins que la terre doit être cultivée. « Le SEIGNEUR ordonnera que la bénédiction soit avec toi dans tes granges, et dans toutes tes entreprises » (Dt 28.8)13. « [L]e SEIGNEUR, ton Dieu, te bénira dans toutes tes récoltes et dans tout le travail de tes mains, et tu te livreras à une joie sans réserve » (Dt 16.15)14. Le peuple ne sera donc pas censé être oisif : il pourra extraire le cuivre des montagnes (Dt 8,9) ; il bâtira de belles maisons (Dt 8.12).

Mais une tension ressort du Pentateuque. D’un côté, cette terre promise est justement une terre promise – sans conditions assorties. Le travail sera fructueux, point à la ligne, parce que Dieu le promet, et Dieu est fidèle. D’un autre côté, la terre est promise en cas d’obéissance de la part du peuple – obéissance aux stipulations de la loi du Sinaï. Le travail sera fructueux pourvu que le peuple observe les commandements de Dieu. Or, le lecteur de ces livres de Moïse apprend très vite que le peuple n’arrivera pas à respecter la loi : fabriquer un veau d’or, c’est un travail inique ! Il est donc difficile de comprendre comment Dieu pourra respecter sa propre promesse d’accorder ce pays édénique au peuple. Contradiction au sein de la parole de Dieu ? On pourrait le croire. Les étudiants en première année pourraient vous expliquer pourquoi cela ne peut être qu’au maximum une contradiction apparente, des contradictions réelles ne se trouvant pas dans les Ecritures. Selon le génie de la pédagogie divine, cette apparente contradiction nous brusque alors que nous lisons l’Ancien Testament, et nous sommes ainsi incités par la parole de Dieu à comprendre que la fidélité de Dieu et sa sainteté sont toutes deux incontournables.

En l’occurrence, la solution est présentée en filigrane dès avant la fin du Pentateuque. Il se révèle que la réalisation de la promesse n’est pas pour tout de suite : certes, le peuple entrera dans Canaan, mais des malédictions s’abattront sur lui, y compris des malédictions agricoles (des famines), et pire, le peuple sera exilé de ce pays. La solution quant au travail fructueux ne se concrétisera qu’en lien avec une solution au problème du péché, comme on aurait pu s’y attendre. Dans Deutéronome 30 ces trois perspectives convergent : (1) retour au pays à la suite de l’exil, (2) prospérité dans le travail et (3) circoncision du cœur donnant lieu à l’obéissance (v.1-10).

4) Prophètes antérieurs : la typologie

On peut ainsi comprendre que même les meilleurs moments évoqués au sein des Prophètes Antérieurs (Josué – 2 Rois) ne correspondent pas au cas de figure du travail fructueux qui est recherché. A coup sûr, nous sommes en droit d’être impressionnés par les exploits en matière du travail réalisés par le roi bâtisseur Salomon (comme d’ailleurs, plus tard, par le roi bâtisseur Léopold II), et notamment par le temple :

Salomon fit encore tous les (autres) objets pour la maison de l’Eternel : l’autel d’or ; la table d’or, sur laquelle (on mettait) les pains de proposition ; les chandeliers d’or fin, cinq à droite et cinq à gauche, devant le lieu-très-saint, avec les fleurs, les lampes et les mouchettes d’or ; les bassins, les couteaux, les calices, les coupes et les brasiers d’or fin ; et les gonds en or pour les portes de l’intérieur de la maison (à l’entrée) du Saint-des-Saints, et pour les portes de la maison (à l’entrée) du temple (1 R 7.48-50).

Et pourtant, à y voir de plus près, « tout ce qui brille n’est pas or » pour ainsi dire : même avant la mention de ses nombreuses épouses, nous lisons ces phrases qui clochent au regard des prescriptions divines de Deutéronome 17.16ss :

Le roi rendit l’argent aussi commun à Jérusalem que les pierres, et il rendit les cèdres aussi nombreux que les sycomores qui sont dans la Chephéla. On amenait d’Egypte les chevaux de Salomon ; un groupe de marchands du roi allait les prendre par groupes, à un prix (déterminé) : un char montait d’Egypte pour 600 (sicles) d’argent, et un cheval pour 150 (sicles). Ils en amenaient de même avec eux pour tous les rois des Hittites et pour les rois de Syrie (1 R 10.27-29). Non : l’obéissance qui doit être au rendez-vous concerne explicitement aussi bien le roi que le peuple. En fait, on se rend petit à petit compte de ce que l’expérience des Israélites à ce stade de leur histoire fournit des types, des modèles, des ombres, des structures, des contours de ce qui est recherché mais qui ne sont pas suffisamment performants pour qu’on les confonde avec les réalités de l’accomplissement.

5) Prophètes postérieurs et écrits : l’écart entre prophétie et expérience

Dans la suite de la révélation biblique, chez les Prophètes Postérieurs et les Ecrits, l’écart entre ce qui est attendu et ce qui est vécu s’agrandit. Les prophètes présentent la perspective du travail fructueux dans tout un nouveau cosmos glorieux (Es 62.8-9 ; Es 65.17-25). Les parallèles sont dressés entre (1) la nouvelle époque postexilique, (2) un nouveau régime impliquant la prospérité agricole, (3) le règne d’un nouveau David et (4) un peuple obéissant qui se compose de personnes issues de toutes les nations (Es 55-56 ; Ez 36-37 ; Os 2-3). Arrêtons-nous sur ce texte frappant de la fin de la prophétie d’Amos ; le contexte immédiat précédent évoque le jour où Dieu relèvera « la hutte chancelante de David » :

Voici que les jours viennent, —Oracle de l’Eternel—, Où le laboureur suivra de près le moissonneur, Et celui qui foule le raisin celui qui répand la semence, Où le jus de fruits ruissellera des montages Et où toutes les collines s’épancheront. Je ramènerai les captifs de mon peuple d’Israël ; Ils rebâtiront les villes dévastées Et les habiteront, Ils planteront des vignes Et en boiront le vin, Ils établiront des jardins Et en mangeront les fruits (9.13-14).

Je cite les propos d’un commentateur par rapport au verset 14 :

On le notera, cette évocation paradisiaque ne voit pas le bonheur de l’homme dans l’oisiveté passive mais dans un travail qui porte des fruits abondants. C’est la fin de la malédiction qui repose sur le travail « à la sueur du visage » (Gen. 3.19), mais non la fin du travail lui-même (cf. Gen 2.15) par lequel l’homme est associé à la fécondité de la création15.

Ce sort glorieux n’est cependant pas réservé pour tout le monde : l’« œuvre des mains » ayant été inique (le service d’autres dieux), aussi bien chez des Israélites que chez des membres des nations, un jugement terrifiant est annoncé (Jr 25). Le critère de l’appartenance au peuple de Dieu dans le nouveau régime postexilique n’a plus aucun rapport avec l’ethnicité mais tourne autour de l’attitude envers Dieu (Es 56,1-8 ; 57,13 ; 66,18-24).

L’époque glorieuse n’est cependant pas instaurée à la suite de l’exil. Le travail n’est clairement pas fructueux d’après Aggée 1 : les Israélites ont semé mais cela a rapporté peu, et la bourse des salariés est trouée (v. 6) : ils retirent de l’argent du distributeur en quelque sorte, mais, avant d’arriver au supermarché, la flambée des prix en a enlevé la valeur. Ce même chapitre met en évidence le problème du péché qui persiste durant cette époque : au lieu de s’occuper des priorités de Dieu, ils pensent d’abord à leur propre confort matériel. Pauvreté, endettement, famine et manque de compassion sociale sont sur le devant de la scène en Néhémie 5. Comme l’indique Zacharie, le vrai retour de l’exil se situe encore dans l’avenir (Zc 9.16 ; 10.8-12 ; 14.4), ce qui tombe sous le sens lorsqu’on se rend compte que le nouveau roi David n’a pas encore fait son apparition…

6) Le Christ : Le travail parfait en notre faveur

Lorsque le Christ arrive en scène, l’époque de la nouvelle alliance est bel et bien inaugurée. Ce qui frappe chez Jésus, c’est qu’il est toujours et à tous égards soumis à son Père. C’est le dernier Adam obéissant, parfaitement l’image du Dieu invisible, chef d’une nouvelle humanité (Rm 5.12-21 ; 1 Co 15 ; Col 1.15 ; Hé 2.8). Son travail ne souffre aucunement de corruption par le péché. Il est Dieu en chair et en os : lui et son Père sont un ; il travaille de parfait concert avec son Père ; la cime de son œuvre parfaite consiste en sa mort (Jn 4.34 ; 5.17 ; 17.4 ; 19.30). En mourant ainsi sur une croix il y a deux mille ans, Jésus-Christ a assumé la punition que nous méritions à cause de nos péchés, à cause de notre insoumission, à cause de toute activité et toute motivation chez nous qui est corrompue : il suffit de placer sa confiance en lui pour éviter cette punition qui autrement sera déversée sur nous lors du jour du jugement.

Que les personnes ici présentes, qui ne se sont pas encore tournées vers Dieu par Jésus-Christ, le fassent – en vue d’être prêtes pour ce jugement. Jésus est d’ailleurs ressuscité d’entre les morts, et il règne encore aujourd’hui en tant que nouveau roi David auquel nous devons toutes et tous nous soumettre. Par ce règne, le Christ accomplit la partie du mandat de Genèse 1 que nous êtres humains n’avons jamais pu réaliser convenablement, à savoir, assujettir la terre et dominer sur les animaux (Ep 1.20-23 ; 1 Co 15.25-28 ; Hé 2.5-9)16. Et c’est grâce à son travail que la double solution au problème de notre travail est envisageable : (1) l’image de Dieu peut être totalement rétablie en nous (Col 3.10) et (2) le caractère fructueux du travail peut être retrouvé.

7) Le travail du croyant : perfection, frustration/sanctification, ministère glorieux

Qu’en est-il alors de notre travail – de nous qui sommes croyants en Jésus-Christ ? Trois constats pour terminer :

a) Notre travail est parfait en Christ et sera parfait dans le nouveau cosmos

Si nous sommes en Christ, la vie parfaite du Christ sur terre nous est imputée. Du fait de notre union avec le Christ, son travail parfait est notre travail parfait. Bien plus, dans le monde secret, spirituel, mais réel, nous sommes assis avec le Christ maintenant en train de régner avec lui (Ep 2,6 ; Col 3,1-3 ; Rm 5,17). D’ailleurs, dans le nouveau cosmos, nous régnerons avec le Christ pour toujours (2 Tm 2.15 ; Ap 22.5). Il ne s’agira aucunement de retraite : pour le croyant, le moment de la retraite n’arrive jamais, et c’est formidable !

Ce qui nous attend, c’est le service rendu à Dieu et à l’Agneau par les forces que nous connaîtrons grâce à notre corps ressuscité – service rendu sans péché, rendu de façon fructueuse, rendu sans peine ni frustration, dans une nouvelle création sans malédiction (Ap 22.3) et entièrement libérée des soupirs que la création connaît actuellement (Rm 8.22). Nous travaillerons à tous égards sous l’autorité de Dieu, pleinement en image de Dieu, entièrement pour la gloire de Dieu.

b) Notre travail est encore sujet à la frustration et au péché mais aussi à la sanctification

Et, deuxièmement, travailler entièrement pour la gloire de Dieu est d’ores et déjà notre visée (1 Co 10.31 ; Col 3.17). Le péché subsiste en nous, mais, par le Saint-Esprit agissant par la parole, nous luttons contre le péché, et nous progressons en sanctification.

Nous visons à mettre à mort l’égoïsme dans nos motivations ; nous visons à respecter nos collègues ; nous visons à nous soumettre à nos patrons, « non pas seulement sous leurs yeux, comme s’il s’agissait de plaire à des humains, mais comme des esclaves du Christ, qui font de toute [notre] âme la volonté de Dieu » (Ep 6.6). Mais la peine et la frustration fer ont partie de notre expérience de travail, et ce sera le cas tant que nous vivrons dans cette création soumise à la futilité (Rm 8.20) – création dans laquelle nous gémissons (Rm 8.23).

c) Notre travail peut être en partenariat avec Dieu pour promouvoir son règne

Nous sommes cependant singulièrement privilégiés, car, en Christ, nous pouvons entreprendre des travaux, en collaboration avec Dieu (1Co 3.917), qui promeuvent le règne de Dieu sur terre, qui comptent pour l’éternité. C’est notre dernier constat, et il devrait nous réjouir et nous motiver quant à nos priorités pour l’année académique qui vient de commencer. Je parle de la catégorie du travail qui s’appelle, chez l’apôtre Paul, « l’oeuvre du Seigneur » (1 Co 15.58; 16.10), « l’oeuvre du Christ » (Ph 2.30) ou « l’oeuvre du ministère » (Ep 4.12)18.

Il s’agit du service de la parole de Dieu par lequel l’Esprit -S aint œuvre pour le salut et pour la sanctification (p.ex., 1 P 1.22 – 2.3). Oui, osons l’affirmer, parce que c’est scripturaire, même si des grands leaders évangéliques en Occident19 veulent nous faire croire autrement : l’oeuvre de l’Evangile est prioritaire par rapport à d’autres formes de travail – prioritaire par rapport au travail séculier, prioritaire même par rapport au travail humanitaire. Tout le monde n’est pas qualifié pour le faire à temps plein, et le fait d’étudier à l’IBB n’est pas une invitation en soi à le faire à temps plein, mais tout croyant est mandaté pour le promouvoir. L’évangélisation des non-croyants, l’édification d’autres croyants, la formation d’autres croyants, toutes trois effectuées par la parole de Dieu : que les étudiants restent motivés dans leur formation à cette fin, et que les diplômés soient encouragés dans leur ministère dans ces domaines.

Dans la mesure où nous avons ce ministère – et c’est le cas de beaucoup dans cette salle –, nous ne perdons pas courage. Oui, le combat est rude, mais c’est un ministère glorieux (2 Co 3). Oui, nous sommes « pressés de toute manière » (2 Co 4.8), mais nous ne sommes pas écrasés. Oui, nous sommes des « vases de terre », mais cela permet que la gloire revienne à Dieu (2 Co 4.7).

Je vous le rappelle : la vision de l’Institut est de former des serviteurs de l’Evangile pour la moisson de l’Europe francophone – de serviteurs qui sont fidèles, compétentset consacrés –, et cela pour la gloire de Dieu.


1 Cf. 1Th 4.11-12.

2 Bible d’étude Semeur 2000, Cléon d’Andran, Excelsis, 2001, p. 2093. Pour la référence d’Osée 12, c’est le verset 7 qui est cité plutôt que le verset 8 (nous présupposons que c’est par erreur).

3 http://fr.wikipedia.org/wiki/France_T%C3%A9l%C3%A9com#Suicides, consulté le 20 août 2013.

4 Sylvain ROMEROWSKI, ibid., p. 227.

5 Sylvain ROMEROWSKI, Pour apprendre à vivre la vie telle qu’elle est, A l’écoute de Qohéleth (l’Ecclésiaste), Nogent-sur-Marne, Editions de l’Institut Biblique, 2009, p. 168.

6 Plusieurs traductions de Proverbes 12.27 vont dans ce sens, p. ex., « le précieux trésor d’un homme, c’est l’activité » (Louis Second). Mais l’instabilité des traductions reflète la difficulté de la syntaxe.

7 Pr 12.14; 16.26; 2 Th 3.10 …

8 Eugene CARPENTER, « pcl », dans Willem A. VANGEMEREN, dir., New International Dictionary of Old Testament Theology and Exegesis, vol . III, Grand Rapids, Zondervan, 1997, p. 648.

9 Henri BLOCHER, « Treize thèses de théologie du travail », Ichthus 98/3, 1981, p. 6-7. Sur base de Proverbes 9, Blocher inclut « cuisinier » dans la liste, mais il nous semble que « la sagesse » n’est pas à identifier directement avec Dieu.

10 P. ex., 26,14.

11 Cf . Nb 8,23-26. La main d’œuvre exigeante n’était plus appropriée au-delà de 50 ans, mais cela n’impliquait pas une absence de travail !

12 La première occurrence de cette formule se trouve en Exode 3,8.

13 C’est nous qui soulignons.

14 C’est nous qui soulignons.

15 Samuel AMSLER, Osée, Joël, Abdias, Jonas, Amos ( Commentaire de l’Ancien Testament XIa), Genève, Labor et Fides (Delachaux et Niestlé, 1965), 1992, p.247. Une mise en garde est nécessaire : même si nous sommes .d’accord avec ce commentateur en cet endroit, il faut savoir qu’il n’a pas une attitude théologiquement évangélique par rapport aux Ecritures.

16 Cf. Paul GRIMMOND, « God’s plan for work: the cultural mandate. », The briefing 406, juillet-août 2013, p. 18-20.

17 Pour cette interprétation du génitif dans l’expression « collaborateurs de Dieu », cf. 1Th3.2 et BLOCHER, ibid., p. 9.

18 Peter ORR, « Abounding in the Work of the Lord (1Cor 15.58) : Everything We Do as Christians or Specific Gospel Work », Themelios38, 2013, p. 205-214, http://tgc-documents.s3.amazonaws.com/themelios/Themelios38.2.pdf.

19 Tels que Timothy KELLER (avec Katherine LEARY ALSDORF), Every Good Endeavour, Connecting Your Work to God’s Plan for the World, Londres, Hodder & Stoughton, 2012, p. 29

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