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C’est devenu un des thèmes les plus récurrents. Lorsque Vladimir Poutine se comporte comme un tyran international, les dirigeants géopolitiques s’empressent de rejeter son comportement de voyou en disant qu’il est du « mauvais côté de l’histoire ». [voir note] Plus près de nous, lorsque les chrétiens et autres conservateurs religieux affirment que le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, vous pouvez vous attendre à ce que toute une foule déclare avec assurance que ces vieilles idées bigotes sont du « mauvais côté de l’histoire ». La phrase est censée piquer, et elle le fait souvent. Elle évoque des images de ségrégationnistes s’accrochant à leurs notions dégoûtantes de suprématie raciale. Ou des images des spécialistes de la terre plate mettant en garde Christophe Colomb contre le risque de tomber à l’autre bout du monde. Cette phrase cherche à gagner un débat en ne permettant pas qu’il ait lieu. Elle dit : « Vos idées sont si ridiculement arriérées qu’elles ne méritent pas d’être prises au sérieux. Avec le temps, tout le monde aura honte d’y avoir adhéré. »

Il ne fait aucun doute que la réplique du « mauvais côté de l’histoire » est puissante sur le plan rhétorique. Mais il se trouve qu’elle est une faillite intellectuelle. Qu’est-ce qui ne va pas dans cette expression ? Au moins trois choses.

Premièrement, l’expression suppose une vision progressiste de l’histoire qui est empiriquement fausse et dont la méthodologie a été totalement discréditée.

Les historiens d’aujourd’hui mettent souvent en garde contre la « conception whig de l’histoire » [Whig history], une expression inventée par Herbert Butterfield en 1931, qui en est venue à désigner une historiographie qui suppose que le passé a été une marche inexorable de l’obscurité vers la lumière et de l’ignorance vers l’illumination. La conception whig de l’histoire a ceci en commun avec les vues marxistes de l’histoire : une confiance dans la rationalité de l’homme et dans l’inévitabilité du progrès. Mais bien sûr, l’histoire n’est jamais aussi claire et il n’est jamais aussi facile de connaître l’avenir. Cette approche, avec sa présomption d’illumination et de progrès, n’est pas la meilleure façon de comprendre le passé et n’est pas en soi une façon adéquate de donner un sens au présent.

Deuxièmement, l’expression « mauvais côté de l’histoire » oublie que les progressistes peuvent être tout aussi stupides que les conservateurs.

Pour ne citer qu’un exemple, Thomas Sowell, dans son livre Intellectuels et race, démontre que ce sont les progressistes du début du XXe siècle – appliquant souvent les théories biologiques de Darwin à d’autres disciplines – qui ont défendu l’eugénisme et le déterminisme racial. De nombreux intellectuels de l’élite de l’époque acceptaient les théories « scientifiques » sur les différences mentales innées entre les races, et ce sont les leaders de la gauche qui ont plaidé pour l’élimination de la partie « inférieure » de l’humanité par le biais d’une immigration restreinte et d’une stérilisation institutionnalisée et massive. S’il existe un « mauvais côté de l’histoire », il y a suffisamment d’exemples dans l’histoire pour nous dire que n’importe qui, quelle que soit sa tradition intellectuelle, peut s’y trouver.

Troisièmement, lorsqu’il est appliqué aux chrétiens, l’argument du « mauvais côté de l’histoire » perpétue généralement des demi-vérités ou des mensonges flagrants sur l’histoire chrétienne.

Par exemple, l’Église ne s’est pas opposée au voyage de Christophe Colomb parce qu’elle pensait que la terre était plate. Il s’agit-là d’un mythe auquel on croit à tort depuis qu’Andrew Dickinson White, fondateur et premier président de l’université Cornell, a rédigé en 1896 une étude influente intitulée Histoire de la lutte entre la science et la théologie. Les « divers sages d’Espagne » qui ont défié Christophe Colomb ne l’ont pas fait parce qu’ils croyaient que la terre était plate, mais parce qu’ils pensaient que Christophe Colomb avait sous-estimé la circonférence de la terre, ce qui était le cas.[1]Toute personne instruite à l’époque de Christophe Colomb savait que la terre était ronde. Jeffrey Burton Russel affirme que pendant les quinze premiers siècles de l’ère chrétienne, « l’opinion savante presque unanime a déclaré que la terre était sphérique, et au quinzième siècle, tout doute avait disparu. » [2] Sphère est le titre du manuel médiéval le plus populaire sur l’astronomie qui a été écrit au 13è siècle, et des générations avant le voyage de Christophe Colomb, le Cardinal Pierre d’Ailly, chancelier de l’Université de Paris, a écrit « bien qu’il y ait des montagnes et des vallées sur la terre, pour laquelle elle n’est pas parfaitement ronde, elle s’approche très près de la rondeur. » [3] Des siècles plus tôt, Bède le Vénérable (673-734) enseignait que la terre était ronde, tout comme l’évêque Virgile de Salzbourg (8e siècle), Hildegarde de Bingen (12e siècle) et Thomas d’Aquin (13e siècle), tous quatre canonisés saints dans l’Église catholique.

Et s’il est vrai, honteusement vrai, que les chrétiens du Sud, dont certains étaient de bons calvinistes, défendaient l’esclavage, il faut replacer cette triste réalité dans son contexte. Au 19e siècle, l’esclavage existait depuis longtemps, et il n’était généralement pas promu selon des critères ethniques ou raciaux. Les Africains possédaient plus d’esclaves que ceux qui étaient envoyés dans le Nouveau Monde. Le commerce musulman d’esclaves a commencé des siècles avant que les Européens ne découvrent le Nouveau Monde et a continué plus longtemps, n’étant légalement aboli en Arabie saoudite qu’en 1962.

Bien sûr, cela ne signifie pas que les chrétiens n’ont aucune complicité avec les maux de l’esclavage, mais nous devons nous rappeler que c’est principalement grâce aux chrétiens et aux nations chrétiennes que l’esclavage a été éradiqué. Le renversement de l’esclavage (après un esclavage quasi universel pendant la quasi-totalité de l’histoire de l’humanité) est dû à deux facteurs principaux : l’essor des États-nations (il est alors devenu trop dangereux d’aller rafler d’autres peuples) et l’opposition chrétienne à sa pratique. Malgré toutes ses fautes, l’impérialisme européen est en grande partie responsable de la fin de l’esclavage. À partir du 19e siècle, les Britanniques ont éradiqué l’esclavage dans leur empire, qui couvrait alors un quart du monde. Ils ont détruit les navires négriers, rendu l’esclavage illégal et bloqué des îles et des côtes jusqu’à ce que l’esclavage soit supprimé. Thomas Sowell, l’économiste afro-américain, écrit : « Il serait difficile de penser à une autre croisade poursuivie avec autant d’acharnement pendant si longtemps par une nation, avec des coûts aussi élevés, sans aucun avantage économique ou autre avantage tangible pour elle-même. » [4] Et cette croisade était défendue par des chrétiens, dont William Wilberforce.

En outre, ce n’est pas comme si les chrétiens du 19e siècle avaient été les premiers à s’opposer à l’esclavage. C’est pourquoi l’analogie avec le point de vue de l’Église sur l’homosexualité n’est pas pertinente. L’Église a toujours considéré le comportement homosexuel comme un péché. L’Église – et non l’ensemble de l’Église – n’a soutenu l’esclavage des esclaves que dans une fenêtre historique relativement brève. Même si l’on considère l’esclavage sous toutes ses formes, ce n’est pas comme si les chrétiens ne s’étaient jamais élevés contre cette institution avant le 19esiècle. Dès le 7 e siècle, Sainte Bathilde (épouse du roi Clovis II) est devenue célèbre pour sa campagne visant à mettre fin au commerce des esclaves et à libérer tous les esclaves du royaume. En 851, Saint Anschaire a commencé à s’efforcer de mettre un terme au commerce d’esclaves des Vikings. Au 13 e siècle, Thomas d’Aquin a soutenu que l’esclavage était un péché, et plusieurs papes ont confirmé cette position. Dans les années 1430, les Espagnols ont colonisé les îles Canaries et ont commencé à réduire la population indigène en esclavage. Le pape Eugène IV a publié une bulle, donnant à chacun quinze jours à compter de la réception de sa bulle, « pour rétablir dans leur liberté antérieure toutes et chacune des personnes des deux sexes qui étaient autrefois résidentes desdites îles Canaries… ces personnes doivent être totalement et perpétuellement libres et doivent être libérées sans exaction ni réception d’aucune somme d’argent » [5] La bulle n’a pas beaucoup aidé, mais cela est dû à la faiblesse du pouvoir de l’Église à l’époque, et non à l’indifférence à l’égard de l’esclavage. Le pape Paul III a fait une déclaration similaire en 1537.

L’esclavage a été condamné par des bulles papales en 1462, 1537, 1639, 1741, 1815 et 1839. En Amérique, le premier tract abolitionniste a été publié en 1700 par Samuel Sewall, un puritain dévot. Pendant ce temps, les grands pontes du siècle des Lumières comme Hobbes, Locke, Voltaire et Montesquieu soutenaient tous l’esclavage.

Je n’essaie pas de réécrire l’histoire ici et de faire de l’histoire de l’Église une longue série d’héroïsme ininterrompu. Mais puisque tant de gens, chrétiens et non-chrétiens, ont l’impression que l’Église a été un désastre absolu sur les questions sociales depuis la nuit des temps, nous devrions prendre le temps de connaître le reste de l’histoire, dans son contexte et sans sensationnalisme. Les chrétiens, en tant qu’individus, se sont trompés sur dix mille choses. Collectivement, les chrétiens se sont probablement trompés sur tout autant de choses. Mais suggérer que l’ensemble de l’Église s’est toujours, en tout temps et en tout lieu, trompée sur quelque chose est une affirmation audacieuse. En tant que chrétiens, nous devrions craindre d’être du mauvais côté de l’Église sainte et catholique plus que d’être du mauvais côté des notions Whig de progrès et d’illumination.

[NDLT] Cet article a été écrit en 2014.
[1] Rodney Stark, For the Glory of God : How Monotheism Led to Reformations, Science, Witch-Hunts, and the End of Slavery (Princeton : Princeton University Press, 2003), 121.
[2] Ibid., 122.
[3] Ibid.
[4] Thomas Sowell, Black Rednecks and White Liberals (San Francisco: Encounter Books, 2005), 123.
[5] For the Glory of God, 330.
Des parties de cet article sont tirées de mon chapitre « The Historical: One Holy Catholic Church » dans Why We Love the Church : In Praise of Institutions and Organized Religion (Moody 2009).

Des parties de cet article sont tirées de mon chapitre « The Historical: One Holy Catholic Church » dans Why We Love the Church: In Praise of Institutions and Organized Religion  (Moody 2009).

 

Conférence E21

Note de l'éditeur : 

Traduction par Joshua Sims de l’article « What’s Wrong with the “Wrong Side of History” Argument? » paru en 2014

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