Introduction
L’idée de liturgie fait mauvaise presse dans nos contextes d’églises évangéliques. Elle est souvent associée avec la messe romaine, des textes répétés mécaniquement, la monotonie, l’absence de ferveur, la foi morte. Aujourd’hui, la spontanéité semble être le mot d’ordre. Dans l’esprit contemporain, elle parait plus spirituelle. Tout ce qui est figé, cristallisé par l’écrit ou raidi par la planification étoufferait l’Esprit, le restreindrait : « là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté » (2 Co 3.15-18)[1].
Pourtant, les réformateurs n’ont pas estimé nécessaire de se débarrasser de toute structure dans les réunions dominicales. L’histoire du protestantisme montre même qu’un grand soin y a été accordé. Aujourd’hui encore, il existe un large spectre de pratiques parmi les protestants. Tantôt chaque détail est millimétré (dans les milieux plutôt reformés historiques), tantôt la spontanéité fait loi (dans les églises des frères par exemple, ou dans certains milieux charismatiques).
La liturgie a-t-elle encore une place dans les rassemblements d’églises protestantes évangéliques aujourd’hui? S’agit-il d’une pratique totalement dépassée et caduque, ou pourrait-elle encore être un outil bénéfique pour organiser nos rencontres d’église pour le bien des croyants et pour la gloire de Dieu?
Nous répondrons à cette question dans une série de quatre articles. Celui-ci commencera par définir la liturgie et en tracer ses contours bibliques. Dans un deuxième article, nous tenterons de déterminer les éléments qui constituent les réunions ecclésiales. Ensuite, nous nous étendrons dans le troisième article sur la liturgie proprement dite, ses principes, sans faire fi de ses dangers. Enfin, dans le dernier, nous ferons part de quelques recommandations pour l’usage d’une liturgie réfléchie dans nos églises contemporaines.
Définitions
La liturgie fait référence à l’ordre du culte, en particulier à la manière dont celui-ci révèle et renforce la nature du culte lui-même.
Le mot liturgie tire son origine du mot grec λειτουργία qui signifie largement « service ». Il apparaît six fois dans le Nouveau Testament. Il est utilisé pour parler du service public du prêtre dans le contexte du culte au temple (Lc 1.23; Hé 8.6, 9.21), et Paul l’emploie pour parler de son ministère sacrificiel et dévoué auprès des Philippiens (Ph 2.17). D’autre part, il peut aussi porter le sens d’aide, d’assistance ou de don (Ph 2.30; 2 Co 9.12)[2]. Cela dit, l’Église a utilisé le mot liturgie pour désigner l’ordre dans lequel les différents éléments de la réunion—du service—(comme un chant, une lecture biblique, une prière, etc.) se suivent : « la liturgie fait référence à l’ordre du culte, en particulier à la manière dont celui-ci révèle et renforce la nature du culte lui-même. »[3] Elle permet que « tout se fasse avec bienséance et ordre » et « pour l’édification » (1 Co 14.40, 26 respectivement). La liturgie fait aussi référence à des textes qui sont lus par l’officiant ou l’assemblée en guise d’explication, ou des prières, des crédos, etc.
Ainsi, selon cette définition, qu’elle soit formalisée à l’écrit ou pas, toutes les églises ont une forme ou une autre de liturgie. Elle peut être assez figée, parfois mécanique ; ou tout à fait libre et spontanée. Dans tous les cas, des éléments ont été choisis pour se succéder et constituer la rencontre, et leur ordre en dit long sur la manière dont l’église conçoit la « nature du culte lui-même ». Plus la liturgie est figée, plus on aura l’impression qu’on ne peut s’approcher de Dieu qu’en suivant un protocole laborieux et très précis. Moins elle est ordonnée, plus on pensera que Dieu n’accorde que peu d’importance à la manière dont nous l’adorons.
Brève théologie biblique de la liturgie
La Bible ne se présente pas sous la forme d’une encyclopédie dont l’entrée sur la liturgie nous informerait de l’ordre exact de la réunion d’église à suivre dans toutes les assemblées chrétiennes. La première chose à comprendre, donc, est la grande liberté que Dieu accorde pour leur organisation. Il n’en reste pas moins que les récits bibliques des rencontres avec Dieu nous permettent de dégager quelques principes liturgiques.
Dans sa forme la plus simple, l’Homme entre en relation avec Dieu de la manière suivante : « Appel—Réponse—Repas »[4].
Dans sa forme la plus simple, l’Homme entre en relation avec Dieu de la manière suivante : « Appel—Réponse—Repas »[5]. Gibson déduit cette liturgie primitive de la relation entre Adam et Dieu dès le jardin d’Eden. Elle se fonde sur trois principes :
La transcendance du Dieu créateur. Dieu a créé la terre et les cieux et tout ce qu’ils contiennent (Gn 1), il est transcendant et inaccessible. C’est lui qui domine sur toute la création et c’est à lui que reviennent tous les droits sur ses créatures. Les quatre êtres vivants et les 24 anciens de l’Apocalypse le reconnaissent : « Tu es digne, notre Seigneur et notre Dieu, de recevoir la gloire, l’honneur et la puissance, car tu as créé toutes choses, et c’est par ta volonté qu’elles existent et qu’elles furent créées. »[6] Par sa Parole, c’est lui qui nous appelle à l’adorer ; ce n’est pas notre initiative. Ainsi, Dieu parle à Adam et Eve le premier et leur donne un mandat (Gn 1.28) et le commandement de ne pas manger d’un seul arbre (Gn 2.16–17). Dieu les appelle à le reconnaître comme étant le bon Créateur, à l’aimer, le croire sur parole et à lui obéir ; en somme, à l’adorer, à lui rendre un culte.
La finitude de l’Homme créé. Parce que l’Homme n’est qu’une créature, il se doit de répondre à l’appel de Dieu par la foi qui se manifeste par l’obéissance, le respect, l’amour et une entière dévotion.
La communion avec Dieu. Dieu veut que nous puissions jouir de sa présence, trouver notre joie en lui. Il a placé les premiers humains dans un jardin merveilleux, il leur a donné de manger de tous les arbres (sauf un). Il nous a créés pour que nous le connaissions, l’adorions, et que nous communions avec lui, pour toujours.
Nous résumons la liturgie édénique ainsi:
Liturgie édénique
Dieu appelle à l’adoration
L’Homme répond par la foi et l’obéissance
Dieu et l’Homme partagent un repas de communion
Dès le troisième chapitre de la Bible, le péché s’est introduit dans le monde et a foncièrement affecté toutes les structures du monde, et en particulier la relation entre Dieu et l’Homme. Aussi, la liturgie s’est-elle complexifiée. D’autres épisodes bibliques dépeignent combien l’accès à Dieu est devenu ardu. Par exemple, Gibson voit plusieurs autres éléments liturgiques dans les récits du don de la loi à Sinaï (Ex 19–24) et de la dédicace du temple de Salomon (2 Ch 5–7)[7] ou encore dans tout le livre de l’Apocalypse[8]. Le motif de base est complété par quelques autres étapes:
La sainteté de Dieu et le péché de l’Homme. La transcendance de Dieu s’est accentuée depuis la chute. Comment un Dieu trois fois saint peut-il demeurer avec un peuple pécheur (cf. Es 6.5) ? En outre, naturellement, nous ne voulons plus nous approcher de Dieu. Sans son appel, jamais l’Homme ne l’adorerait de son propre gré. Le culte devient d’autant plus distinctement une initiative divine.
La nécessité de la purification. Bien que créé pour adorer Dieu, « homo liturgicus »[9] est devenu idolâtre, il n’a pas voulu obéir à Dieu, il a préféré adorer la créature (Ro 1.25). Il a adopté une nouvelle liturgie. Pour communier avec Dieu et être dans sa présence, nous avons besoin d’un sacrifice, d’où l’instauration du système lévitique. Dans le plan de Dieu, Jésus est devenu notre sacrifice parfait et ultime. Ce n’est que « par les compassions de Dieu » de l’Évangile que nous pouvons lui offrir toute notre vie (Ro 12.1–2)[10].
Un accès à Dieu par médiation. L’accès à Dieu doit se faire par médiation. Moïse et toute une succession de prophètes et de prêtres nous ouvrent l’accès à Dieu et à sa Parole. Aujourd’hui, Jésus est notre médiateur unique (1 Tm 2.5).
Dieu parle. Dieu gouverne son peuple par sa Parole et sa vérité. Il a donné la loi à Israël et a communiqué par l’intermédiaire des prophètes. En ces jours qui sont les derniers, Dieu a parlé par le Fils (Hb 1.2) et nous continuons à l’écouter par les Saintes Écritures (p. ex. 3.7).
Le repas de communion. Symbolisé par un repas, nous pouvons jouir de l’intimité avec Dieu. Moïse avec les anciens ont partagé un repas de communion avec Dieu (Ex 24.11), Salomon et tout le peuple célébrèrent la fête (2 Ch 7.8–10). Nous célébrons le repas du Seigneur par lequel nous communions à son corps et à son sang (1 Co 10.16). Nous serons rassemblés au banquet des noces de l’Agneau (Ap 19.9).
Sans être exhaustive ni excessivement détaillée, une liturgie générale se dessine alors[11]:
Liturgie biblique élémentaire
Rassemblement/Appel à l’adoration
Purification
Accès par médiation
Communication divine
Peuple répond par la foi, la prière, etc.
Repas de communion avec Dieu
Envoi/Bénédiction
Elle met en valeur les objectifs principaux du rassemblement d’Église qu’Adrian Price tire de l’enseignement biblique: « l’exposition de la parole, l’édification mutuelle (principalement sur la base de la parole), et une réponse à Dieu sous forme d’adoration, de confession ou d’intercession (aussi inspirée par la parole) »[12].
Dans le prochain article, nous tenterons de déterminer bibliquement les différents éléments à inclure dans un rassemblement d’église du dimanche.
La liturgie dans le culte évangélique. Une pratique caduque ou bénéfique?