« Pour de nombreuses personnes aujourd’hui, renoncer à suivre sa propre voie pour se conformer à une autorité extérieure ne semble tout simplement pas être une forme de vie spirituelle compréhensible», écrit Charles Taylor dans A Secular Age [Un âge séculier]. Cette affirmation est au cœur du plus grand défi de l’Église contemporaine.
Pour aider nos prochains à faire confiance à Jésus pour leur salut, nous devons rendre l’Évangile compréhensible.
Cela ne signifie pas que nous devions rendre l’Évangile agréable ou confortable. L’Évangile doit plutôt devenir envisageable pour ceux qui ne peuvent plus concevoir la vraie foi comme une vision qu’on puisse avoir de la réalité dans cette époque séculière.
La beauté et la bonté de la Bonne Nouvelle doivent être mises en évidence, dans toute leur complexité et dans toute leur simplicité. Nous devons démontrer qu’une réalité existe en dehors de notre esprit et de nos expériences et que l’Évangile exige que nous nous conformions à cette réalité extérieure. Pour cela, il faut un bouleversement des conceptions matérialistes de la foi chrétienne au moyen de la contemplation de l’Évangile, l’enseignement d’une éthique sexuelle biblique solide et une remise en question de la croyance selon laquelle nous nous appartenons à nous-mêmes.
Contempler la transcendance de Dieu
Beaucoup de nos prochains ont du mal à concevoir Dieu comme un être transcendant, omnipotent, omniscient et omniprésent, être qui désire nous connaître et nous aimer comme ses enfants.
En tant qu’hommes modernes, nous imaginons que nous sommes « protégés » [« buffered »], pour reprendre les termes de Taylor. Cela signifie que nous pensons pouvoir dicter les conditions à notre engagement dans le monde. Cette conception nous réduit à vivre dans un cadre immanent, c’est-à-dire à envisager la réalité en termes essentiellement matérialistes. Notre monde se cantonne à notre propre expérience et à notre propre interprétation.
Même pour les chrétiens, il est difficile d’imaginer l’arc-en-ciel comme étant un signe de Dieu. Nous le percevons simplement comme un phénomène matériel. Pour rendre l’Évangile compréhensible, il faut aider les gens à comprendre que la foi chrétienne est plus qu’un style de vie, en remodelant leur conception de Dieu par l’affirmation de sa réalité, en identifiant et en remettant en question le sujet de l’immanence, et en s’engageant dans des pratiques telles que le Repas du Seigneur.
Il est difficile de rompre avec nos présupposés matérialistes parce que nous avons tous été aspirés par le tourbillon de l’ère technologique, une ère qui exige de plus en plus notre temps et qui nous détourne de la contemplation et de la réflexion. L’Évangile est exigeant sur le plan cognitif. Il bouleverse l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes.
L’Évangile est exigeant sur le plan cognitif. Il bouleverse l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes.
S’affranchir du bruit immanent de la technologie pour réfléchir profondément à l’Évangile exige de la contemplation. Au final, les résultats de toute présentation de l’Évangile dépendent de l’action du Saint-Esprit. Mais nous devons être conscients que la situation matérielle de nos contemporains et leur vie remplie de distractions s’opposent activement au type de pensée qui permet de prendre conscience de notre nature pécheresse et de notre besoin d’un rédempteur.
Pour atteindre nos prochains, nous devons trouver des moyens qui éloignent les gens de la technologie de la distraction et qui les invitent à contempler la transcendance merveilleuse de l’Évangile.
Avoir une bonne éthique sexuelle
Parce que nous vivons une deuxième révolution sexuelle, nous devons être capables de communiquer la beauté d’une éthique sexuelle biblique. Nous devons dissiper la confusion sur ce que les chrétiens croient en général (alors qu’une culture post-chrétienne se développe), mais surtout dans les domaines de la sexualité et du genre.
Nous devons être en mesure d’expliquer la relation essentielle entre le mariage, notre corps, le sexe et la procréation. Le mariage ne doit pas être présenté comme une simple autorisation nous permettant d’avoir des relations sexuelles ou comme un lien juridique, mais comme une alliance fondée sur l’acte de création ainsi qu’une métaphore vivante de l’amour du Christ pour son Église.
Nos corps devraient être considérés comme appartenant non pas à nous-mêmes, mais à Dieu et, dans une certaine mesure, à nos conjoints et à nos enfants. Nous devons enseigner que le but de la sexualité implique à la fois le plaisir et l’intimité du couple mais aussi la procréation. Même si tous les couples ne sont pas en mesure d’avoir des enfants, la procréation doit être considérée comme faisant partie de la nature même du mariage. Ces idées seront un défi pour nos voisins laïques et pour ceux qui, dans l’Église, ont appris que leur corps leur appartient et que les enfants ne sont qu’un choix de vie.
La communication de cette éthique sexuelle doit se faire en dehors des plates-formes qui exigent des extraits sonores. Les réseaux sociaux ne sont pas propices aux discussions sur notre foi. Ils sont particulièrement hostiles à l’explication d’une éthique sexuelle biblique solide. Mais l’Église locale, elle, doit être un exemple de la beauté de l’éthique sexuelle chrétienne. En outre, les responsables chrétiens doivent expliquer longuement et de manière nuancée la raison pour laquelle cette éthique est belle.
Le monde se lassera de l’autonomie et de la positivité sexuelle. L’Église a l’occasion d’offrir quelque chose de vrai et de libérateur.
Se souvenir que nous ne nous appartenons pas
Pour s’attaquer à la racine de ces obstacles culturels, il faut remettre en question de manière holistique (globale) la croyance selon laquelle nous sommes à nous-mêmes et nous nous appartenons.
Le concept de propriété personnelle fait qu’il est difficile pour les gens d’aujourd’hui d’accepter une autorité extérieure comme source de vie spirituelle. Nous pouvons comprendre le fait de rechercher une spiritualité authentique à l’intérieur de nous-mêmes, mais pas à l’extérieur. Nous nous imaginons autonomes. Et on nous a appris que cette autonomie est notre plus grande liberté.
Que ce soit dans la bouche des existentialistes du milieu du siècle, des publicitaires ou des célébrités d’Instagram, on nous dit que nous sommes radicalement libres de créer notre réalité parce que nous nous appartenons. Cependant, cette idéologie n’est pas libératrice. C’est une forme de mort lente, et nous en voyons la preuve partout autour de nous.
Nos prochains (et de nombreux membres de l’Église) se réjouissent publiquement de leur autonomie radicale. Mais en même temps, ils sont malheureux, fragiles, peu sûrs d’eux et désespérés. Le sociologue français Alain Ehrenberg dans son ouvrage « La fatigue d’être soi : dépression et société » soutient de façon convaincante qu’il existe une relation directe entre la conception moderne de la personne auto-créée et auto-suffisante et les expressions modernes de la dépression et de l’anxiété.
Le fardeau de l’appartenance à soi nous accable. Lorsque nos prochains s’aperçoivent que l’autonomie n’est pas une source de vie mais une forme d’emprisonnement, l’alternative – l’appartenance à Dieu – devient plus acceptable.
Résister aux pressions culturelles
Ce n’est pas que ces trois accents définissent le cœur de l’Évangile ou qu’ils soient propres au christianisme. Au contraire, la contemplation de la transcendance, l’éthique sexuelle biblique et la conscience que nos vies sont la propriété de Dieu reflètent chacun un effort pour repousser trois pressions importantes de notre culture. Aucun d’entre eux n’est l’Évangile, mais chacun d’entre eux montre efficacement les implications de l’Évangile d’une manière qui se distingue du monde qui nous entoure.
Nos prochains (et de nombreux membres de l’Église) se réjouissent publiquement de leur autonomie radicale. Et en même temps, ils sont malheureux.
Alors que l’Église occidentale est confrontée à des changements sans précédent, nous avons la possibilité d’offrir un récit véritablement à contre-courant. Pour ce faire, nous devons rendre le christianisme compréhensible.
L’Évangile sera toujours offensant, mais il n’a pas toujours été aussi incompréhensible qu’il ne l’est aujourd’hui, à l’ère séculière. Notre tâche consiste à creuser et à trouver des points de tension qui nous permettront de bouleverser les idées fausses, d’offrir une belle alternative, de remettre en question les mythes sociaux dominants et de proclamer la Bonne Nouvelle.