La Bible est un objet et nous pouvons la traiter de manière très objective. Nous pouvons la disséquer, l’étudier, la sonder dans chaque recoin, creuser le contexte de chaque passage, trouver le sens clair et central de chaque verset, tout comme autant de millions de nuances et de précisions qui embellissent notre compréhension de la vérité.
Toutefois, quand nous prêchons, nous ne prêchons pas à des objets. Si nous devions prêcher à des disques durs, alors oui, nous pourrions « balancer de l’information », donnée après donnée, fait après fait, vérité après vérité ou interprétation après interprétation. L’œuvre de la Parole est objective dans ses vérités, mais elle est également personnelle. On y trouve de la conviction, de l’amour, de la compassion. On y trouve encore des émotions fortes, de la joie comme de la tristesse, de l’urgence, du rêve et de la consolation. Une vraie connexion à l’être humain.
Si donc la Bible est un objet, elle n’est pas que cela. Elle opère toujours avec le Saint-Esprit, lequel pour sa part œuvre de manière subjective, personnelle, mystérieuse et imprévisible. En effet, à partir des vérités objectives de la Bible, le Saint-Esprit convainc les cœurs dans des temps différents, à des degrés divers et pour des applications distinctes.
Par cette alliance unique d’objectivité et de subjectivité, la Parole de Dieu travaille donc de manière incroyable pour toucher l’être entier : autant la tête que le cœur et les tripes. Or c’est le travail du prédicateur de respecter cet équilibre de la Parole, en prêchant avec son être entier, ce que l’on appelle souvent « prêcher avec passion ».
Les prédicateurs de la Bible ont tous prêché avec passion. Je propose de regarder à l’un d’eux, Salomon, appelé le « Qoelet » (prédicateur), en référence à son don incontestable. Dans son discours (sermon) de l’Ecclésiaste, Salomon nous livre quatre principes pour prêcher avec passion.
La créativité
Par son discours, autant dans le fond que sur la forme, Salomon saisit son audience dans tout son être : il touche autant la tête, que le cœur et les tripes.
En effet, dès l’introduction « Vanité des vanités », l’auditeur est captivé.
Son discours est une véritable œuvre d’art. C’est tout à la fois fin et provocateur, beau et laid, triste et joyeux. C’est un puzzle à résoudre mais également un tableau à admirer. C’est engageant du début à la fin. C’est simple, mais profond. Le style est poétique, mais direct.
Par son côté créatif, Salomon arrive à faire quelque chose que l’on a beaucoup de mal à reproduire dans le monde occidental. Il provoque nos réflexions comme nos émotions, celles de notre quotidien : la frustration, le désespoir, la fatigue, la souffrance ou encore notre orgueil de nous savoir exister pour autre chose. Quand Salomon finit sa première phrase, nous sommes déjà plongés au cœur de son message. C’est de notre vie qu’il parle.
Et alors que régulièrement, nous pouvons prêcher sur le fait que nous sommes vides sans Dieu, Salomon dans son discours nous fait prendre conscience de cet état de manière retentissante. Son discours transcende la discussion intellectuelle et théologique pour nous faire ressentir, dans nos tripes, à quel point nous sommes vides sans Dieu.
En écoutant son discours, Salomon nous saisit pour nous faire vivre cette réalité qui est que nous ne sommes pas un peu vides, mais complètement vides sans Dieu : de A à Z, dans chaque cellule de notre corps, chaque neurone de notre cerveau, chaque pensée de notre âme, chaque Euro de notre compte en banque et chaque bouffée d’air. Sans Dieu, nous ne sommes absolument rien. On ne peut pas lire l’Ecclésiaste juste avec la tête. Sa passion nous nous en empêche.
L’Ecclésiaste nous fait ressentir ce sentiment teinté de nostalgie et d’espérance, évocateur de la chute de l’homme ; ce même sentiment que l’on retrouve dans la musique que l’on aime : la beauté d’un monde créé par le Dieu glorieux, mélangée à la tristesse du vide enfanté par le péché.
Ainsi par son travail recherché, artistique et provocateur, Salomon donne plus que de l’information dans son discours : il crée un événement . Il bouleverse un moment de notre vie et laisse une empreinte indélébile sur notre cœur.
L’authenticité
Après la créativité, un second principe auquel Salomon a recours est l’authenticité. Salomon crée un lien profond avec son auditoire en dévoilant sa propre expérience, ses propres chutes, comme ses propres victoires. Il ne cache pas le fait qu’il est pécheur ; il ne met pas de distance avec son auditoire. Au contraire, ses émotions deviennent nos émotions.
Dans le deuxième chapitre de l’Ecclésiaste, Salomon débute son discours en nous révélant qu’au lieu d’écouter Dieu, il a voulu écouter son cœur. Il est le roi le plus puissant, le plus sage et le plus riche qui ait jamais existé en Israël et pourtant, il s’humilie. Il avoue ses fautes, ses échecs. Il met tout à dévouert.
Comme le disait le pasteur Alexander MacLaren, « il faut un homme crucifié pour prêcher un Sauveur crucifié ». Salomon ne cache pas qu’il est un pécheur complètement perdu sans Dieu.
C’est tellement important en tant que prédicateur de garder cette authenticité, cette transparence. Les émotions sont un langage, elles font partie de ce que nous sommes. Quand on s’exprime dans la colère, cela crée un climat de colère. Quand on s’exprime dans la tristesse, cela crée un climat de tristesse. Quand on s’exprime dans la joie, cela crée un climat de joie. Quand on s’exprime avec orgueil, cela crée un climat d’orgueil. Quand on s’exprime avec humilité, cela crée un climat d’humilité.
Ce qui frustre le plus nos assemblées, c’est quand on ne partage pas leurs émotions. On prêche sur le jugement, mais sans verser de larmes pour les âmes perdues. On prêche sur la louange, mais sans s’arrêter pour exprimer notre propre louange et notre émerveillement par rapport à l’amour de Dieu pour nous. On prêche sur le zèle et l’engagement dans l’Église, alors que nos messages manquent d’enthousiasme, de vie et de préparation. On prêche un message intellectuel de la croix, parce qu’on oublie que ce sont nos propres fautes qui ont mis Jésus sur le bois.
Une fois de plus, le génie de Salomon, c’est qu’il nous fait revivre nos émotions les plus profondes sans nous faire honte, sans nous abaisser. Il n’écrase pas les gens par sa sagesse supérieure : il pose des questions, il amène, il conduit, il guide son auditoire pour arriver aux mêmes conclusions que lui, tout en lui donnant un espace pour cheminer.
Il est plein d’ironie, il se moque de lui-même et de ses choix stupides. Il nous fait pleurer et nous fait rire. Il nous fait vivre son message. Il parle de sa vie sans se mettre en avant. Il crée une connexion inébranlable avec son auditoire.
Intensité
Quand on lit l’Ecclésiaste, on ressent l’urgence, les conséquences du péché, la réalité de la mort, la souffrance du vide sans Dieu. L’Ecclésiaste est un livre de contrastes forts. Il est intense. Derrière ses mots, Salomon met tout le poids de sa vie. On a l’impression qu’il prêche son dernier message : « un homme mourant prêchant à des hommes mourants », comme disait le pasteur Richard Baxter.
C’est cela l’intensité, la passion. On prêche chaque message comme s’il s’agissait du dernier. On s’investit à fond.
Dès son introduction « Vanité des vanités, tout est vanité ! », c’est tout ou rien. Et ce n’est adressé sur le ton de la suggestion. Salomon dévoile son cœur, ses convictions. Il est entier dans son discours. Cela nous pousse à réfléchir et prendre des décisions sur nos choix de vie les plus profonds. Salomon n’est pas tiède dans ses propos : il est bouillant. Le monde est en crise. Il y a de l’ignorance, de la méchanceté et du péché. Nous sommes dans un tourbillon de mort éternelle et les gens se laissent emporter par le courant sans même y réfléchir.
Le célèbre prédicateur britannique Martin Lloyd Jones décrivait la prédication comme de la « théologie venant d’un homme enflammé ». Salomon est intense. Radical. Ça secoue et si on ne s’accroche pas à notre chaise, on risque de tomber !
Salomon implique tout notre être dans sa prédication, en nous faisant vivre l’intensité et l’urgence du moment présent. Demain, il sera trop tard.
Il montre aussi l’intensité des contrastes : la mort sans Dieu, mais également la vie abondante avec Dieu. Tout ce que Dieu fait est beau en son temps (Ecc. 3.11), tout ce qu’Il fait dure à toujours (3.14). Alors que nous pouvons tourner en rond toute notre vie pour trouver le bonheur, lui nous permet de le trouver même dans les choses les plus banales de la vie comme manger et boire, tant que l’on vit par la foi. Salomon nous donne envie de nous rapprocher de Dieu.
En même temps, Salomon n’a pas peur de dépeindre l’affreux tableau de ce qu’est le péché. Il nous montre à quel point l’amour de l’argent est hideux : à quel point la jalousie est stupide ; à quel point l’orgueil est vain ; à quel point l’égoïsme est destructeur et à quel point l’incrédulité est abominable. Il nous fait ressentir ces vérités dans tous nos os, et pourtant, sans jamais nous pointer du doigt.
Une fois encore, ce que fait Salomon relève du génie. Par sa passion, il arrive à montrer à quel point la vie sans Dieu est vide et à quel point la vie avec Dieu a un sens, sans jamais perdre son auditoire.
Salomon ne prêche pourtant pas pour plaire aux foules. Il nous provoque et va même jusqu’à nous mettre mal à l’aise. Mais il le fait avec tact, sagesse, humour, amour et humilité. Avec une passion selon Dieu.
La passion du prédicateur n’a rien d’une simple excitation. C’est bien davantage un ensemble de qualités réunies.
On a retrouvé dans les notes personnelles d’un prédicateur les mots suivants : « Point faible : taper davantage sur le pupitre. » Ce n’est pas cela l’intensité de la passion. Ça, c’est du mensonge. Quelques fois, nous, pasteurs, manipulons nos assemblées en essayant de forcer des émotions et une passion qui ne résident pas en nous. Que Dieu nous en préserve.
Autorité
Prêcher avec passion, c’est prêcher avec autorité. Autrement dit, prêcher de tout son être, avec le poids de la présence de Dieu. Salomon sait qu’en tant que roi, sa parole a du poids. Il sait que par son expérience, sa parole a du poids. Mais quand Salomon parle du sens de la vie, il sait qu’il n’a rien à inventer. Voici comment Salomon conclue son message :
« Écoutons la fin du discours: Crains Dieu et observe ses commandements. C’est là ce que doit faire tout homme. Car Dieu amènera toute œuvre en jugement, au sujet de tout ce qui est caché, soit bien, soit mal. » (Ecc. 12.15-16)
Au-dessus de la sagesse humaine, au-dessus de l’expérience, au-dessus du plaisir, au-dessus de tous les rois de la terre règne la Parole de Dieu et à elle revient le mot de la fin. Il n’y a qu’une seule autorité qui donne un sens à la vie de l’homme, c’est celle de Dieu révélée dans la Bible.
Pour être un homme, pour vivre pleinement, il faut craindre Dieu et observer ses commandements : voilà le message de Salomon.
Ces dernières paroles sont d’une ironie et d’une puissance incroyable. Salomon a commencé son règne en recevant les dernières paroles d’un mourant, le roi David son père. Et quelles sont ces paroles ?
« Je m’en vais par le chemin commun à toute la terre. Fortifie-toi et sois un homme! Respecte les ordres de l’Eternel, ton Dieu, marche dans ses voies et garde ses prescriptions, ses commandements, ses règles et ses instructions, en te conformant à ce qui est écrit dans la loi de Moïse. Ainsi tu réussiras dans tout ce que tu feras et partout où tu te tourneras » (1 Rois 2.2-3)
Salomon a vécu une vie pleine d’expériences et pourtant à la fin, il n’a qu’un message : celui qu’il avait reçu dès le début.
Ce message surpasse sa vie, surpasse son intelligence, surpasse sa force, surpasse sa sagesse, surpasse tout.
C’est parce que ce message dépasse absolument tout ce qu’il est, qu’il peut s’y consacrer entièrement. Il prêche la Parole. C’est un message complet, entier, auquel il n’y a rien à ajouter.