Résumé
L’épuisement professionnel constitue un danger constant pour ceux qui exercent un ministère chrétien. Si cet épuisement découle souvent de défis mentaux et/ou physiques, il ne faut pas sous-estimer l’impact que peut avoir l’incrédulité, face à certaines vérités théologiques, sur notre engagement dans le service. En justifiant son ministère auprès de l’Église de Corinthe, l’apôtre Paul a présenté des raisons théologiques qui ont soutenu sa persévérance malgré de grandes souffrances. Cet article explore l’encouragement théologique permettant la persévérance que Paul donne dans 2 Corinthiens 4.1-16 et propose des pistes de réflexion personnelle pour ceux qui traversent les difficultés du ministère de l’Évangile.
Dire à un groupe de responsables dans le ministère que le ministère est difficile, c’est comme dire à un groupe de nageurs olympiques que l’eau est mouillée. Cela va de soi. De la même manière, affirmer que les trois ou quatre dernières années de ministère ont été particulièrement éprouvantes est tout aussi évident. Des recherches récentes ont mis en lumière l’impact négatif des dernières années sur la confiance et l’enthousiasme des pasteurs pour le ministère. Un sondage a montré qu’en 2015 72 % des pasteurs se disaient «très satisfaits» de leur travail pastoral. En 2022, ce chiffre a chuté de manière spectaculaire de 20 points, atteignant seulement 52 %. De plus, le pourcentage de pasteurs ayant traversé une période de doute significatif concernant leur vocation a plus que doublé, passant de 24% en 2015 à 55% en 2022.1 Les trois principales raisons invoquées pour envisager de quitter le ministère incluent «le stress immense lié au travail», le sentiment de «solitude et d’isolement» et «les divisions politiques actuelles».2 De nombreux livres et ressources ont récemment été publiés pour répondre à cette tendance inquiétante dans le ministère pastoral.3 Les missionnaires, également, font face à des pressions uniques alors qu’ils naviguent entre vie et ministère dans différents contextes culturels, ce qui conduit beaucoup à quitter le terrain.4
Naturellement, la difficulté du ministère n’est pas un phénomène nouveau. Bien avant les récentes élections et la pandémie de COVID, les serviteurs de l’Évangile ont porté leur croix et enduré toutes sortes de souffrances. Le ministère de l’apôtre Paul a été particulièrement marqué par la souffrance, y compris, mais sans s’y limiter, par «l’inquiétude pour toutes les Églises» (2 Cor 11.28).5 Le cœur pastoral et les souffrances ultérieures de Paul apparaissent clairement dans 2 Corinthiens, ce qui donne à la lettre «un fort argument pour être reconnue comme l’épître pastorale par excellence»6.
Une des sources d’anxiété pour Paul était la nécessité de répondre aux accusations concernant la légitimité de son ministère.7 Pour faire face à l’opposition qui avait surgi, d’abord de la part d’un individu au sein de l’Église de Corinthe (p. ex. 2 Cor 2.5; 7.12), puis d’un groupe plus large (p. ex. 1 Cor 4.3–5, 18–21; 2 Cor 2.17 ; 3.1–3), Paul consacre une grande partie de 2 Corinthiens à défendre son ministère apostolique (2 Cor 1.12–7.16; 10.1–13.10). Une partie de sa défense inclut des exemples de souffrances qu’il a endurées en tant que serviteur de Christ (2 Cor 11.23–29). Malgré l’opposition qu’il rencontrait de la part de certains membres de l’Église de Corinthe et les épreuves qu’il vivait ailleurs, Paul tient à préciser qu’il n’a pas faibli dans son ministère. L’apôtre Paul écrit dans 2 Corinthiens 4.1: «Ainsi donc, puisque par la bonté de Dieu nous avons ce ministère, nous ne perdons pas courage.» Il répète cette phrase au verset 16: «Nous ne perdons donc pas courage.» Le mot ἐγκακέω, traduit par «perdre courage» dans plusieurs de nos traductions francophone, n’est utilisé que dans quatre autres passages du Nouveau Testament (Luc 18.1; Gal 6.9; Éph 3.13; 2 Thess 3.13) et signifie «perdre l’enthousiasme» ou «être découragé». Certains préfèrent le traduire par «être lâche ou timide».8 Dans tous les cas, Paul décrit sa persévérance dans le ministère malgré de nombreuses épreuves. Encore une fois, si quelqu’un avait des raisons de perdre son enthousiasme, sa détermination, sa joie, sa patience ou son audace dans le ministère, Paul serait un candidat idéal.
Les paroles de Paul sont spécifiques à sa propre expérience. Cependant, en tant qu’Écriture inspirée, tous les responsables de ministère peuvent tirer profit des vérités que Paul présente comme le fondement de son endurance dans le ministère. Paul Barnett explique que «le ministère de la nouvelle alliance ne s’est pas limité à la génération de l’apôtre, mais se poursuit jusqu’au retour du Seigneur.»9 Il ajoute :
«Le message apostolique ne s’est pas éteint avec Paul, mais il devait être confié à d’autres (2 Tm 2.2), afin que le flambeau de l’Évangile soit transmis de génération en génération jusqu’à ce que le Seigneur vienne. Ainsi, la majeure partie de ses enseignements sur le ministère reste un modèle et une source d’inspiration pour les générations suivantes de missionnaires et de pasteurs. Ses commentaires sur le ministère … demeurent à travers les âges pour façonner et guider la vie des serviteurs du Seigneur.»10
La détermination et la persévérance de Paul face aux défis du ministère sont à la fois humbles et inspirantes. Nous avons tout intérêt à considérer la vie de Paul pour que nous puissions, à notre tour, persévérer à porter le «flambeau de l’Évangile» dans nos contextes particuliers.
Bien qu’identifier et traiter les causes de l’épuisement pastoral soit complexe et implique des évaluations de la santé mentale, spirituelle et physique, je crois que 2 Corinthiens 4 offre un encouragement théologique unique pour la persévérance dans le ministère, en soulignant le lien important entre l’esprit et le cœur.
L’usage par Paul des mots «ainsi donc» (v. 1) et «voilà pourquoi» (v. 16) indique les motivations ou raisons de sa persévérance dans le ministère. De plus, l’usage du mot «au contraire» (v. 2, ἀλλά) introduit une section décrivant son ministère en «contraste frappant» avec un ministère qui aurait «perdu courage».11 Ainsi, le langage de Paul au chapitre 4 fournit à la fois des raisons pour persévérer et des preuves de la persévérance. Bien que l’on puisse glaner bien d’autres informations dans la lettre de Paul à l’Église de Corinthe, cet article se limitera à 4.1-16, c’est-à-dire aux vérités comprises entre les deux déclarations de Paul selon lesquelles «nous ne perdons pas courage». Cet article présentera brièvement sept vérités théologiques qui encouragent à la persévérance dans le ministère de l’Évangile ainsi que les possibilités de réflexion personnelle correspondantes.
1. La nouvelle alliance est le contexte de notre service, pas la récompense
Ainsi donc, puisque par la bonté de Dieu nous avons ce ministère, nous ne perdons pas courage. (v.1)
Paul reconnaissait que, pour lui, être serviteur de la nouvelle alliance (3.4–18) et, encore plus, être membre de la nouvelle alliance était un don incroyable de la grâce de Dieu.12 Ni l’un ni l’autre n’était quelque chose qu’il méritait. Cela, bien sûr, est également vrai pour nous. Aucun de nous ne mérite d’être justifié devant Dieu. Aucun d’entre nous ne mérite l’honneur de servir Jésus et son Église. Pourtant, nous sommes tentés de l’oublier. Nous pouvons facilement commencer à confondre notre position en Christ avec nos ministères pour Christ. Même si nous ne le dirions jamais ouvertement, nos actions commencent à refléter l’idée que notre acceptation devant Dieu repose sur les œuvres que nous accomplissons pour lui. Dans ces moments-là, notre sentiment de mérite s’accroît parallèlement à l’assistance, aux budgets et à l’approbation. À l’inverse, ce sentiment s’effrite lorsque ces éléments viennent à manquer. Quand cette réalité s’ancre dans nos cœurs, il n’est pas difficile d’imaginer le tribut que le ministère leur fera payer. Si la base de notre identité est façonnée par ce que nous faisons pour Dieu plutôt que par ce que Dieu a fait pour nous, il sera difficile de traverser les périodes de défis dans le ministère avec l’assurance de l’amour indéfectible de Dieu.
La première source d’encouragement pour persévérer dans le ministère de l’évangile vient donc de l’évangile lui-même. Nous ne devons pas oublier de nous reposer dans le même message que nous nous efforçons de proclamer aux autres dans notre ministère: nous sommes justes devant Dieu en raison de la justice de Christ qui nous est donnée par grâce seule, au moyen de la foi seule, et cette justice ne peut être perdue ni retirée. Et cela est vrai dans les meilleurs jours de notre ministère comme dans les pires. Souvenons-nous, nous sommes sauvés par Jésus et non par le ministère. Et les deux sont des dons. Jared Wilson nous encourage en écrivant :
«Voici la justification pour le pasteur-enclin-au-péché (j’entends par là «le pasteur»): en raison de l’œuvre parfaite de Christ en votre faveur, votre échec, votre anxiété quotidienne, votre manque de volonté, votre stress, votre péché, votre brisement, votre inaptitude, votre ignorance, votre mauvaise conduite, vos regrets, votre orgueil et votre arrogance ne peuvent rivaliser avec la grâce profonde et durable de Dieu qui vous a été donnée avant la fondation du monde, maintenant et pour toujours.»13
Les circonstances de votre ministère fluctueront ; cependant, en raison de votre foi en l’œuvre accomplie de Christ, votre position devant Dieu ne changera jamais. La prise de conscience profonde et merveilleuse de la grâce qu’il y a à connaître le Seigneur — et à le servir — peut offrir de l’endurance lorsque nos ministères ne sont pas ce que nous souhaiterions qu’ils soient.
Réflexion : Ta fatigue dans le ministère pourrait-elle être attribuée à une croyance sous-jacente selon laquelle ta justice repose sur tes performances dans le ministère? Le ministère est-il devenu ton identité par défaut? Par exemple, lorsque tu es confronté à des critiques, es-tu assez humble pour l’accepter ou réagis-tu de façon trop défensive parce que ton identité même est remise en question? Es-tu tenté de désespérer lorsque tu compares ton ministère à celui de quelqu’un d’autre? La joie de ton salut fluctue-t-elle en fonction du «succès» de ton ministère cette semaine-là?
2. L’Évangile valide notre ministère et non l’inverse
Nous rejetons les actions honteuses qui se font en secret, nous ne nous conduisons pas avec ruse et nous ne falsifions pas la parole de Dieu. Au contraire, en faisant connaître clairement la vérité, nous nous recommandons à toute conscience d’homme devant Dieu. (v.2)
Nous ne nous prêchons pas nous-mêmes: c’est Jésus-Christ le Seigneur que nous prêchons, et nous nous déclarons vos serviteurs à cause de Jésus. (v.5)
En se défendant, Paul maintient l’intégrité totale de son ministère. Il n’exerce pas le ministère d’une manière qui pourrait être qualifiée de «honteuse» ou de «sournoise». Au contraire, ceux qui l’accusent de telles choses peuvent eux-mêmes être décrits ainsi. Ils sont des «trafiquants de la parole de Dieu» (2.17), des «faux apôtres [et] des ouvriers trompeurs» (11.13). Cependant, Paul refuse de pratiquer la «ruse», un mot qui signifie littéralement «prêt ou capable de tout faire».14 Paul utilise ce mot pour décrire Satan dans la manière dont il a trompé Ève (11.3), une description appropriée des «super-apôtres» (11.5) que Paul accuse d’être les «serviteurs» de Satan (11.14–15). Au lieu de cela, Paul refuse de «falsifier la parole de Dieu» (4.2), persévérant dans la proclamation de Jésus et non de lui-même (4.5; cf. 1 Cor 2.2). «Paul ne compromet jamais la vérité de l’Évangile, même quand tout semble jouer contre lui.»15
L’accusation que Paul devait réfuter est celle que nous rencontrerons tous un jour, qu’elle vienne de nos adversaires ou de notre propre conscience : notre ministère devrait être jugé à l’aune de ses résultats. Pour Paul, ses souffrances étaient perçues comme une remise en cause de la crédibilité de son message. Or, Paul soutient exactement le contraire. La valeur de son ministère résidait dans la vérité de son message. La tentation de remettre en question nos ministères en fonction des «succès» perçus n’est pas différente aujourd’hui. Cette pression et ce désir de résultats tentent régulièrement les pasteurs de pratiquer et de prêcher un message qui pourrait être défendu comme étant plus «pertinent» ou «contextuel», alors qu’en réalité il devrait être qualifié comme «honteux» et «trompeur». Bien sûr, il est important que nous nous efforcions d’éliminer tous les obstacles inutiles qui empêchent les gens d’entendre l’Évangile et d’y répondre. Nous ne devrions cependant jamais céder à la tentation de modifier les enseignements clairs de l’Écriture, d’être trompeurs dans notre manière de parler de suivre Christ ou de diminuer l’importance de la repentance, dans l’espoir d’attirer davantage de gens, dans le but de justifier ou légitimer notre ministère. C’est la proclamation fidèle de l’Évangile qui valide un ministère fidèle.
Comme Paul l’explique dans ce passage, les personnes que nous servons vivent dans les ténèbres (v. 3–4) et ont désespérément besoin de voir la lumière de Christ (v. 6). Que devons-nous faire alors? Spurgeon a souligné la nécessité de garder Christ au centre de notre message à l’aide de deux illustrations créatives. Alors que quelqu’un habite dans une maison sombre, il dit: «Vous ne pouvez pas pomper l’obscurité; mais si vous remplissez la maison de lumière, les ténèbres disparaîtront d’eux-mêmes. Prêchez Christ, et le dieu de ce monde s’en va. Exaltez Christ, et le diable tombe.» Tel un cavalier et un cheval, il dit: «L’Évangile est glorieux dans sa progression lorsqu’il porte Jésus en selle; mais si vous vous prêchez vous-même ou si vous prêchez la philosophie humaine, l’Évangile vous projettera par-dessus sa tête.»16 Le ministère est difficile, mais la difficulté ne justifie pas la distorsion et la tromperie. Un ministère célébré par des millions ne vaut pas un ministère rejeté par Dieu.
Réflexion : Ta fatigue dans le ministère pourrait-elle être due à un manque de confiance dans l’œuvre de Dieu à travers l’Évangile? Es-tu tenté de déformer, modifier ou manipuler les Écritures parce que tu crois que le ministère deviendrait alors plus facile?
3. Le ministère est plus qu’une bataille intellectuelle; c’est aussi une bataille spirituelle.
Si notre Évangile est encore voilé, il l’est pour ceux qui périssent, pour les incrédules dont le dieu de ce monde a aveuglé l’intelligence afin qu’ils ne voient pas briller l’éclat que projette l’Évangile de la gloire de Christ, qui est l’image de Dieu. (v.3-4)
Paul identifie clairement l’ennemi de Christ et de son ministère: le «dieu de ce monde».17 Satan, en s’opposant à l’avancée de l’Évangile, a «aveuglé l’intelligence» des incroyants afin qu’ils ne voient pas Christ, qui est la lumière du monde (Jean 8.12). Alors que Paul parle d’un voile sur l’esprit des Juifs dans le chapitre 3, nous savons que l’activité de Satan ne se limite pas aux Juifs (cf. 2 Cor 2.11; 11.3, 14). Jésus a spécifiquement mandaté Paul comme son ambassadeur envoyé auprès des Gentils pour «leur ouvrir les yeux pour qu’ils passent des ténèbres à la lumière et de la puissance de Satan à Dieu» (Actes 26.18).
Alors que la mission apostolique de Paul s’opposait à Satan, nous sommes nous aussi chargés d’apporter la lumière de l’Évangile à un monde dont l’esprit est «aveuglé».18 Barnett offre une explication de l’analyse que Paul fait de ce combat intellectuel et spirituel au sein de son ministère: «Le talon d’Achille de l’homme réside dans son esprit, car il est particulièrement susceptible à l’orgueil intellectuel, surtout lorsqu’il s’agit de questions religieuses. C’est avec un jugement infaillible sur la vulnérabilité humaine que Satan a aveuglé, non pas les émotions ou la volonté, mais l’esprit de l’homme».19 Nous sommes tous conscients du défi intellectuel auquel nous faisons face dans notre ministère, surtout auprès de ceux qui ont été davantage façonnés par la culture que par Christ. Cette réalité nous incite souvent à analyser constamment la culture, cherchant à rester informés des dernières tendances philosophiques et sociales. Bien que cet effort soit légitime et utile, il peut parfois avoir l’inconvénient de nous faire perdre de vue l’ennemi véritable ainsi que l’obstacle principal à notre mission. Le conseil de Keller est utile ici. Il écrit: «Essayez de vous rappeler que vous êtes en conflit avec un système de croyances bien plus qu’avec un groupe de personnes. Les contemporains sont les victimes de la mentalité postmoderne bien plus qu’ils n’en sont les auteurs. Vu sous cet angle, l’Évangile ressemble plus à une évasion de prison qu’à une bataille ».20 C’est un rappel important que notre véritable ennemi est Satan, et non les personnes auprès desquelles nous accomplissons notre mission. Nous vivons et exerçons notre ministère en «territoire ennemi occupé».21 Cela a des répercussions profondes sur la manière dont nous devons aborder nos ministères. Même si notre travail implique souvent à surmonter des obstacles intellectuels, l’obstacle ultime, qui empêche ceux à qui nous nous adressons de percevoir la beauté de Christ, est spirituel. Il ne s’agit pas d’encourager la paresse intellectuelle, mais plutôt d’alléger le fardeau de ceux qui sont accablées par des défis intellectuels. Bien que nous nous efforcions d’étudier et de formuler des arguments logiques en faveur de la vérité ainsi que de comprendre notre culture en profondeur, nous ne devons jamais perdre de vue que nos ministères reposent bien davantage sur la puissance de Dieu que sur la force de notre intellect. Il ne suffit pas seulement d’étudier; il est tout aussi essentiel de prier.
Réflexion : Ta fatigue dans le ministère pourrait-elle être attribuée à un sentiment d’insuffisance intellectuelle? Es-tu pleinement conscient de la bataille spirituelle qui a lieu dans ton Église et ta communauté? Pries-tu régulièrement en demandant à Dieu d’ouvrir les yeux des aveugles spirituels dans ton ministère?
4. Nous servons le Créateur qui est le nouveau Créateur
En effet, le Dieu qui a ordonné que la lumière brille du sein des ténèbres a aussi fait briller sa lumière dans notre cœur pour faire resplendir la connaissance de la gloire de Dieu dans la personne de Jésus-Christ. (v.6)
Paul comprenait que même si Satan était un véritable adversaire pour le ministère, il servait Celui qui pouvait facilement surmonter l’obstacle de l’aveuglement spirituel. Colin Kruse écrit: «Il faut se rappeler que Satan ne peut exercer une telle fonction [4.4] qu’avec la permission divine, et que l’aveuglement de l’esprit qu’il est autorisé à imposer peut à tout moment être percé par un éclat de lumière si Dieu le veut».22 Exprimant sa confiance dans le fait que Dieu peut non seulement égaler mais aussi surmonter facilement l’œuvre de Satan, Paul met en parallèle leur travail dans les versets 4 et 6, comme le montre le tableau suivant.23
Paul pouvait persévérer dans son ministère sachant que, bien qu’il soit confronté aux cœurs voilés des incroyants, Celui qui a fait jaillir la lumière de l’obscurité éclaire les cœurs les plus sombres. En faisant allusion au récit de la création (Ge 1.3) et/ou à la prophétie d’Ésaïe sur la venue du Messie qui est la lumière du monde (Es 9.2; Jn 8.12), Paul était confiant dans le Créateur qui est aussi le Nouveau Créateur. Un ministère durable sera caractérisé par cette même confiance dans le pouvoir salvateur de Dieu.
La conséquence d’oublier — ou de douter — de la capacité de Dieu à sauver ceux qui sont dans les ténèbres est prévisible. J. I. Packer a observé: «Là où nous ne comptons pas consciemment sur Dieu, nous nous retrouverons inévitablement à compter sur nous-mêmes».24 Compter sur les créatures pour inciter [une nouvelle] création est une entreprise sans espoir. Dans notre désespoir, nous nous tournerons alors soit vers de nouveaux gadgets pour un «succès» futur, soit vers d’anciennes méthodes qui semblent avoir produit un «succès» passé. À propos des premiers, Wilson met en garde: «Ce avec quoi vous gagnez les gens est ce à quoi vous les gagnez» et, «s’ils ne sont pas gagnés par la gloire de Christ, ils ne sont pas gagnés pour la gloire de Christ».25 Quant aux seconds, Packer a observé qu’en raison de la confiance placée dans les méthodes d’évangélisation du passé, nous sommes confrontés à une «désillusion» lorsqu’elles échouent aujourd’hui. Pour remédier à cette désillusion évangélique, il écrit…
«Premièrement, nous devons admettre que nous avons été sots de penser qu’une technique d’évangélisation, aussi habile soit-elle, pouvait en elle-même garantir des conversions. Deuxièmement, nous devons reconnaître que le cœur de l’homme étant imperméable à la Parole de Dieu, il n’y a pas lieu de s’étonner si, à un moment ou à un autre, notre évangélisation n’aboutit pas à des conversions. Troisièmement, nous devons nous rappeler que les termes de notre appel sont que nous soyons fidèles, et non que nous soyons couronnés de succès. Quatrièmement, nous devons apprendre à faire reposer tous nos espoirs de réussite dans l’évangélisation, sur la grâce toute-puissante de Dieu.»26
Bien sûr, cela est vrai non seulement pour l’incroyant que nous désirons voir sauvé, mais aussi pour le croyant piégé dans le péché, à qui nous conseillons de se repentir et de marcher dans la liberté. Les serviteurs de l’Évangile sont donc un peu comme Susan et Lucy qui montent sur le dos d’Aslan lorsqu’il saute le mur du château. Jésus «n’a pas besoin d’être guidé et ne se fatigue jamais. Il se précipite, sans jamais perdre pied, sans jamais hésiter…»27 Dieu peut franchir le mur de n’importe quel cœur non régénéré et non repentant d’un seul bond ; nous ne faisons qu’accompagner le mouvement.
Réflexion : Ta fatigue dans le ministère pourrait-elle être attribuée à un doute sur la capacité de Dieu à sauver les pécheurs? Pense à quelqu’un dans ton ministère qui semble être le moins susceptible de devenir un disciple de Christ. Crois-tu que Dieu puisse le/la sauver? Réfléchis à ton propre témoignage et à la manière dont Dieu a fait briller sa lumière dans l’obscurité de ton cœur. Penses au témoignage d’une personne dans ton ministère avec la certitude que Celui qui a déjà sauvé peut — et va — sauver encore.
5. Un sentiment d’inadéquation dans le ministère n’est pas mauvais; il est vrai
Nous portons ce trésor dans des vases de terre afin que cette puissance extraordinaire soit attribuée à Dieu, et non à nous. (v.7)
Les adversaires de Paul cherchaient à le discréditer en soulignant ses faiblesses, ce qui, selon Paul, n’était pas très difficile à faire. Il était parfaitement conscient de ses craintes (1 Co 2.3), de son manque d’éloquence (1 Co 2.4; 2 Co 11.6) et de ses limites physiques (2 Co 10.10; 12.7). La réponse de Paul n’était pas de nier ses faiblesses, mais de les accepter. Il se décrit comme un «vase d’argile», un «ustensile ordinaire et quotidien» qui est «fragile, inférieur et périssable».28 Que Dieu ait déposé son «trésor» dans un récipient aussi indigne n’est pas une erreur; c’était intentionnel. Dieu utilise des personnes faibles, inadéquates et peu impressionnantes afin qu’il n’y ait aucun doute quant à savoir qui mérite la gloire lorsque des vies sont transformées (1 Cor 1.26–29; 2.3–5; 2 Cor 3.4–6; 12.9–10).
Il est facile de ressentir le poids de nos lacunes sous la pression croissante du ministère. Comme Paul, beaucoup d’entre nous ont vu leurs faiblesses mises en évidence par les membres de leur congrégation. Il est certain que nous devrions nous efforcer de progresser dans les domaines où nous avons besoin de progresser, qu’il s’agisse de la prédication, du conseil, de la direction ou d’un autre domaine du ministère. Nous devons vouloir être les meilleurs pasteurs possibles. Nous devons cependant veiller à ne pas trop nous appuyer sur nos propres capacités ou à ne pas être découragés par nos propres limites. Une réflexion sur la situation à Corinthe montre que la confiance en nos propres capacités correspond davantage aux « super-apôtres » triomphalistes qu’à Christ et à ses disciples (par exemple, 2 Co 10.10; 11.20-21; 12.1, 11-13; 13.2-4).
Serviteur de l’Évangile qui est fatigué, sauf un péché disqualifiant, tu n’as pas de faiblesses éliminatoires. En fait, si tu te sens inadéquat pour le ministère de l’Évangile, alors tu es plus proche de la vérité que le pasteur qui pense tout maîtriser. Le fait que tu serves en dépit de tes faiblesses prépare le terrain pour que la gloire de Dieu occupe une place centrale. En outre, Paul Tripp souligne l’importance d’accepter les faiblesses dans le ministère: «C’est ton aveu de faiblesse qui protège ton ministère d’être centré sur la réputation humaine et la construction de royaumes.»29 Il poursuit en écrivant:
«Plutôt que d’être un portrait parfait qui rassure les gens quant à la véracité de l’Évangile, toi et moi sommes appelés à être des fenêtres à travers lesquelles les gens regardent et voient la gloire du Seigneur Jésus-Christ ressuscité. C’est notre faiblesse qui démontre à la fois l’essence et la puissance de la grâce du Seigneur Jésus-Christ. Seule sa grâce toujours présente et puissante permet à une personne, qui a encore besoin d’être elle-même changée, d’être utilisée comme instrument de sa grâce transformatrice dans la vie des autres.»30
Accepter nos limites nous libère de la tentation de prétendre être quelqu’un que nous ne sommes pas, nous libère de l’orgueil lié à notre charisme, notre intelligence ou nos réalisations, et libère notre entourage de la tentation de nous mettre sur un piédestal qui devrait être réservé à Jésus seul.
Réflexion : Ta fatigue dans le ministère pourrait-elle être due à une trop grande importance accordée à tes faiblesses? Tes faiblesses sont-elles devenues plus importantes à tes yeux que la puissance de Dieu? Fais une liste mentale de ce que tu considères comme tes faiblesses. Mis à part un péché disqualifiant, crois-tu vraiment que l’une d’entre elles annule la capacité de Dieu à t’utiliser?
6. Le ministère est conçu pour montrer à la fois la mort et la résurrection
Nous sommes pressés de toutes parts, mais non écrasés; inquiets, mais non désespérés; persécutés, mais non abandonnés; abattus, mais non anéantis. Nous portons toujours avec nous dans notre corps l’agonie du Seigneur Jésus afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre corps. En effet, nous qui vivons, nous sommes sans cesse livrés à la mort à cause de Jésus afin que la vie de Jésus soit elle aussi révélée dans notre corps mortel. Ainsi la mort est à l’œuvre en nous, et la vie en vous. (v.8-12)
Dans les versets 8 à 12, Paul nous rappelle que le ministère chrétien suit le modèle de Christ, en particulier sa mort et sa résurrection. Nous, qui proclamons l’Évangile, devons être prêts à marcher dans les pas de l’Évangile. Comme le décrit Rob Edwards, nous sommes appelés à «participer à ce que nous proclamons.»31Le ministère consiste donc à la fois en la mort et la résurrection. Cependant, ces expériences ne se vivent pas de manière séquentielle, mais simultanément. Nous pouvons voir cela dans les versets 10–11, où Paul dit que nous «portons toujours avec nous dans notre corps l’agonie du Seigneur Jésus afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre corps. En effet, nous qui vivons, nous sommes sans cesse livrés à la mort à cause de Jésus afin que la vie de Jésus soit elle aussi révélée dans notre corps mortel.» En d’autres termes, la mort et la résurrection sont régulièrement présentes dans nos ministères en même temps. Elles ne sont pas des expériences distinctes. Edwards explique: «Les moments de résurrection dans le ministère ne surviennent que lorsqu’ils sont accompagnés d’expériences qui peuvent à juste titre être qualifiées de mort. Mais de même, il n’y a aucune expérience de mort qui n’inclut aussi la puissance de la résurrection de Christ qui soutient la vie de ceux qui le servent.»32
Ce modèle simultané de mort et de résurrection dans le ministère est une perspective nécessaire alors que nous nous efforçons d’accomplir un ministère fidèle à notre époque. Edwards nous encourage à nouveau:
«La souffrance ne doit pas être perçue comme un indicateur qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans le ministère. En fait, en l’absence de souffrance, c’est une histoire d’Évangile complètement différente qui est racontée… Un danger subtil dans le ministère est de proclamer le message de la mort et de la résurrection de Jésus tout en s’attendant à vivre une histoire qui, bien qu’elle puisse inclure quelques difficultés et épreuves occasionnelles, partage principalement un scénario avec ce monde, échangeant le thème de la mort et de la résurrection pour une autre trame plus attrayante pour notre époque.»33
Scott Hafemann partage les mêmes préoccupations concernant les attentes courantes à l’égard des pasteurs et du ministère pastoral qui suppriment l’expérience de la souffrance. Il observe :
«Nous supposons ̎naturellement ̎ que les personnes belles et en bonne santé ̎sont fortes ̎ dans le Seigneur, surtout si elles sont douées en rhétorique. Pourtant, du point de vue de Paul, la caractéristique dominante de ceux en qui Dieu agit puissamment est leur endurance confiante au milieu de l’adversité. Nos pasteurs doivent incarner la persévérance, et non la personnalité; la moralité, et non les miracles.»34
À une époque où le ministère minimise la souffrance et la dépendance totale à Christ, le message de Paul est clair. Tout leader de ministère fidèle sera, dans une certaine mesure, «pressés», «inquiets», «persécutés» et «abattus». Cependant, il faut une confiance inébranlable dans l’Évangile pour voir que nous ne sommes pas «écrasés», «désespérés», «abandonnés» ou «anéantis».35 Nous incarnons la mort et la résurrection de Jésus; nous incarnons le message que nous proclamons.
Réflexion : Ta fatigue dans le ministère pourrait-elle être attribuée au fait que tu marches dans les pas de celui qui a été crucifié avant d’entrer dans la gloire? Il est probablement facile d’identifier des signes de mort dans ton ministère, mais peux-tu aussi identifier des signes de vie?
7. Se souvenir de la fin pour persévérer jusqu’au bout
Et comme nous avons le même esprit de foi que celui exprimé dans cette parole de l’Ecriture: J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé, nous aussi nous croyons, et c’est pour cela que nous parlons. Nous savons en effet que celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera aussi par Jésus et nous fera paraître avec vous dans sa présence. Oui, tout cela arrive à cause de vous afin que la grâce, en se multipliant, fasse abonder la reconnaissance d’un plus grand nombre, à la gloire de Dieu. (v.13-15)
Dans le dernier paragraphe de notre section, Paul souligne deux réalités encourageantes qui alimentent sa persévérance: la résurrection certaine et future du peuple de Dieu et la gloire de Dieu. Son ministère est donc renforcé par des motivations eschatologiques et doxologiques. Pour souligner l’importance de la résurrection dans son ministère persévérant, Paul cite le Psaume 116.10.36 Dans ce psaume, le psalmiste loue le Seigneur qui sauve son peuple de la mort. Le verset 10, que Paul cite, est la déclaration du psalmiste qui, malgré les menaces de mort, continue de croire en la puissance de Dieu pour ressusciter les morts. James Hamilton observe: «Même lorsqu’il décrivait sa plus grande affliction, il avait toujours la foi. En regard du verset suivant 116.11, il semble que le psalmiste croyait que Yahweh était vrai, même lorsqu’il concluait que tout homme mentait. Son affliction était sévère. Il était proche de la mort. Il sentait qu’il ne pouvait faire confiance à aucun homme. Pourtant, il croyait en Dieu.»37 Il relie ce psaume à l’apôtre dans 2 Corinthiens 4, écrivant: «Comme le psalmiste, [Paul] fait confiance au Dieu qui délivre de la mort même au milieu d’une grande détresse.»38 Cette confiance en la résurrection future renforçait sa capacité à endurer l’opposition. Cela est d’autant plus clair lorsqu’il écrit dans le paragraphe suivant: «En effet, nos légères difficultés du moment présent produisent pour nous, au-delà de toute mesure, un poids éternel de gloire.» (2 Cor 4.17). La foi inébranlable en la résurrection de ceux qui faisaient partie de son ministère le poussait également (cf. 2 Cor 1.14; Phil 2.16; 1 Thess 2.19). Il savait qu’eux aussi le rejoindraient dans la résurrection, alors il persévérait.
Une eschatologie confiante conduit à une autre motivation pour la persévérance: la gloire de Dieu. Le but doxologique du ministère (et de toutes choses) est résumé au verset 15, lorsque Paul écrit: «afin que la grâce, en se multipliant, fasse abonder la reconnaissance d’un plus grand nombre, à la gloire de Dieu.» Paul démontre ici un raisonnement théologique simple. Plus Paul peut influencer de personnes avec l’Évangile, plus le Seigneur recevra de louanges.
Que peut-on tirer de ces vérités pour le pasteur qui endure les difficultés du ministère de l’Évangile? L’espérance eschatologique consiste à regarder au-delà de la laideur de la vie et du ministère dans le siècle présent tout en fixant nos yeux sur la beauté du siècle à venir. L’espérance future est une aide présente. Il nous est rappelé qu’un jour viendra assurément où Christ reviendra et rassemblera son peuple auprès de lui pour toujours. Un jour viendra où tous les conflits relationnels, la jouissance du péché et la rébellion contre Dieu et sa parole appartiendront au passé. Il y aura vraiment une fin aux luttes auxquelles nous sommes confrontés dans nos ministères. Mais ce n’est pas encore le cas. En attendant, nous persévérons en sachant que, comparées à notre avenir éternel, nos luttes ne durent qu’un instant. Et à mesure que nous influençons de plus en plus de personnes, selon la volonté et le bon plaisir souverain de Dieu, de plus en plus de gens lui rendront la louange et l’honneur qu’il mérite. Aucun coureur ne traverse la douleur s’il ne croit pas qu’il y a une ligne d’arrivée. Grâce à la résurrection de Jésus, nous savons qu’une fin glorieuse attend ceux qui lui sont unis. Puissions-nous être capables de dire, comme Paul: «J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la foi» (2 Tim 4.7).
Réflexion : Ta fatigue dans le ministère pourrait-elle être attribuée à un affaiblissement de ton eschatologie? Comment la résurrection pourrait-elle alimenter ta détermination déclinante? Comment le fait de considérer le ministère comme un acte d’adoration pourrait-il changer ta façon d’aborder les saisons et circonstances difficiles? Considérant la situation difficile que tu traverses actuellement, lis et médite sur le Psaume 116.
8. Conclusion
Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles les pasteurs et responsables de ministère peuvent être confrontés à l’épuisement professionnel ou en faire l’expérience. Les causes physiques, mentales et spirituelles doivent toutes être évaluées. Toutefois, dans notre fatigue, n’ignorons pas la possibilité de notre incrédulité face à certaines vérités théologiques. Les paroles de Paul dans 2 Corinthiens 4.1–16 constituent un point de départ utile pour aborder certains de ces problèmes théologiques qui pourraient compromettre un ministère durable. Elles offrent également des occasions de réfléchir à l’état de nos cœurs. Après tout, l’esprit et le cœur ne sont pas des aspects indépendants de l’expérience humaine. Ils sont liés.39 Par conséquent, une foi inébranlable dans les vérités éternelles de Dieu et de son œuvre peut nous permettre de dire, avec Paul, «nous ne perdons pas courage».