Le Credo des Apôtres affirme, entre autres, que Jésus-Christ a été «crucifié sous Ponce Pilate». La mention d’un gouverneur romain du premier siècle peut sembler inappropriée dans cette grande déclaration de la vérité chrétienne, mais elle inscrit l’Évangile à un endroit précis de l’histoire de l’humanité. Cela soulève cependant une autre question: Comment quelque chose d’aussi éloigné dans l’espace et le temps peut-il nous concerner, vous et moi? Comment la mort de Jésus a-t-elle pu couvrir mes péchés, et sa résurrection garantir ma destinée éternelle?
D’un point de vue théologique, nous évoquons les différentes manières dont l’œuvre salvatrice de Christ s’applique à nos vies: Dieu nous appelle à lui; il nous régénère, en nous donnant une nouvelle vie spirituelle; il nous justifie, en nous débarrassant de nos péchés, et en nous imputant la justice du Christ; il nous adopte dans sa famille; il nous sanctifie, en nous conformant à l’image de Christ; et il promet d’achever son œuvre salvatrice en nous glorifiant de la gloire de Christ ressuscité. Mais ces bénédictions spirituelles ne se répandent dans nos vies que parce que nous sommes, pour ainsi dire, unis à Christ. Si nos vies ne sont pas unies à la sienne, c’est qu’il demeure une figure lointaine de cette période de l’histoire – à peu près aussi pertinente pour nous que Jules César.
Être « en Christ »
Notre union avec Christ est exprimée dans cette simple expression, «en Christ», utilisée par Paul 164 fois sous une forme ou une autre. Ce n’est que lorsque nous sommes «en Christ», que nous sommes choisis, appelés, régénérés, justifiés, sanctifiés, rachetés, assurés de la résurrection, et que nous recevons toutes les bénédictions spirituelles (Ep 1.4,7; Rm 6.5; 8.1; 2 Co 5.17; Ep 1.3). Cette union avec Christ transcende l’espace et le temps, si bien que Paul peut affirmer que le chrétien est mort avec Christ (Rm 6.1-11; Ga 2.20), qu’il est ressuscité avec Christ (Ep 2.5; Col 3.1), le chrétien est monté dans les lieux célestes avec Christ, pour participer dès maintenant à son règne (Rm 5.17; Ep 2.6), et le chrétien est destiné à partager la gloire à venir de Christ, avec lui (Php 3.20; 1 Jn 3.2).
Il n’est pas étonnant que certains considèrent notre union avec Christ comme l’un des principaux messages du Nouveau Testament. Le théologien John Murray l’a qualifié de «vérité fondamentale de toute la doctrine du salut». A.W. Pink a déclaré : «Le sujet de l’union spirituelle est le plus important, le plus profond et le plus merveilleux de tous ceux qui sont exposés dans les Saintes Écritures». L’érudit de Cambridge, B.F. Westcott a écrit: «À partir du moment où nous comprenons ce que signifient ces mots ‘nous sommes en Christ’, nous savons que la vie comporte des profondeurs que nous ne pouvons pas sonder, et qui sont remplies à la fois de mystère et d’espérance». L’union avec Christ est cette réalité spirituelle par laquelle nous, croyants, sommes unis à notre Seigneur, de telle sorte que la vérité le concernant devient la nôtre. Cette union spirituelle est le moyen par lequel l’espace et le temps sont transcendés, et nous partageons tous les bénéfices de l’œuvre de Jésus accomplie dans l’histoire, en notre faveur. Elle est au cœur de notre compréhension de ce que nous sommes en tant que chrétiens.
Le créneau de la solidarité sociale
Cette notion d’être «en Christ» est certainement mystérieuse. Comment vivons-nous «en lui»? Et comment vit-il «en moi»? L’apôtre Paul parle de cette relation entre Christ et son peuple comme d’un «profond mystère» (Ep 5.32). C’est la raison pour laquelle les théologiens parlent parfois «d’union mystique».
Notre difficulté à comprendre cette union est liée, au moins en partie, à notre fausse conception de la vie humaine. Particulièrement en tant qu’Américains, nous pensons que chaque personne est autonome et indépendante. Cependant, dans la plupart des cas, nous ne vivons pas en tant qu’individus isolés, mais en tant que membres de diverses communautés sociales qui relient nos vies de toutes sortes de façons.
Pour prendre un exemple simple, il suffit de penser à la relation entre les partisans du football et leur équipe. Le succès des joueurs sur le terrain détermine le bonheur des supporteurs dans les gradins, qui proclament alors «On a gagné!». Plus sérieusement, nous sommes tous impliqués dans la solidarité sociale de notre nation. En un sens, la nation tout entière est représentée et incarnée par une seule personne: le président. En tant que chef d’État, il parle au nom du pays. Si le président engage notre pays dans une action militaire, l’Amérique est en guerre et nous sommes tous concernés.
Au niveau personnel, nous faisons l’expérience de la solidarité dans le contexte familial. Lorsqu’un homme et une femme se marient, ils acquièrent mutuellement leurs biens et assument mutuellement leurs dettes. Et si, en tant que père, je gaspille mes ressources matérielles et fais faillite, c’est toute ma famille qui en souffre, même si elle n’y est pour rien.
Tous ces exemples sont des illustrations de la manière dont nous sommes liés les uns aux autres à travers notre vie quotidienne, de sorte que le bien-être et le destin d’un grand nombre de personnes peuvent être déterminés par un seul. Et tous ces points nous renvoient à la solidarité sociale la plus importante qui soit : l’union des chrétiens avec Jésus-Christ.
Illustrations bibliques de l’union avec Christ
La Bible fournit une variété d’images qui nous aident à comprendre ce profond mystère. Jésus a utilisé une métaphore horticole: «Je suis le cep, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruit, car sans moi vous ne pouvez rien faire (Jn 15.5). C’est de cette union vitale avec Christ que nous tirons notre nourriture, notre force, notre vie spirituelle. Il est certain que notre expérience de la Sainte Cène doit être une expression visible de cette union (ou ‘communion’) avec Christ.
Une autre façon de comprendre notre relation avec Christ est la conception hébraïque de la solidarité entre un roi et ses sujets. Lorsque David a été oint comme roi, nous lisons que toutes les tribus d’Israël sont venues lui promettre leur loyauté et lui ont dit: «Nous sommes ta chair et ton sang» (2 Sm 5.1). Il est devenu leur chef, leur représentant devant Dieu. Lorsque le roi David a péché, comme lorsqu’il a recensé le peuple (2 Sm 24.1-15), c’est toute la nation qui a souffert. Mais lorsqu’il était victorieux au combat, c’est toute la nation qui prospérait.
Cette notion de représentation royale a ensuite été transférée à la solidarité du Messie avec son peuple. Lorsque nous nous tournons vers Jésus, le Messie, par la foi, et que nous nous soumettons à lui comme notre Roi, nous sommes unis à lui – il nous représente, et nous devenons sa propre « chair et son sang ».
L’apôtre Paul présente plusieurs images de cette union. Il parle de notre relation avec Christ comme de la relation de notre corps avec sa tête. «Il est la tête du corps, l’Église » (Col 1.18; cf. 1 Co 12.12,27; Ep 4.16). Quelle est l’origine de cette conception? Il suffit de regarder l’expérience de Paul sur le chemin de Damas. Pharisien zélé, Paul avait l’intention d’arrêter les dirigeants de cette secte hérétique lorsque, soudain, dans un brillant éclair de lumière, il rencontra le glorieux Jésus ressuscité, qui lui demanda: «Pourquoi me persécutes-tu? » (Ac 9.4). À cet instant, Paul a été confronté à la vérité: persécuter l’Église, c’est persécuter Jésus. D’une manière mystérieuse, les chrétiens ne font qu’un avec Christ, unis comme un corps uni à sa tête.
Paul n’utilise pas seulement une illustration à caractère biologique pour décrire notre union avec Christ, il utilise également l’image d’un bâtiment, et plus précisément d’un temple sacré. S’adressant aux chrétiens d’Éphèse, il écrit que, par Christ, vous «devenez membres de la maison de Dieu, bâtie sur le fondement des apôtres et des prophètes, avec Christ Jésus lui-même comme pierre angulaire. En lui, tout l’édifice s’unit et s’élève pour devenir un temple saint dans le Seigneur. En lui, vous aussi, vous êtes édifiés pour devenir une demeure où Dieu habite par son Esprit » (Ep 2.18-22; 1 P 2.4,5). Nous sommes unis à Christ comme les pierres d’un édifice construit sur une pierre angulaire. En lui, nous devenons un temple saint pour Dieu, un lieu où Dieu habite.
Après les corps et les bâtiments, Paul adopte désormais la métaphore beaucoup plus intime et personnelle du mariage pour illustrer notre relation avec Christ. Cette métaphore est particulièrement utile, car le mariage avait déjà été utilisé dans l’Ancien Testament pour décrire la relation d’alliance entre le Seigneur et son peuple, Israël. De plus, la description biblique du mariage met l’accent sur la nouvelle union créée par le lien matrimonial: «les deux deviendront une seule chair» (Gn 2.24). L’union physique du mari et de la femme devient l’expression d’une union intime d’amour, et la nouvelle unité sociale créée par le mariage illustre bien notre union avec Christ (Ep 5.32).
Dans le mariage, le couple revêt une nouvelle identité, non plus en tant qu’individus, mais en tant que couple. Leurs joies et leurs peines sont indissociables les unes des autres. Le mariage a aussi des aspects juridiques, et il en va de même dans notre relation avec Christ. Lorsque nous sommes unis à lui, il endosse la dette de notre péché, la prend sur lui et l’emporte, et nous partageons sa justice. Dieu ne nous voit pas comme des individus isolés, il nous voit à travers le prisme de notre relation matrimoniale avec Christ. En union avec Christ, nous sommes présentés comme une belle épouse devant Dieu.
Paul parle d’un corps (dont Christ est la tête), d’un édifice (dont Christ est le fondement), d’un mariage (dont Christ est l’époux), et dans Romains 5 ainsi que 1 Corinthiens 15, Paul développe une autre image de solidarité qui met en lumière notre relation avec Christ, à la portée céleste et englobant toute l’humanité – l’image de notre union avec Adam. «Car, comme par la désobéissance d’un seul homme (Adam) beaucoup ont été rendus pécheurs, de même par l’obéissance d’un seul (Jésus-Christ) beaucoup seront rendus justes» (Rm 5.19).
En raison de sa nature, toute l’humanité a été unie à Adam, de sorte que son péché a eu un impact sur nous tous. Nous sommes tous soumis à la malédiction de la mort qui a été placée sur lui. Chacun d’entre nous partage désormais quelque chose de sa nature égocentrique et pécheresse. Mais Jésus-Christ est venu réparer ce qu’Adam a fait. Par son obéissance, Christ crée une nouvelle humanité, un peuple racheté par sa mort, qui le suit dorénavant dans sa vie. Alors que nous sommes liés à Adam par la nature, par notre naissance physique, nous devons être liés au Christ par la foi, par une seconde naissance, celle-là spirituelle. L’humanité en Adam et la nouvelle humanité en Christ, voilà le contraste et le choix que Paul nous propose.
L’union spirituelle avec Jésus-Christ peut être représentée par des images plutôt simples: une vigne et ses sarments, un roi et son sujet, un bâtiment, un corps, un mariage. Notre relation avec Adam introduit une nouvelle dimension qui englobe toute l’humanité. Mais une dernière image nous renvoie à la nature même de Dieu. Jésus nous dit que notre relation avec lui est en quelque sorte le reflet de sa propre relation avec son Père céleste. Nous sommes unis au Christ d’une manière qui reflète l’union mystérieuse de la Trinité divine – le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
Dans sa grande prière de Jean 17, Jésus s’est adressé au Père au nom de ses disciples. Il a prié «afin que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et comme je suis en toi, afin qu’eux aussi soient un en nous, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, afin qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux, et toi en moi» (Jn 17.21-23). Il s’agit là effectivement d’un profond mystère!
L’union avec Christ en tant qu’œuvre de l’Esprit
Il convient de souligner que notre union avec Christ ne signifie pas que nous devenons Dieu d’une manière ou d’une autre, que nous sommes unis à l’être divin dans un sens métaphysique. Il s’agit d’une union spirituelle qui est l’œuvre du Saint-Esprit – «Nous avons tous, en effet, été baptisés dans un seul Esprit, pour former un seul corps» (1 Co 12.13). Le Saint-Esprit franchit le gouffre de l’espace et du temps. Il prend ce qui s’est passé à l’époque – la vie, la mort et la résurrection de Jésus – et introduit sa puissance salvatrice dans nos vies actuelles, en nous unissant spirituellement à Christ. Par l’Esprit, Christ vit en nous, et nous en lui. Par l’Esprit, nous sommes désormais unis à Christ comme une vigne et ses sarments, comme un roi et ses sujets, comme un corps et sa tête, comme un édifice et son fondement, comme un époux et son épouse, et comme l’humanité nouvelle dans le Christ Jésus. L’Esprit lui-même nous unit à Christ et applique ainsi toute son œuvre de salut à notre vie. «Nous connaissons que nous demeurons en lui, et qu’il demeure en nous, parce qu’il nous a donné de son Esprit» (1 Jn 4.13). L’union avec Christ – on pourrait dire que c’est la somme de notre salut. L’œuvre salvatrice de Christ est exprimée dans cette simple phrase: par la foi, nous sommes maintenant en Christ. C’est notre seule espérance, car être séparé de Christ, c’est être «sans espérance et sans Dieu dans le monde» (Ep 2.12). Mais être en Christ, c’est participer à toutes ses richesses. «Loué soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a bénis de toutes sortes de bénédictions spirituelles dans les cieux, en Christ».