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L’autre soir, alors que je traînais (encore) mon être sur les réseaux sociaux, écrit Juliette Montilly sur le site de l’Obs le 27 décembre 2017[1], je reçois un message d’une amie. C’est Emilie qui a « absolument » besoin d’un conseil : elle se prépare à changer sa photo de profil. Le truc, c’est qu’elle hésite, elle ne veut pas se planter tu vois. Elle a deux options. …Emilie me demande de ne pas trop traîner à répondre « parce que là c’est le bon moment pour poster ». Ce jour-là, sur mes bons conseils, elle a fait un carton virtuel … et elle m’a envoyé un truc genre « BOUYAA ». 

Qui n’a pas envie d’être vu, de gagner le respect des autres, d’être acclamé ? Le désir n’a pas vu le jour avec l’invention des réseaux sociaux ; les réseaux ne font que tirer profit de ce phénomène bien humain. Juliette Montilly l’explique dans son article. Avec chaque like, chaque retweet, chaque vue sur notre chaîne YouTube, notre corps nous donne un « shot » de dopamine, le neurotransmetteur qui nous provoque une sensation de plaisir et de bien-être. Présente dans nos corps pour assurer notre survie en renforçant les actions habituellement bénéfiques telles que manger un aliment sain ou bien pratiquer le sport, la dopamine nous provoque une sensation de plaisir et active le système de récompense. Parce qu’on a du plaisir, on reproduit l’action pour l’avoir de nouveau. Mais ce n’est pas seulement des actions bénéfiques qui stimulent la dopamine : la prise de drogue, de tabac, d’alcool, et aussi l’approbation des autres. Donc, avec la présence de la dopamine, nous devenons accros à cette approbation : elle devient une drogue pour nous.

Les contemporains de Jésus n’avait ni Facebook, ni Twitter ni Instagram, mais ils n’étaient pas à l’abri de ce phénomène. Or ils ne cherchaient pas à être acclamés pour une jolie photo, mais pour les actes qu’ils croyaient accomplir pour Dieu : le don d’argent aux pauvres, la prière, le jeûne.

Ecoutez ce que Jésus leur dit dans le sermon sur la montagne :

1Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes, pour en être vus, autrement vous n’aurez pas de récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux. 2Quand donc tu fais l’aumône, ne sonne pas de la trompette devant toi, comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues, afin d’être glorifiés par les hommes. En vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. 3Mais quand tu fais l’aumône, que ta (main) gauche ne sache pas ce que fait ta (main) droite, 4afin que ton aumône se fasse en secret, et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. 5Lorsque vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et aux coins des rues, pour se montrer aux hommes. En vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. 6Mais toi quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte et prie ton Père qui est dans le (lieu) secret, et ton Père qui voit dans le secret te le rendra….16Lorsque vous jeûnez, ne prenez pas un air triste, comme les hypocrites ; ils se rendent le visage tout défait pour montrer aux hommes qu’ils jeûnent. En vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. 17Mais toi quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage, 18afin de ne pas montrer aux hommes que tu jeûnes, mais à ton Père qui est là dans le (lieu) secret, et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. (Mt 6.1-6,16-18, La Colombe).

Quand les contemporains de Jésus accomplissaient ces actes de justice, ils les pratiquaient d’une manière à être vus par les autres. Jésus leur dit que l’approbation des gens est plus importante pour eux que l’approbation de Dieu. Même s’ils étaient convaincus qu’ils faisaient ces actes pour Dieu, c’était finalement pour eux-mêmes, pour avoir la récompense qu’ils cherchaient : l’approbation des autres. Or, connaissant le cycle de la dopamine, nous pouvons présumer que cette récompense ne dure qu’un instant et produit la dépendance.

Pire encore, cette recherche de l’approbation des autres les éloignait de Dieu. Nous nous disons peut-être que ce n’est pas si grave de rechercher principalement l’approbation de Dieu, et un peu celle des gens. Mais nous ne pouvons pas avoir le beurre et l’argent du beurre. C’est l’un ou l’autre. C’est Jésus lui-même qui le dit : Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes, pour en être vus, autrement vous n’aurez pas de récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux (v.1).

Le sermon sur la montagne, dans lequel se situe cet enseignement de Jésus, est une sorte de charte du citoyen du Royaume de Dieu. Il nous dit comment accéder à sa citoyenneté et comment y vivre. Nous y accédons non en accomplissant des actes de justice, mais en étant pauvre d’esprit (Mt 5.2) ; en reconnaissant que nous venons les mains vides devant un Dieu qui nous donne tout. Or, une fois citoyens, nous devons vivre pour l’approbation seule du Dieu qu’on a le droit d’appeler « Père », et non pour celle des autres.

Dans ce texte, Jésus parle du « lieu secret ». Ça nous arrive d’employer ce terme pour parler de notre intimité individuelle avec Dieu ou de notre temps de prière et de méditation biblique personnelle. Par ces paroles, Jésus nous appelle à une telle intimité, certes ; mais dans le contexte, nous voyons que cela parle tout autant, sinon plus, de la fuite de la tentation de l’approbation des autres.  La tentation de vivre pour l’approbation des gens a toujours été grande. Et cela n’a fait que grandir avec les réseaux sociaux. Même en ce qui concerne les actes qu’on pense accomplir pour Dieu : le don de son temps pour le bien des autres ou de son Église, le don de son argent, le temps qu’on passe dans la prière, même le jeûne, si on le pratique.

Jésus nous dit de vivre pour Dieu là où personne ne nous verra. Par trois hyperboles (des exemples poussés à l’extrême), Jésus nous montre que nous devons adopter des pratiques drastiques si nous voulons éviter de faire des choses pour l’approbation des gens. Il nous dit de donner de l’argent d’une manière tellement secrète que nous ne voyons à peine nous-mêmes ce que nous faisons. Il nous dit de prier dans la pièce la plus éloignée (le débarras ou la cave) avec la porte fermée, afin que personne ne nous voie. Il nous dit de bien faire sa toilette afin que personne ne voie que nous sommes en train de jeûner. Ceci, me semble-t-il, parle moins d’un secret ou d’un isolement physique et plus d’une attitude de cœur où nous agissons pour Dieu seul, et non pour être vus et approuvés par les autres. Quand nous considérons que la prière que Jésus nous donne pour prier dans le lieu secret (le Notre Père) est une prière communautaire écrite à la première personne du pluriel, nous voyons que cette attitude de cœur peut, et même doit, s’exercer au milieu des frères et sœurs en Christ, même si cela est plus difficile que quand nous le faisons seuls.

Quels seraient les équivalents contemporains de prier aux coins des rues ou dans les synagogues, ou bien d’annoncer le don aux pauvres par des trompettes ? Je nous encourage chacun à nous poser cette question pour notre propre vie. D’abord en ce qui concerne les réseaux sociaux : peut-être que vous ne postez jamais de #prayerselfies (oui ça existe !) mais êtes-vous tentés de montrer votre vie chrétienne sous un meilleur jour ? Dans mon historique de photos sur Instagram, il y a une image d’une Bible ouverte sur mon lit. Et si je suis honnête avec moi-même, une partie de ma motivation était pour impressionner mes amis chrétiens. Ou sommes-nous tentés de présenter notre famille comme la famille chrétienne parfaite, en montrant les grands sourires mais jamais les larmes ? Et en dehors des réseaux :  nos paroles reflètent-elles la réalité de notre expérience, ou est-ce que nous donnons l’impression d’être plus « pieux », plus stables, plus heureux que ce qui est en réalité le cas ? Est-ce que je promets de prier pour les autres sans le faire, parce que j’a reçu mon approbation en donnant l’impression que je suis quelqu’un qui prie ? Ou suis-je prête à prier sans que personne ne le sache jamais ?

Et quels seraient les équivalents contemporains des actions drastiques que Jésus préconise ? Un jeûne des réseaux sociaux pour voir à quel point nous sommes accros à ces petits « likes » ? Un mois où, à chaque fois que nous avons envie d’envoyer un SMS à quelqu’un pour dire que nous prions pour lui, nous prenons ce temps pour prier plutôt ? (Il est, bien sûr, toujours encourageant de recevoir un tel sms, mais ça ne devrait jamais être envoyé à la place d’une prière « envoyée » à Dieu). Un semestre où nous décidons de faire un service dans l’Église qui ne sera jamais vu ?

Dieu prend plaisir à ce que nous faisons pour lui, et pour lui seul. Et la récompense en comparaison avec l’approbation des autres ? Y’a pas photo (selfie, ou autre) ! C’est aussi une récompense d’être vu, d’être approuvé : mais pas l’approbation creuse et insatisfaisante d’un autre être humain qui ne dure qu’un instant, mais celle qui, profonde et satisfaisante, vient de notre Père céleste et durera jusque dans l’éternité.


[1] https://www.nouvelobs.com/rue89/notre-epoque/20171222.OBS9715/shot-de-dopamine-ce-que-facebook-fait-au-cerveau-de-mon-amie-emilie.html

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