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Si vous avez un peu suivi l’actualité française, soit sur les médias sociaux, soit de manière plus « classique », vous n’avez pas manqué de remarquer la vive critique dont a été (j’ai failli dire « victime ») l’objet la récente cérémonie des Césars – il y a plusieurs semaines déjà. Pour rappel, les « Césars du cinéma » sont la récompense cinématographique française. C’est un moment fort dans la vie culturelle française, un temps de reconnaissance et de célébration de la créativité, ce grand don divin.

Cette année cependant, cette célébration a été vivement critiquée. Il faut dire qu’en deuxième année de crise sanitaire, les tensions sont normales, et s’intensifient. Pour le Figaro, cette 46e cérémonie fut un « naufrage ». L’auteur montpelliérain Henry-Jean Servat, spécialiste du cinéma, a une parole plus forte encore : « Sans classe. Sans chic. Sans élégance. Sans humour. Sans tendresse. Sans passion. Sans retenue. Sans envie. Sans panache. Sans partage. Sans courage. Sans conscience. Sans fierté. Sans décence. Sans honneur. Sans rien. Sans nous. Sans moi. »[1]

Pourquoi une réaction aussi négative ? Il y eut les revendications politiques et les mauvaises blagues. N’étant pas un grand blagueur, les mauvaises blagues me touchent peu. Mais il y eut aussi la remise du prix du meilleur costume par l’actrice Corinne Masiero. Par protestation contre l’abandon de la « culture » par l’état, elle s’est avancée sur le plateau en costume sanglant de Peau d’Âne, et s’est entièrement dévêtue, dévoilant les slogans « Rends-nous l’art, Jean » ou « No culture, no future ». Vous comprenez mieux.

Le corps, cet instrument

Pourquoi est-ce que je parle de cela ? En quoi cela nous concerne, pourriez-vous dire ? Je pourrais bien sûr revenir sur le fait que la culture est une partie intégrale de la nature humaine, et que ne pas s’en préoccuper est un amoindrissement de ce que l’homme est. Je ne doute pas de la sincérité de tous ceux qui ont utilisé les Césars pour une protestation culturelle, professionnelle et politique. Je ne veux donc pas m’arrêter sur tout ce débat… mais plutôt sur un enjeu apologétique majeur.

Pour moi cette cérémonie des Césars est un témoin de notre société. En étant « témoin », elle dit aussi quelque chose de ce que notre société est devenue. Le problème ? C’est la dégradation, la relégation, du corps humain à un simple instrument. Notre corps n’est plus la partie indissociable de notre raison, de notre imagination, de tout notre être. Ce n’est pas ce que nous sommes… c’est simplement un instrument entre nos mains. Cette chosification du corps a même frappé certains de nos politiciens. La sénatrice UDI de l’Orne, Nathalie Goulet, l’a bien vu elle qui a dit : « il y a d’autres moyens de servir une cause juste »[2].

Le corps, cette « chose ». C’est tragique.

Mais ce n’est pas surprenant. Nous vivons dans un monde qui a réduit l’être humain à une association de composants : sa raison, ses émotions, son sexe (ou sa sexualité)… sa réalité matérielle. Disséquez, démontez, choisissez. L’être humain est devenu un puzzle dont on choisit des pièces, que l’on remonte au gré de ses préférences émotionnelles, et qui au final ne sera jamais à l’image de cette personne porteuse d’image de Dieu, être merveilleux mais aussi fragile.

Non, pour mettre des injustices à nu (s’il y a même une injustice ici!), il n’y a pas besoin de faire de son corps un instrument de communication[3]. Ce serait oublier que le corps, c’est nous-mêmes. Il n’est pas une chose, quels que soient les défis auxquels nous sommes confrontés. Penser que nous n’avons plus d’autre recours que d’utiliser notre corps, c’est fermer les yeux sur les implications

Au risque d’une anthropologie biblique

Si le corps est une chose que nous manipulons comme nous le voulons, selon les luttes politiques, sociales et culturelles, comment pourrons-nous éviter qu’il soit utilisé, asservi, avili, et même abusé par les autres ? Dire que j’ai des droits sur mon corps ne suffit pas. Au contraire, cela renforce simplement cette philosophie anti-corporelle dans laquelle nous vivons. Nous aurions des droits sur cette chose qui nous est étrangère, extérieure.

Si nous prenons cette route, nous nous piégerons nous-mêmes : il sera impossible de prendre soin du corps, le nôtre, celui des autres. Si nous faisons du corps un objet sur lequel j’ai des droits, nous perdrons un jour ces derniers. Si le corps est vraiment un instrument, nous ne pourrons pas le protéger contre l’abus de la part des autres, vu que nous-mêmes en abusons. Or le corps est attaqué, compromis : esclavages sexuel ou économique, pédophilie, inceste… Si nous voulons défendre la dignité du corps, surtout du corps des plus faibles (les pauvres, les enfants, les exploités), nous devons développer une solide vue biblique du corps et de la personnalité humaine.

L’enjeu est réel, et il est crucial. Il ne s’agit pas simplement de défendre la dignité de l’homme, mais de présenter l’intégralité de notre foi. Nous ne sommes pas les maîtres sans pitié d’un bout de chair que nous appelons « corps ». Nous n’en sommes aucunement les maîtres. Le seul qui ait un tel droit sur notre corps, c’est celui qui l’a créé. Il est le seul à pouvoir dire ce qu’est notre corps, à garantir son intégrité, et il a inscrit en nous la trace de cette dignité.

Nous ne devrions pas faire subir à notre corps le moindre abus : il fait lui aussi partie de ce que nous sommes en tant qu’image de Dieu. La dernière cérémonie des Césars est le témoin de cet enjeu  du témoignage chrétien : affirmer son intégrité, c’est diriger le regard de nos contemporains vers le Dieu créateur, et vers le Dieu re-créateur.


[1]   « César 2021 : ‘Naufrage’, ‘Sans humour’… Les critiques pleuvent contre la cérémonie », 14 mars 2021, Le Point, https://www.lepoint.fr, consulté le 17 mars 2021.

[2]   Sur son compte Twitter, le 13 mars.

[3]   Contrairement à l’analogie faite par Manon Aubrey, eurodéputée de la France insoumise sur son compte Twitter le 13 mars.

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