Nous sommes reconnaissants envers Trévor Harris pour ce texte qui correspond à une conférence apportée dans le cadre du congrès « Prêche la Parole », du 2 au 4 novembre 2015 à Paris.
J’aimerais vous présenter un prédicateur beaucoup moins connu que Jean Calvin et Pierre Dubosc, en tout cas certainement peu connu aujourd’hui, même s’il le fut de son vivant. Il s’agit du pasteur Jean Claude. Claude a vécu au 17e siècle et il a exercé un ministère de pasteur dans l’Eglise Réformée pendant la difficile période qui suivit l’Édit de Nantes. Même si cet édit donna aux protestants un peu de liberté, ce fut quand même une période très difficile et Claude nous donne un exemple de ce que veut dire persévérer fidèlement et courageusement dans le ministère de proclamation de la Parole.
Pourquoi s’intéresser à Claude aujourd’hui ? Je ne suis pas historien, mais j’aime l’histoire et un jour, en faisant des recherches sur un prédicateur anglais dont l’œuvre fut décisive pour l’avancement de la prédication textuelle dans le monde anglophone – un certain Charles Simeon (1759-1836) – j’ai découvert que le manuel de prédication qu’il utilisait pour former ses étudiants dans l'art de la prédication était le manuel de prédication d’un certain Français nommé Claude. Ce manuel avait été traduit en anglais quelques années auparavant et à son grand étonnement Simeon y avait retrouvé l’essentiel de sa propre méthode1. Derek Prime, dans sa biographie de Simeon, nous explique que cette découverte « lui donna l'assurance qu'il était sur la bonne voie. Elle lui donna l'encouragement dont il avait besoin pour enseigner à d'autres ce qu'il avait appris avec, comme fondement initial, les principes de Claude2. » Simeon publia, par la suite, une version révisée et annotée de l’œuvre de Claude avec, en annexe, une centaine de « canevas de sermon » qui formèrent plus tard la base du plus grand ouvrage de sa vie, Horae Homileticae3.
La prédication textuelle (ou « expositive » ou « par exposition ») est aujourd’hui peut-être plus répandue dans le monde anglophone qu’ailleurs. Nous pensons tout de suite à des prédicateurs comme D. A. Carson et John Piper, mais ce petit « détail » de l’histoire nous montre que la prédication textuelle est bien plus française qu’on ne le pense4. Je ne dis pas que le manuel de Claude est tout ce dont nous avons besoin, mais ce genre de travail nous montre le souci qu’il avait de la qualité de l'annonce de la Parole. Si nous voulons faire des progrès et devenir de meilleurs prédicateurs de la Parole, nous pouvons apprendre de nos ancêtres gaulois. Il existe une véritable tradition francophone de la prédication textuelle qui puise ses racines dans les ministères d’hommes tels que Calvin et Claude.
Cette présentation ne se veut pas exhaustive. Il s’agit d’une brève esquisse de la vie de Claude suivie d’une rapide étude de sa méthode homilétique essentiellement basée sur des citations de quelques auteurs.
Sa vie et son ministère
Voici quelques notes et citations empruntées à un livre d’Alexandre Vinet et à un article de J. Wesley White concernant la vie de Claude : « Jean Claude fut l’homme le plus éminent de l’Eglise de son temps ; les catholiques l’appelaient le fameux ministre Claude. Il naquit en 1619, à La Sauvetat, dans le Rouergue, où son père (François Claude) était ministre5. » « Après sa consécration, il devint pasteur de la petite Eglise de Sainte-Affrique, dans le Midi6. » Il fut appelé comme pasteur dans l’Eglise de Nîmes, en 1654-557. Il ne fut pas professeur à l’académie de Nîmes, mais durant cette période, il forma, à titre privé, un certain nombre d’étudiants en homilétique et exégèse. White note que cette formation à titre privé eut pour fruit bon nombre d’excellents prédicateurs8. Pendant son ministère à Nîmes, Claude s’opposa à des projets royaux de « réunion » (de l’Eglise réformée et de l’Eglise catholique). « A la suite de cette opposition courageuse, le ministère lui fut interdit dans le Languedoc. Il se rendit à Paris pour réclamer, mais on ne put réussir à faire lever cette interdiction9. » « C’est alors que s’ouvrit pour Claude la carrière des controverses, dans laquelle il rendit de grands services à son Eglise10. » Il réfuta « un traité manuscrit, qui avait été composé en vue de la conversion du maréchal. Sa réponse se répandit au loin avant d’être imprimée11. » Il écrivit un livre intitulé Défense de la réformation en réponse à Préjugés légitimes contre les calvinistes de Nicole. Après un pastorat à Montauban, Claude fut nommé pasteur de l’Eglise de Charenton, aux portes de Paris, en 1666. « Dès lors son importance fut grande dans les conseils des réformés. Il était le chef et l’âme de son parti12. » Il s’illustra en 1678 lors d’un débat avec Bossuet portant sur la conception protestante de l’autorité de l’Eglise. Bossuet déclara par la suite : « Il me faisait trembler pour ceux qui l’écoutaient13. »
A la révocation de l’édit de Nantes (1685), il fut distingué dans la proscription générale. Tandis qu’on accordait aux autres ministres un délai de quinze jours pour sortir du royaume, Claude dut partir dans les vingt-quatre heures. Il fut accueilli partout sur son passage par des marques de considération, de la part même de catholiques. Il se retira à La Haye, où il continua de prêcher, tout en s’occupant d’autres travaux. Il y mourut (en 1687) au bout de dix-huit mois14.
Voilà un petit aperçu du ministère de Claude qui, j’en conviens, fait beaucoup plus référence à sa défense de l’Evangile et du protestantisme en général qu’à sa prédication. Claude fut très clairement un personnage courageux qui marqua son époque difficile. Dans le même temps, il ne fait pas de doute que la prédication et le ministère pastoral de façon générale furent au cœur de ses préoccupations, et tout son parcours montre à quel point il fut un homme persévérant, nourri de la Parole de Dieu.
Quelques aperçus de sa méthode homilétique
Encore une fois, c’est Vinet qui dit :
Mais on aperçoit dans ses sermons les premiers symptômes de la révolution homilétique qui s’accomplit. L’analyse devient synthèse. Jusque-là l’explication avait dominé, explication docile et suivie d’un texte ordinairement étendu. On s’efforçait sans doute de lier entre elles les différentes parties et de leur donner un but final, mais cet effort n’était pas très énergique. De là jusqu’au sermon proprement dit, qui dans un texte saisit une idée, il y a une grande distance, remplie par des intermédiaires. Claude en est un. Il ne se détache pas de l’ancienne méthode. Il la modifie15.
En quoi consiste exactement cette modification ?
Claude est encore consciencieusement attaché à la méthode analytique, mais tend cependant vers le sermon synthétique. Il est fidèle au texte et l’épelle comme ses devanciers ; mais il ne se contente plus de le suivre pas à pas, il cherche à le résumer dans une ou deux idées, à le ramener dans la forme d’un sujet : en un mot, il a un plan. Il l’énonce d’ordinaire au commencement de son sermon16.
Quelqu’un m’a dit que les prédications de Calvin ressemblaient à des commentaires et ses commentaires à des prédications. Nous voyons chez Claude la présence de l’analyse textuelle, la fidélité au texte, mais aussi cet esprit de synthèse qui essaie d’expliquer de manière claire et simple l’intention de l’auteur biblique.
Claude explique qu’une bonne exégèse, rigoureuse et claire, est un impératif absolu :
Je suppose donc […] qu’un homme ne sera pas assez étourdi pour mettre la main à la plume, & travailler sur un Texte, qu’avant toutes choses il n’en ait bien compris le sens. L’on ne donne point de précepte là-dessus ; car un homme qui auroit besoin d’être averti qu’il ne doit pas traiter un Texte avant que de l’entendre, auroit en même temps besoin qu’on lui dît de prendre une autre Profession que celle de Prédicateur17.
Ensuite Claude explique qu’ayant compris le sens de son texte, le prédicateur doit organiser son matériel et être bien attentif au genre littéraire et à l’intention de ce texte (un commandement, une défense, une promesse, une menace, un souhait, une exhortation, une censure, des motifs pour nous porter à l’action, etc18.). Bref, Claude veut que le prédicateur fasse une lecture attentive et claire du texte. Il veut qu’il voie ce qui est véritablement présent dans le texte.
Claude explique que le prédicateur doit choisir un texte qui communique une idée complète et non pas des versets choisis çà et là. Cette idée doit contenir l’intention de l’auteur parce que le prédicateur doit calquer son message sur le message de l’auteur biblique. Claude l’explique ainsi :
Il ne faut jamais prendre de Textes, qu’il n’y ait un sens complet. Car il n’appartient qu’à des impertinens & à des fous, d’aller prêcher sur un mot ou deux, qui ne signifient rien. Il faut même non seulement prendre des paroles qui ayent un sens complet en elles mêmes, mais il faut aussi que ce soit le sens complet de l’Autheur, duquel vous prenez les paroles : Car c’est son discours & sa pensée que vous expliquez19.
Ensuite, Claude explique les dangers d’un passage trop court ou trop long. Encore une fois, son souci est que ce soit la Parole de Dieu et non pas celle d'un homme qui soit prêchée et entendue.
Quand on prend un Texte où il y a peu de matière, on est obligé de s’écarter assez loin de son sujet, pour aller chercher de quoi parler. On se jette dans des jeux d’esprit & d’imagination qui ne font pas trop du génie de la Chaire : & en un mot on fait naître dans l’esprit des Auditeurs cette pensée, que l’on se veut prêcher soi-même plutôt que Jésus-Christ, c’est-à-dire, que l’on veut paroître bel esprit, au lieu de se proposer l’instruction & l’édification du Peuple. Quand aussi on prend trop de Texte & un sujet où il y a trop de matière à expliquer, on ne sauroit qu’on ne laisse perdre beaucoup de Considérations belles & importantes qu’on pourroit faire, ou qu’on ne se jette dans une longueur ennuyeuse20.
Au début de son manuel, Claude évoque les principes de base qu’il a retenus pour la prédication. Le premier principe que Claude établit pour une prédication textuelle est « qu’il faut que la Tractation [le corps du sermon] explique clairement & nettement un Texte ; qu’elle en fasse comprendre facilement le sens ; & qu’elle mette les choses tellement devant les yeux, que des Auditeurs n’ayent nulle peine à les comprendre21. » Claude ne se contente pas d'une simple explication de la grande idée du passage ; il veut que le prédicateur se donne du mal pour convaincre, à partir du texte biblique lui-même, que telle est bien l’intention de l’auteur biblique. Il faut reconnaître qu'une explication laborieuse et détaillée d’un texte biblique peut parfois être trop intellectuelle ou trop érudite. Claude prône une explication simple et claire du texte. Il est conscient du fait que la plupart de ceux qui écoutent les messages ne sont pas des savants, mais des personnes ordinaires. Pour Claude, il faut en premier lieu parler à ces personnes et être clair. « Il faut se figurer que la plupart des auditeurs sont des gens simples, à qui pourtant il faut faire profiter la prédication : ce qui ne se peut, à moins qu'on soit fort clair22. » Claude explique que : « les esprits des hommes, quels qu’ils soient, sçavants & ignorants, fuyent ordinairement la peine : & les sçavants sont assez fatiguez dans le cabinet, sans l’être encore dans le Temple23. » Cette exhortation est toujours d'actualité. Notre but n'est pas d'être simpliste, loin s'en faut, mais d’expliquer la Bible avec une simplicité susceptible de toucher chacun. La simplicité est en fait très difficile à atteindre et exige d’avoir bien compris le texte que l’on étudie.
Le deuxième principe qu’il établit est la nécessité d’expliquer la plupart des éléments du passage. Il ne faut pas que le prédicateur escamote de larges sections du texte pour en arriver à sa synthèse ou se contente de choisir une seule partie du texte. Claude écrit :
Il faut que la Tractation [le corps du sermon] donne le sens entier de tout le Texte : & pour cet effet, qu’elle le considère dans tous les égards, ou dans toutes les vues dans lesquelles il doit être considéré. Cette Règle condamne certaines explications sèches et stériles, dans lesquelles un Prédicateur ne marque avoir, ni étude, ni invention : & où il laisse à dire quantité de belles choses que son Texte lui pourvoit fournir24.
Pour Claude, la congrégation doit être bien nourrie et ceci passe par l’étude rigoureuse et l’explication ample du passage.
Il peut sans doute y avoir, par moments, une certaine tension entre ce but et la recherche de la simplicité. Avec son troisième principe Claude milite contre les prédications trop « lourdes ». Selon lui, il faut éviter les spéculations théologiques, les longs exposés d’interprétations différentes, l’abondance de détails historiques et ainsi de suite25. Avec son quatrième principe, Claude plaide, une fois de plus, en faveur de la simplicité. Il veut que le prédicateur s'abstienne de débats métaphysiques, de pensées abstraites et de questions scolastiques qu’il pourrait relier au texte26. Très clairement, Claude veut que le texte biblique soit au centre de chaque prédication et que les auditeurs entendent en toute clarté cette parole bienfaisante.
La cinquième règle que Claude se donne concerne l’application du texte choisi. « En cinquième lieu, il faut que la Tractation instruise l’esprit ; mais d’une manière pourtant qui touche aussi la conscience, soit en la consolant, ou en l’excitant aux actes de piété, de la repentance, & de la sainteté27. » Pour Claude la prédication doit dépasser la simple explication des Écritures : le prédicateur doit avoir pour but d’aider ses auditeurs à être remplis d’admiration pour les voies merveilleuses de Dieu afin d’enflammer leurs cœurs de zèle, et les incliner à la piété et à la sainteté28. Ce principe n’est pas sans rappeler le principe d’application que Simeon s’est donné lui-même pour chacune de ses prédications, à savoir : « rendre humble le pécheur, exalter le Sauveur, promouvoir la sainteté29. »
1Derek PRIME, An Ordinary Pastor of Extraordinary Influence, Leominster, Day One, 2011, p. 68.
2D. PRIME, op cit., p.68.
3D. PRIME, op cit., p.68.
4Claude l'appelle « le sermon textuel ».
5Alexandre VINET, Histoire de la prédication parmi les réformés en France au dix-septième siècle, Paris, 1860, p.304.
6A. VINET, op cit., p.305.
7A. VINET, op cit., p.305. et J. Wesley WHITE, « Jean Claude : Huguenot Pastor and Theologian, Homiletica et Homilae », MJT 19 (2008), p.197.
8J. W. WHITE, op cit., p.197.
9A. VINET, op cit., p.305.
10A. VINET, op cit., p.305.
11A. VINET, op cit., p.305.
12A. VINET, op cit., p.307.
13A. VINET, op cit., p.305.
14A. VINET, op cit., p.308.
15A. VINET, op cit., p.301.
16A. VINET, op cit., p.309.
17J. CLAUDE, Œuvres posthumes de Mr Claude, Traité de la composition d’un sermon, p.205 (consulté sur internet le 8/1/2016 – https://books.google.fr/books?id=JpgUAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false).
18J. CLAUDE, op cit., p.205-6.
19J. CLAUDE, op cit., p.187.
20J. CLAUDE, op cit., p.188.
21J. CLAUDE, op cit., p.192.
22J. CLAUDE, op cit., p.192.
23J. CLAUDE, op cit., p.192.
24J. CLAUDE, op cit., p.193.
25J. CLAUDE, op cit., p.194.
26J. CLAUDE, op cit., p.195-6.
27J. CLAUDE, op cit., p.192.
28J. CLAUDE, op cit., p.193.
29D. PRIME, op cit., p.243.
Article initialement publié dans la revue “Le Maillon” de l'Institut Biblique Belge