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J’ai récemment vu sur les réseaux une nouvelle question posée à propos de Jésus : « Comment être certain que les paroles de Jésus rapportées dans les  Évangiles sont vraiment celles de Jésus ? » Après tout, dit cette objection, nous sommes souvent incapables de nous rappeler ce que nous avons dit quelques jours avant. Nous sommes parfois même incapables de répéter mot à mot ce que quelque vient de dire ! Par contre, nous devrions croire que les évangélistes ont rapporté, plusieurs décennies après, les paroles même de Jésus. Et en plus dans une langue qui n’était pas la sienne ! Vous voyez la force intuitive de cette objection ! L’expérience de tous les jours et le bon sens nous montrent que les textes des Évangiles sont, au mieux, une pure fabrication des évangélistes.

La langue de Jésus

Commençons par dire un mot sur cette remarque trop courante : les Évangiles ont été écrits en grec et Jésus ne parlait pas le grec ! Ma première réaction, c’est : et alors ? Jésus parlait quotidiennement l’araméen, c’est vrai. Le grec ne lui était certainement pas étranger puisqu’il vivait dans cette région multi-culturelle et multi-linguistique qu’était la Galilée. Nous imaginons souvent que le grec était la langue des élites intellectuelles et qu’elle n’était connue que par ceux qui étaient « allés à l’université ». Ce n’est pas le cas. Le grec était la langue commune à l’époque. Tout le monde n’était pas forcément bilingue. Le grec de beaucoup de personnes étaient probablement un peu limité et la grammaire plus qu’imparfaite. Imaginer que Jésus et les disciples ignoraient totalement le grec ne correspond pas au monde dans lequel Jésus vivait.

Bien sûr, au quotidien Jésus parlait araméen, ce que les évangélistes savent très bien. Ils ont simplement utilisé ce que nous pratiquons régulièrement : ils ont traduit. Comme dans toutes les traductions, ils ont parfois donné des explications quant à telle ou telle parole qui était plus facile ou importante à rapporter dans la langue originale. Nous voyons ainsi les Évangiles rapporter des paroles de Jésus en araméen. La présence d’un « dialogue » entre l’araméen et le grec est visible dans les expressions araméenne, préservées dans certains passages des Évangiles. C’est le cas avec le « Talitha koumi » au sujet duquel le texte de Marc ajoute cette précision : « ce qui signifie : Jeune fille, lève-toi » (Mc 5.41). Nous trouvons d’autres exemples ailleurs dans les Évangiles (Mt 5.22, Mc 1.34) témoignant de cette interaction naturelle entre deux langues utilisées quotidiennement dans la Galilée de Jésus. Si Jésus ne parlait pas le grec dans ses conversations de tous les jours, cela ne suffit pas à montrer que le texte grec des Évangiles est forcément un texte qui est éloigné des récits originaux.

La transmission

Venons-en maintenant à la partie la plus difficile de cette objection : penser que quelqu’un se rappelle avec fidélité des paroles datant de plusieurs décennies, c’est irréaliste. Dans un certain sens, je suis d’accord. Le problème, c’est que cette objection part du principe que lorsqu’un évangéliste (disons Matthieu) a commencé à rédiger son texte, il a travaillé à partir de rien. Ou plutôt : il n’a utilisé que sa mémoire. Il faudrait donc imaginer Matthieu se grattant la tête en se disant : « Qu’est-ce que Jésus a dit déjà ? »

Voir les choses ainsi, c’est trop simpliste. C’est ignorer que Jésus a marché et parlé pendant plusieurs années. Il a enseigné ses disciples tous les jours pendant plusieurs années. Ce ne sont pas que les Douze qui ont entendu Jésus, ce sont des centaines d’autres personnes, à commencer par les 70 disciples eux aussi envoyés en mission. Jésus a de plus donné ses enseignements plusieurs fois, fidèle en cela à la plus grande tradition pédagogique : la répétition. Petit à petit les paroles de Jésus sont restées dans l’esprit de ses disciples. Leur mémoire a été aiguisée, les paroles ont pris racine en eux.

Cette transmission se faisait aussi dans une culture orale qui donnait une grande importance à la transmission fidèle des paroles du maître. Les paraboles et les proverbes de Jésus étaient faits pour être faciles à mémoriser. C’était un peu les jeux de mots ou les punchlines d’aujourd’hui. Et nous nous en rappelons ! C’était encore plus le cas dans la culture de Jésus. Ce n’est pas que lui qui a répété ses paroles mais tous ceux qui ont été saisis par les paroles de celui qui était vu comme un prophète. Nous voyons cette répétition-transmission dans une parole de Paul qui pourrait passer inaperçue : « Je vous ai transmis, avant tout, ce que j’avais aussi reçu … » (1 Co 15.3)

L’importance du maître

Un dernier point : si vous ne vous rappelez pas de la dernière phrase que j’ai prononcée en cours, c’est peut-être que je ne suis pas assez important pour que mes paroles soient retenues. J’espère bien sûr que mes étudiants retiendront certaines choses mais je ne m’attends pas à ce que ce soit du mot à mot. Imaginez maintenant que vous soyez en présence de celui en qui vous avez mis votre confiance. Ce n’est pas un philosophe dont vous suivez le podcast, un journaliste dans son édito matinal. C’est celui qui « a les paroles de vie » (Jn 6.68) ! Ses paroles sont-elles plus importantes à retenir que les miennes ? Sont-elles plus importantes que tout ? Bien sûr !

Lorsque quelqu’un s’étonne que les paroles de Jésus puissent avoir traversé les décennies, il faut rappeler qu’il était question des paroles du messie.

Lorsque quelqu’un s’étonne que les paroles de Jésus puissent avoir traversé les décennies, il faut rappeler qu’il était question des paroles du messie. Votre interlocuteur ne croit pas que Jésus était ce messie, ou qu’il a existé. Mais ceux qui ont entendu les paroles de Jésus et les rapportent croyaient bien cela. Jésus n’était pas n’importe qui !

Il ne faut finalement pas oublier une parole de Jésus : « Mais le Consolateur, le Saint-Esprit que le Père enverra en mon nom, c’est lui qui vous enseignera toutes choses et vous rappellera tout ce que moi je vous ai dit. » (Jn 14.26) Il y a une action divine dans la transmission des paroles de Jésus. Quelqu’un dira peut-être que ce n’est pas trop scientifique. Non, mais cela ne signifie pas que c’est impossible. C’est Dieu qui, en finalité, nous atteste que les paroles que nous recevons dans les Évangiles sont vraies. Pouvons-nous être confiants que les paroles de Jésus rapportées dans les Évangiles sont vraiment les siennes ? Oui, absolument. Tout nous confirme cela, y compris le contexte culturel et linguistique du 1e siècle.

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