Il y a deux mois, le pasteur américain Andrew Brunson était libéré par la Turquie après plus de deux ans d’emprisonnement. Et qu’a-t-il fait à son retour ? Accueilli par le président Trump à la Maison Blanche, il a demandé à prier pour le président. C’est une leçon importante en des temps politiques troublés. Du côté américain, la présidence de Donald Trumppose de sérieuses questions quant à la relation entre les Églises et la politique. Du côté français, les manifestations des gilets jaunes au cours des dernières semaines ont vu l’émergence d’une forte contestation non seulement politique, mais aussi sociale. Dans ce contexte, nous devons nous demander quelle est la place qui revient au disciple de Christ. Revenons sur le pasteur Brunson.
Prier…
Quel est l’exemple du pasteur Brunson ? De prier pour tous, y compris ceux que nous considérons comme nos « ennemis ». Vous me direz peut-être que considérer Donald Trump ou Emmanuel Macron comme des « ennemis » est un peu fort. Je suis d’accord. Personnellement, je ne pense pas que ni l’un ni l’autre soit mon « ennemi ». Mais si vous allez faire un tour sur les réseaux sociaux, vous verrez que pour beaucoup de nos frères et sœurs, Donald Trump et Emmanuel Macron font office d’incarnation de tout ce qu’interditla foi chrétienne. Je n’entrerai pas ici dans ce débat. Si vous faites partie de ceux qui partagent ce point de vue assez radical, ce que je souhaite dire ici s’applique aussi. Nous devons prier.
Quel est le rôle qui nous revient à nous, disciples de Christ ? Est-ce premièrement de partager nos idées politiques ? De promouvoir telle ou telle vision sociale ? De manifester nos oppositions politiques dans de grandes manifestations ou protestations, physiquement ou en ligne ? Tout cela n’est pas interdit au chrétien. Le disciple de Christ qui veut protester contre la politique du président Macron peut bien sûr le faire. La liberté d’opinion fait partie de ce qu’est une démocratie. Mais la contestation du chrétien doit être manifestement, et visiblement, différente. Et comment le chrétien montre-t-il que sa protestation politique, sociale, ou même éthique est différente ? Par sa prière. La première responsabilité du chrétien, c’est de prier.
Et plus encore, bénir
Nous devons non seulement prier, mais nous devons « bénir ». Un ami remarquait sur les réseaux sociaux qu’il priait pour Donald Trump. Il demandait à Dieu qu’il juge Donald Trump et que ce dernier souffre des maux qu’il infligeait sur son pays, en particulier sur les plus pauvres. Mais je ne suis pas certain que ce soit ce que Jésus ait eu en tête lorsqu’il disait à disciples : « Mais moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent… » (Mt 5.44)
Bien sûr, le texte de l’évangile de Matthieu a en vue ceux qui persécutent les chrétiens à cause de leur foi. Il n’y est pas question de bénir ceux avec qui nous sommes seulement en opposition politique ou sociale. Dans un sens, c’est vrai. Mais ce que nous devons faire pour ceux qui nous persécutent, ne devons-nous pas le faire à plus forte raison pour tous les autres ? Si nous devons bénir ceux qui nous persécutent, ne devons-nous pas aussi bénir tous ceux qui ne nous persécutent pas ? Ne devons-nous pas bénir aussi bien les ennemis de Christ que nos hommes politiques ? Il me semble bien.
Bénir, c’est l’une des tâches les plus difficiles qui nous appartienne. « Bénir », ce n’est pas simplement prier. C’est prier avec une bonne intention, c’est prier pour demander quelque chose de favorable. Bénir exige une prédisposition à pardonner. Parmi les vertus essentielles que Calvin associe à la pratique de la bénédiction se trouve le rejet de la vengeance. Dans son commentaire sur le passage de Matthieu tout juste cité, Calvin écrit à propos de la vengeance que « non seulement il leur est défendu de la demander à Dieu, mais aussi il est commandé de l’effacer totalement de leur esprit, qu’ils désirent le bien et le profit de leurs ennemis. »[1]Il ne nous appartient donc pas de nous faire justice. Il nous appartient de « bénir ».
Bénir, c’est en conséquence la responsabilité la plus choquantedu chrétien, parce que cela exige que nous demandions pour nos « ennemis » des bienfaits de la part de Dieu. Bénir est une responsabilité choquante car elle demande au chrétien de demander du bien pour des personnes que la plupart de nos contemporains condamneraient… sur les réseaux sociaux par exemple. Certainement les politiques actuelles ne sont pas parfaites. Et il y a probablement de nombreuses choses à revoir. Bénir est une action choquante. Pouvons-nous confesser devant nos contemporains que nous « bénissons » nos présidents ? Pourrions-nous confesser que nous bénissons Donald Trump ou Emmanuel Macron ?
Peut-être pas. Peut-être que nous craignons que nos contemporains pensent que « bénir » c’est approuver. Mais il est important de noter que « bénir » ne signifie pas se désintéresser de la justice ou de de la compassion. Calvin précise que les chrétiens doivent s’attendre à Dieu et à sa justice. Ainsi, si nous bénissons mêmes des politiciens que nous ne soutenons pas dans leurs projets politiques, cela ne signifie pas que nous nous désintéressons des conséquences de leurs programmes. Bénir ne signifie pas acquiescer. C’est reconnaître que nous ne maîtrisons pas l’histoire et que nous plaçons notre espérance en celui à qui, seul, appartient toutes choses. Nous pouvons bénir ceux que nous considérons être nos « ennemis » car nous abandonnons nos espoirs, nos vengeances et notre désir de justice à Dieu. Ce n’est pas un désengagement, mais une confiance en Dieu, une expression de notre foi.
Bénir, c’est un appel de Dieu. Bénir, c’est l’une des responsabilités les plus exigeantes, et les plus difficiles, que Dieu nous confie.
[1] Jean Calvin, Harmonie évangélique, vol. 1, Aix-en-Provence et Marne-la-Vallée, 1992, Kerygma et Farel, p. 235.
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