L’esprit de revendication
Les chrétiens ont pu, parfois, donner l’impression d’une certaine passivité devant les circonstances, d’un certain fatalisme devant l’adversité. La passivité et le fatalisme ne sont pas des vertus chrétiennes. Ils peuvent résulter d’une mauvaise compréhension de la souveraineté de Dieu, comme si notre responsabilité était abolie ; ou d’une perception erronée de la souffrance, comme si celle-ci avait un pouvoir expiatoire ou rédempteur.
Jésus n’a pas tendu l’autre joue devant le soldat qui lui donne un soufflet (Jn 18.23) ; et Paul se défend comme un lion devant Festus, le gouverneur romain (Ac 25.11). Il n’y a donc, chez les disciples de Jésus, ni passivité ni fatalisme. Par contre, il y a la confiance en Dieu et un esprit de contentement qui est, selon Paul, une grande source de gain (1 Tm 6.6), y compris dans l’adversité. C’est le miracle de la foi, qui est une grâce de Dieu.
C’est le sens de la troisième Béatitude (Mt 5.5) : Heureux les débonnaires. Une traduction possible est : Heureux ceux qui ne revendiquent pas. Ils ne réclament rien et ce sont eux qui hériteront !
On est loin de l’esprit de revendication, souvent accompagné de colère, parfois de violence, chaque fois que l’État-providence ne répond pas aux attentes de ceux qui s’estiment lésés. C’est l’esprit révolutionnaire, c’est l’esprit d’émancipation, c’est l’esprit de l’humanitarisme qui, selon Rémi Brague, considère que l’homme aurait toujours été en mesure – ou le progrès lui aurait octroyé la capacité – de résoudre par lui-même les problèmes que lui pose sa nature particulière. Il n’a pas besoin d’aide pour accomplir ce qui le rend vraiment et réellement humain. L’humanitarisme est l’ennemi juré du christianisme, parce qu’il entend le remplacer en le caricaturant.
Suis-je un voleur ?
Vous savez quelle pourrait être la définition d’un voleur ? C’est quelqu’un qui ne demande pas la permission et qui ne dit pas merci. C’est un voleur ! On ne peut qu’imaginer les sentiments qui habitent son cœur : une joie malsaine ponctuée d’inquiétudes plus ou moins permanentes. Par contre, on sait bien les sentiments qu’il laisse derrière lui, là où il est passé.
On pourrait se demander si un homme ou une femme qui jamais ne consultent Dieu dans la prière, ni jamais ne lui disent merci, ne sont pas semblables à des voleurs.
On pourrait se demander si un homme ou une femme qui jamais ne consultent Dieu dans la prière, ni jamais ne lui disent merci, ne sont pas semblables à des voleurs. Si c’est vrai, il y en a beaucoup autour de nous. Leur attitude reflète l’impiété – l’indifférence à l’égard de Dieu – laquelle produit de la colère dans le ciel. On l’oublie.
A l’inverse, la supplication et la reconnaissance – deux attitudes qui paraissent contradictoires – semblent bien être la respiration du croyant. En réalité, la Bible dit cela d’innombrables fois. À l’inverse, l’incroyant ne connaît – vis-à-vis de Dieu – ni la supplication, ni la reconnaissance. À cet égard, son cœur est sec. Dans la Bible, les Psaumes appellent ceux qui supplient et qui sont reconnaissants les justes, et elle appelle ceux qui ne le font pas les méchants.
Le Notre Père commence et s’achève par la reconnaissance qui exalte la sainteté, le règne, la puissance et la gloire de Dieu. Au milieu se trouve la supplication : Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour, pardonne nos offenses, ne nous laisse pas entrer dans la tentation, délivre-nous du mal ou du Malin. Nous le récitons peut-être paisiblement, mais il s’agit bien de supplications. Si ce qui est demandé venait à manquer, malheur à nous !
Jésus nous enseigne que ces deux attitudes peuvent bel et bien cohabiter. Tant que nous sommes sur la terre, elles doivent cohabiter : elles correspondent à ce que nous sommes, à notre condition. La supplication correspond à notre pauvreté : nous n’avons rien en propre, nous recevons tout, nous sommes entièrement dépendants, qui que nous soyons. La reconnaissance correspond à notre richesse : nous avons beaucoup reçu, alors que nous ne méritions rien. Même démuni, le croyant peut dire : Je ne manquerai de rien (Ps 23.1).
Ces deux attitudes correspondent aussi à ce qu’est Dieu, reconnu comme Seigneur et Père. L’Eternel est mon berger (Ps 23.1). Elles sont donc justes. Si elles sont justes, elles produiront un fruit paisible de justice.
Est-ce que cela va de soi ? Normalement oui. En réalité non. Tout ce qu’il y a en nous de charnel, tout ce qu’il y a de vanité, d’égoïsme, d’entêtement, de rébellion, s’oppose à ces deux expressions de la foi que sont la supplication et la reconnaissance. C’est pourquoi intervient l’œuvre du brisement, qui n’est agréable ni pour Dieu – il n’aime pas briser (Lam 3.33) – ni pour nous : nous n’aimons pas être brisés. Cependant, un cœur qui n’est pas brisé est semblable à un rameau sec ou à une pierre.
Nous ne supplions pas Dieu pour obtenir tout ce que nous voulons, nous le supplions pour dire notre dépendance. C’est la prière de Jésus avant sa passion : Toutefois, non pas ma volonté mais la tienne (Lc 22.42). Ce n’est pas l’attitude des revendicateurs qui, par ailleurs, ne sont jamais satisfaits – et donc jamais reconnaissants.