Au sein de sa controverse avec le pasteur londonien William Huntington (1745-1813) au sujet de l’Évangile et de la Loi, l’auteure et compositrice d’hymnes Maria de Fleury (fl.1780-1790) a noté à juste titre :
Les passions colériques et les paroles amères ne doivent jamais être apportées dans le domaine de la controverse religieuse; elles ne peuvent ni ornementer ni découvrir la vérité, mais elles peuvent attrister et éteindre ce Saint-Esprit, à la seule lumière duquel nous pouvons voir la lumière, et sans les divines illuminations, nous marcherons dans les ténèbres1.
Cette conscience du danger de la controverse – la manière dont elle engendre les « passions colériques » néfastes à l’âme et se nourrit de « paroles amères » qui créent de profondes blessures émotionnelles et déchirent l’âme de l’autre – était un thème récurrent chez les meilleurs écrivains évangéliques du XVIIIe siècle. Pour le constater, il suffit de lire les écrits d’hommes comme Jonathan Edwards (1703-1758), le divin congrégationaliste américain, qui, une fois, a réprimandé le grand évangéliste George Whitefield (1714-1770) pour des commentaires publics peu sages sur ceux qui étaient en désaccord avec le Grand Réveil, ainsi que l’anglican John Newton (1725–1807), et son protégé, le baptiste particulier John Ryland (1753-1825). C’était une maxime que Ryland a longtemps soutenue, par exemple, de « ne jamais argumenter avec l’infaillible », en faisant référence aux hommes qui se glorifient de n’avoir jamais changé d’avis sur des questions non essentielles et qui étaient radicalement résistants à la persuasion2.
Ces hommes et une foule d’autres hommes et femmes pieux de cette époque connaissaient les dangers de la controverse théologique, bien qu’il y ait certaines personnes qui, par leurs discours publics, semblaient vivre pour le brouhaha théologique. Mais Edwards, Newton, et Ryland insistaient sur le fait que de tels hommes, par un tel plaisir, révélaient qu’ils n’étaient pas des hommes de l’Esprit. Certains de ceux qui se glorifiaient de la controverse ont fini par regretter profondément ce qu’ils avaient fait (p. ex. James Davenport (1716-1757) et Gilbert Tennent (1703-1764), « le fils du tonnerre », comme certains l’appelaient), tandis que d’autres n’ont jamais appris qu’un tel plaisir n’est pas la manière d’opérer du Saint-Esprit (p. ex. William Huntington et Andrew Croswell (1709-1785), un pasteur congrégationaliste du Connecticut, qui était bien décrit comme étant « implacable et colérique3 »).
Jonathan Edwards – par consensus commun, l’un des guides prééminents de la piété évangélique – parle de ce danger dans son œuvre classique, Les affections religieuses, dans lequel il délimite douze marques ou signes d’une vraie spiritualité. C’est son huitième signe. Lorsqu’il y a eu une véritable conversion, note Edwards, elle s’accompagne d’un caractère semblable à celui du Christ, « l’esprit et le tempérament semblable à un agneau et à une colombe de Jésus Christ4 ».
Cela ne signifie pas que l’audace pour Christ ou le zèle chrétien sont mauvais en soi, et que la spiritualité chrétienne doit forcément être pour les faibles et les lâches. Cependant, Edwards est préoccupé par le fait que parfois une « audace pour Christ… ne découle d’aucun meilleur principe que l’orgueil » et que le zèle pour Christ peut être caractérisé par « l’amertume contre la personne des hommes5 ». Il avait constaté cette défaillance dans les commentaires publics que Davenport, Croswell, et même Whitefield avaient prononcés dans leurs sermons sur les opposants au Grand Réveil. L’audace et le zèle chrétien sont « effectivement une flamme, mais une flamme douce6 ».
Il cite le Christ dans sa bataille la plus féroce contre les forces des ténèbres, celle à la croix et les événements qui y ont mené. Quel caractère l’a alors démarqué, demande-t-il. Sa sainte audace et sa bravoure ne se sont pas manifestées par des « discours féroces et violents », affichant « des passions vives et amères ». Au contraire, il avait une « patience conquérante », un amour et une prière pour ses ennemis : « jamais n’a-t-il tant ressemblé à un agneau, et jamais n’a-t-il davantage démontré un esprit semblable à une colombe qu’à ce moment-là7 ».
Ces paroles d’Edwards – et celles d’autres figures du XVIIIe siècle comme Maria de Fleury – ne sont-elles pas la mise en application du conseil vital de Paul à Timothée : « il ne faut pas qu’un serviteur du Seigneur ait des querelles; il doit, au contraire, être affable pour tous, propre à enseigner, doué de patience; il doit redresser avec douceur les adversaires8 »?