Cédric Eugène, professeur de Nouveau Testament à la faculté de Vaux-sur-Seine, partage son parcours spirituel et professionnel. Issu d’une famille catholique non pratiquante, il a découvert l’évangile lors d’une soirée d’évangélisation en 2003, ce qui l’a conduit à se former et à travailler pour financer ses études théologiques.
Lors de l’interview, il aborde les erreurs courantes dans l’exégèse biblique, notamment :
- Interprétation incorrecte des textes : Importer des éléments d’autres passages sans respecter les spécificités du texte étudié.
- Utilisation inappropriée du grec : Employer des mots grecs sans nécessité, ce qui n’apporte rien à la compréhension.
- Étymologie des mots : Se focaliser sur l’origine des mots plutôt que sur leur sens actuel.
- Contexte littéraire : Négliger le contexte avant et après le passage étudié.
Il recommande l’utilisation de bibles à équivalence formelle et dynamique pour une meilleure compréhension, ainsi que des dictionnaires bibliques pour approfondir l’étude des termes. Il souligne également l’importance de la prière et du temps de maturation dans l’exégèse.
Cédric mentionne des ressources utiles pour ceux qui souhaitent se former, comme le livre de Mathieu Sanders sur l’herméneutique et des cours en ligne ou en présentiel dans des instituts et facultés.
Transcription
Bonjour Cédric, c’est chouette de t’avoir ici à Évangile 21 et on voulait profiter de ton passage pour te poser quelques questions peut-être juste.
Donc tu es professeur de Nouveau Testament à la faculté de Vaux-sur-Seine.
Peut-être que tu peux nous en dire plus sur ton parcours, quelques mots pour te présenter ?
Oui alors, Cédric, le nom de famille c’est Eugène, c’est pas le vrai nom sur une famille.
Je viens d’une famille catholique non pratiquante à l’origine et puis le Seigneur a permis sur mon parcours qu’il y ait plusieurs événements qui à un moment donné m’ont amené à me poser la question du sens de ma vie.
Et puis il a permis aussi qu’il y ait une soirée, une fameuse soirée d’évangélisation, un jour vraiment imprévu pour moi où j’ai entendu l’évangile vraiment pour la première fois, où j’ai donné ma vie au Seigneur assez rapidement.
C’était en 2003 avec un en mai, baptême, le 1er juin 2003, une conviction d’un appel du Seigneur trois mois après.
Je savais qu’il fallait que je me forme, que je travaille pour mettre de l’argent de côté, payer des études et ensuite voir comment le Seigneur conduirait.
Excellent.
Et là tu es sur le campus, tu as donné un atelier sur l’exégèse.
Est-ce que tu peux nous donner pour un prédicateur lambda qui prêche régulièrement dans son église, quels sont les grands types d’erreurs dans lesquelles il peut facilement tomber ?
Et puis après on verra comment on développe.
Oui alors je pense que l’erreur que je vois la plupart du temps c’est le fait de prendre un texte et c’est pas par manque d’amour pour le texte, au contraire, c’est parce qu’il y a une conviction que toute la parole est une, que parfois on prend un texte et au lieu de lire le texte pour ce qu’il veut dire, on fait entrer dans ce texte tous les autres textes de la Bible.
C’est-à-dire, imaginons que je veuille lire un passage dans Marc, Marc chapitre 7, la femme syrophénicienne, Jésus parle avec elle, tout ça.
Marc nous raconte quelque chose et on se dit « ah mais il y a la même chose chez Matthieu » et au lieu de regarder ce que Marc lui nous dit, on essaie d’importer ce que Matthieu dit.
Et en fait on passe à côté des spécificités de Marc, ce qu’il veut nous montrer, et on passe à côté des spécificités de Matthieu, ce que lui veut nous montrer.
Tu veux dire qu’on se comporterait presque plutôt comme un historien qui essayerait de ramasser toutes les preuves pour raconter ce qui s’est passé de Jésus, plutôt que d’écouter Marc qui se sert de ce qu’a dit, de ce qu’a fait Jésus pour nous dire quelque chose.
Exactement.
D’autres exemples, sur les évangiles on comprend bien avec ces quatre textes qui viennent se compléter, d’autres exemples où on pourrait trouver cette même problématique ?
Les épîtres de Paul par exemple.
D’accord.
Imaginons que j’ai une épître de Paul et qu’à un moment donné je lise quelque chose chez Paul, je ne sais pas moi, prenons un exemple Éphésien chapitre 3, il est question de la gloire de Dieu dans l’église.
Et puis là je lis voilà l’église démontre la sagesse infiniment variée de Dieu, qu’elle manifeste la gloire de Dieu dans l’église, et je me dis tiens le mot gloire, Paul en parle à d’autres endroits.
Et je me dis pour comprendre la gloire ici, il faut que je vois ce qu’il dit de la gloire autre part, enfin partout, et ensuite j’importe pour lire le passage.
Peut-être que ce n’est pas ce qu’il faut faire, peut-être qu’il faut qu’on cherche à savoir ce mot gloire là, dans l’épître aux Éphésiens, ce que ça signifie.
Et puis ensuite on peut élargir pour voir dans d’autres lettres, mais d’abord Éphésien pour Éphésien.
D’accord.
Quel autre type d’erreur on peut faire encore ?
Alors les autres erreurs très fréquentes ce sont des erreurs plutôt de l’anglistique.
D’accord.
Au niveau des mots par exemple.
Il y a cette erreur qui consiste à utiliser le grec par exemple quand il n’y a pas besoin de dire un mot en grec.
C’est-à-dire qu’on prêche, et peut-être que c’est par manque d’assurance, on veut vraiment s’inscrire dans le rôle du prédicateur et montrer qu’on a fait le job, peut-être qu’on a travaillé, ce qui est une bonne chose.
Et donc parfois on peut être tenté de dire un mot grec, mais bon ça n’apporte rien en fait, ni à la réflexion, ni au cheminement, ni à l’édification.
Les mots c’est un peu élastique, si je te traite d’un roseoir ça veut pas dire grand-chose, mais tu comprends que c’est pas un compliment, pas besoin d’une grande exégèse du mot.
Et donc là il y a aussi le souci parfois toujours avec les mots, de l’étymologie.
Oui.
Parfois on lit un texte, on cherche à comprendre un mot et on se dit pour comprendre le mot il faut lire son étymologie, et puis lors de la prédication dire voilà le mot vient de telle et telle origine, il est composé de ceci et cela, ce qui signifie ceci et cela.
En fait le problème c’est que quand on parle, par exemple toi et moi on parle, on utilise des mots avec le sens qu’ils ont aujourd’hui.
On n’utilise pas des mots avec le sens qu’ils avaient il y a 100 ans.
Alors ça pose la question inverse, est-ce que des fois en lisant les textes de nos bibles qui sont écrits avec des mots aujourd’hui, on peut passer à côté du sens d’antan ?
Oui je le pense.
Et comment on sait si on est en train de déraper à droite ou à gauche ?
Qu’est-ce qui peut nous aider ?
Est-ce que tu as des outils ?
Oui alors d’abord je crois que les comités de traduction font un bon travail.
Excellent.
Franchement ils font un bon travail et ce qui est intéressant c’est d’avoir par exemple deux types de bibles.
Une bible avec une traduction d’équivalence formelle, c’est-à-dire un peu littérale, qui cherche à rendre du mot à mot tout en gardant du sens.
Tu penserais par exemple à la NBS ?
Oui une NBS, même une S21.
Ou une S21, ou une John Nelson Barbie peut-être, très formelle.
Elle est très formelle et elle peut être intéressante si on veut voir des répétitions.
Parce que c’est ce qu’il y a de fort avec les bibles littérales, quand il y a un mot dans le grec, on utilise tout le temps le même mot en français.
Donc ça permet de voir des répétitions.
Et ça permet de découvrir des vieux mots.
Et maintenant la bible à équivalence dynamique, elle cherche à rendre le sens pour le public d’aujourd’hui, de telle manière, un peu comme les premiers destinataires ont reçu le mot.
Donc quand on a les deux lectures en même temps, il me semble qu’on peut arriver assez près de ce qu’il y a à comprendre réellement derrière le terme.
Mais après il y a des outils, il y a des dictionnaires.
Il y a des dictionnaires bibliques, il y a des dictionnaires de théologie biblique, il y a des dictionnaires où on peut regarder ce que le mot signifie dans un livre, ou dans un corpus, pour un auteur, dans son corpus, ou bien dans l’ensemble de la révélation.
Allez, sans faire vraiment de pub, un dictionnaire que tu recommanderais pour prêcher sur le Nouveau Testament plutôt ?
Oui, alors un dictionnaire que je pourrais recommander par exemple, ce serait le dictionnaire de théologie biblique.
D’accord.
Le dictionnaire de théologie biblique, il me semble être bien, il est édité par… Excelsis.
Oui, celui-là il est pas mal, tu vois, j’aime bien.
Ok, super.
Quel autre grand type d’erreur ?
Autre type d’erreur, alors là, c’est un type d’erreur qu’on rencontre assez régulièrement, ça semble moins embêtant sur le coup, mais ça ne… comment te dire, ça ne fait pas de tort à la prédication, mais ça appauvrit ce qu’on pourrait en tirer, c’est le fait de faire de l’exégèse d’un passage sans avoir suffisamment pris le temps de regarder ce qu’il y avait avant et ce qu’il y avait après.
Parce que quel que soit le passage de la Bible qu’on prend, que ce soit dans un évangile, que ce soit dans une lettre, c’est toujours une étape dans un itinéraire, qui va d’un début vers une fin.
Et le passage qu’on est en train de regarder, c’est une étape.
Ça veut dire que pour vraiment comprendre cette étape-là, il faut que je comprenne d’où je suis parti, ce que j’ai déjà parcouru, et où ça m’amène après.
Quand tu me parles comme ça, j’ai des fois aussi cet écho de cette œuvre d’art qu’on est en train de regarder, et puis on est en train de s’émerveiller des couleurs, et puis il y a quelqu’un à côté de nous qui est en train de nous expliquer ce que pensait l’artiste, qui décode… Où sont les limites de décoder les structures ?
Qu’est-ce qui nous guide ?
Quand est-ce que je suis vraiment en sécurité dans ce que je dis ?
Et quand est-ce que ça devient fragile, et où moi j’ai importé beaucoup de choses qui ne venaient pas du tout de l’auteur en fait ?
Je pense que là, il y a une part des limites qu’on perçoit de mieux en mieux avec la maturité.
D’accord.
C’est-à-dire qu’il y a des… Alors quand même, il y a des éléments, même lorsqu’on est tout jeune dans la voie, si on prend un texte… Prenons un miracle, on a un récit de mirage.
Allez, on a un récit de miracle, on se dit tiens, Jésus a fait un miracle.
D’accord, mais si on croit que c’est le miracle pour le miracle simplement, on passe à peut-être quelque chose.
Là, on a besoin de comprendre assez rapidement… Dans l’évangile de Jean, on va souvent avoir une explication du miracle juste derrière.
Donc c’est une illustration.
Donc on a besoin de principes herménotiques en fait, pour comprendre que ce qu’on dit d’un texte doit être cohérent avec l’ensemble.
Si ce n’est pas cohérent, ce n’est pas le texte qui a un problème, c’est peut-être la manière dont on a interprété, on est peut-être allé trop loin.
Ou si on fait trop de psychologie quand on étudie le texte, c’est-à-dire on imagine ce qui se passe dans la vie d’Abraham.
Abraham a dû ressentir ceci, il a dû ressentir cela, il a dû se dire ceci.
Peut-être pas.
Donc il faut réaliser à quel moment on est affirmatif, on est sauvé par la foi seule, on est affirmatif.
Il n’y a pas d’ambiguïté possible.
Par le Christ, on est affirmatif.
Mais il y a certaines interprétations où il n’y a pas un élément explicite du texte.
Et comment tu articules le fait de dire « je lis la Bible avec des règles » de l’ère ménotyque et « je lis la Bible avec l’esprit ».
Comment les deux s’articulent pour me conduire ?
Oui.
Je n’ai pas de recette miracle, mais voilà ce que je fais en tout cas.
Et ce que je pense que c’est pas mal de faire, je crois qu’il n’y a pas d’exégèse possible sans prière.
Ça veut dire que l’exégèse, ce n’est pas juste l’application d’une méthode.
On peut très bien piquer la méthode et aboutir à un résultat faux pour la simple et bonne raison que je suis convaincu qu’on ne peut pas sonder l’esprit de Dieu, mais l’esprit de Dieu peut nous révéler les profondeurs de la pensée de Dieu.
Et donc, je crois que la première chose, c’est la dépendance très explicite, très claire en priant avant, pendant et même après le processus d’exégèse.
Et puis, il y a une autre chose, c’est que je crois que le Seigneur utilise le temps de maturation.
C’est-à-dire, on étudie un passage, on ne se hâte pas d’en tirer des applications, mais on l’étudie et on laisse le Seigneur nous interpeller.
C’est-à-dire, on peut laisser passer des jours, on le laisse nous interpeller.
Commencer la prédication la veille, ce n’est pas la meilleure idée.
Ça peut être compliqué.
Des fois, il faut l’avouer dans l’homicide, ce n’est pas toujours facile.
Ça peut arriver.
Il faut le faire autrement.
Et si je devais me former en herménotique ?
Je prêche régulièrement dans mon église, c’est un travail séculier, je n’ai pas forcément beaucoup de temps.
Comment on peut débuter ?
Est-ce qu’il y a des ouvrages à lire ?
Est-ce qu’il y a des cours à distance ?
Par exemple, Mathieu Sanders a écrit un bouquin sur l’herménotique.
Je crois qu’il l’a écrit de manière très pédagogique.
Donc, il n’est pas difficile à lire, il est vraiment utile.
Voilà un ouvrage qu’on peut avoir dans une bibliothèque, par exemple, qu’on peut lire sur l’herménotique.
Et puis après, il y a des cours, ce ne sont pas toujours des cours d’interprétation, c’est-à-dire de l’herménotique.
Ce ne sont pas toujours des cours d’exégèse, mais ce sont des cours où on voit quand même la méthode mise en œuvre.
Parfois, ce sont des cours dans des instituts, dans des facultés, où on n’a pas l’explication tout le temps de la méthode.
Je parle de cours en ligne, mais où on a la mise en œuvre et on peut observer et de tirer les règles.
Puis après, dans les instituts sur place, dans les facultés, très souvent, on a des cours d’exégèse, de démarches exégétiques.
D’accord.
Est-ce qu’on a loupé des grands domaines d’erreur ou est-ce qu’on a couvert à peu près le sujet ?
Alors, je dois te dire que nous sommes très créatifs.
C’est clair qu’on n’a pas tout couvert.
Je ne sais pas si on pourrait tout couvrir.
Mais les domaines, oui, je dirais que si on regarde le texte, on a d’abord le texte, on part du plus large, par exemple.
On part du plus large, c’est l’œuvre et donc le contexte littéraire.
Il y a des malentendus à ce niveau-là.
Il faut regarder le contexte.
Ensuite, on resserre.
On arrive au passage lui-même, les malentendus.
C’est-à-dire que j’interprète, par exemple, Mathieu, par Marc, ou Marc par Mathieu.
Et puis ensuite, on peut resserrer encore.
On arrive à l’échelle de la phrase.
Les malentendus, là, ça peut être la mauvaise manière de faire, les liens logiques, chronologiques.
Puis après, on peut arriver aux mots.
Et là, on a les erreurs sur l’étymologie, les choses comme ça.
Là, c’est les grands domaines.
C’est presque les échelles.
À chaque échelle, son erreur.
Exactement.
Eh bien, merci beaucoup, Cédric.
Avec plaisir.
On prie pour la suite de ton ministère.
Et on te remercie vraiment de ton passage parmi nous.
Avec joie.
À très bientôt.
Avec plaisir.
Merci.
Cédric Eugène a découvert la foi en Jésus-Christ à l’âge de 26 ans. Quelques années plus tard, il a laissé son emploi d’instituteur pour venir se former à l’Institut Biblique Pastoral d’Algrange (IBPB) puis à la Faculté Libre de Théologique Évangélique (FLTE). Cédric a été pasteur au sein de l’Alliance des Églises Évangéliques Interdépendantes (AEEI), avant de se lancer dans une thèse de doctorat sur le premier Évangile à l’Université de Strasbourg. Il est aujourd’hui doyen et professeur de Nouveau Testament et de grec biblique à la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine (FLTE).
Jean-Jacques Riou est directeur des sites Évangile 21 et sert en tant que pasteur à l’Eglise de l’Action Biblique à Étupes. Il est marié à Aude et père de deux garçons.