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Caroline Marchal, tu es Thérapeute conjugale et familiale depuis 25 ans, et chrétienne engagée. Tu accompagnes de nombreux couples, chrétiens comme non-chrétiens. Peux-tu en une phrase expliquer ton approche à l’accompagnement et expliquer ensuite quel est selon toi le lien entre spiritualité et sexualité ?

Ma démarche clinique s’appuie sur différentes approches conceptuelles me permettant d’intégrer les dimensions émotionnelles, systémiques et psychodynamiques à l’œuvre au sein du couple et de la famille. Lorsque cela m’est possible, je peux apporter des réponses spirituelles aux problèmes qui se posent, en référence à l’Ecriture et mon expérience personnelle dans la foi. J’essaie  aussi surtout de rester constamment dans la prière pour que Dieu agisse dans les coeurs.

Concernant le lien entre spiritualité et sexualité, c’est une question fondamentale qui me permet de définir la sexualité non pas comme un lieu dissocié, un langage sans règles du jeu, livré à nos pulsions « indomptables », mais comme une voix d’expression de notre histoire, de notre façon de ressentir et d’agir, de nos convictions spirituelles profondes, qui nécessite notre réflexion et notre régulation.

La Bible nous dit que la sexualité appartient à notre condition terrestre (Matthieu 22.30) ; aussi, son expression est laissée à la liberté humaine, à notre créativité, notre sensibilité, à notre imaginaire. Si la sexualité n’est pas religieuse, dans le sens où il n’y a pas de chapitre spécifique ou de consensus pratique d’une expression religieuse de la sexualité, elle est cependant soumise aux lois de Dieu, d’amour, de respect, d’écoute et de dialogue au sein du couple (1 Corinthiens 7.3-4). La Bible nous révèle le cadre dans lequel Dieu veut l’inscrire ; elle nous parle de virginité jusqu’au mariage et de sexualité à l’intérieur de ce cadre.

Tout le chapitre 5 de la lettre de Paul aux Ephésiens, nous montre que Dieu a une grande ambition pour l’amour humain. Dieu veut faire de la relation amoureuse de l’homme et de la femme une illustration de son amour et de sa fidélité ; notre amour provient de Dieu : « Quant à nous, nous aimons parce que Dieu nous a aimés le premier » (1 Jean 4.19) ; c’est l’amour de Dieu qui détermine notre amour, il en est le modèle !

Par ailleurs, la Bible utilise le terme « porneia » pour qualifier les relations sexuelles illicites, hors mariage, perverties ou contre nature (Lévitique 18 ; Rom. 1.26-27).

Pour autant, si l’unité spirituelle est un élément enrichissant de la sexualité, la dimension spirituelle ne permet pas toujours de vivre une sexualité épanouie. Et je peux constater malheureusement, lors de mes entretiens, que ce n’est pas toujours l’endroit d’une liberté responsable.

 

Quels sont selon toi les motivations les plus inspirantes pour rester purs pendant le mariage ?  

Je voudrais te répondre à partir d’une des acceptions de l’adjectif « pur » donné par le CNDRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales), à savoir : « dont les caractères sont entiers, sans mélange, sans dégradation… »

Définition que je mets en lien avec le principe d’altérité, qui est un élément majeur de la vie relationnelle, et du couple en particulier. C’est la capacité de reconnaitre qu’il existe entre l’autre et soi une distance infranchissable qui ne doit pas être abolie, ni dégradée ; cette reconnaissance est garante d’une éthique relationnelle qui favorise des comportements sains et équilibrés. Le non-respect du territoire de l’autre et de ses caractéristiques propres étant « l’absorption » (le cannibalisme), le crime, mais aussi la destruction psychique de l’autre par le dénigrement ou la violence.

Le verset 4 du chapitre 13 de la lettre aux Hébreux : « Que le mariage soit honoré de tous, et le lit conjugal exempt de souillure, car Dieu jugera les impudiques et les adultères. », nous interpelle également individuellement ; car la manière dont je gère ma propre vie, ce que je fais de mon corps et de mes pensées même les plus secrètes, ce que je laisse aller ou que je contrôle, tout cela « transpire », impacte mon conjoint et détermine la qualité de nos relations. Pour moi, ce qui est le plus inspirant pour rester pur, c’est de toujours chercher à élever l’autre en dignité. Si cette intention est réciproque, on est alors gagnant-gagnant !

Mais je rajouterais qu’en tant que chrétiens, nous sommes privilégiés, en ce que seule l’ordonnance de Dieu et son amour offert en Jésus Christ peuvent rendre l’impureté parfaitement évidente. La grâce de Dieu se manifeste en ce qu’il nous laisse le temps et nous donne l’opportunité de faire croitre le corps / l’âme et l’esprit en harmonie, si nous lui confions cette tâche au quotidien.

 

L’apôtre Paul encourage de « se marier plutôt que de brûler ». Mais quel conseil donnerais-tu à une personne qui lutte avec la pornographie avant de se marier, qui quelque part brûle un peu déjà ? Quels sont les dangers de ne pas se débarrasser de mauvaises habitudes avant d’entrer dans cette relation ?

Le contexte exhibitionniste et hypersexualisé de notre époque, avec des injonctions à l’audace et à la désinhibition conduisent les jeunes (et les adultes) à la mise en scène du soi intime sur les réseaux sociaux. Ce véritable attentat collectif à la pudeur et les dérives qui en résultent ont de possibles répercussions sur leur vie sexuelle et affective ultérieure.

Je reçois de nombreux témoignages de souffrance liée à des abus, des manipulations, des contraintes sexuelles diverses, des problèmes de dépendances affectives et sexuelles alimentés par les sites internet à vocation érotique et pornographique…

A l’évidence, des habitudes bien ancrées avant le mariage peuvent effectivement perdurer au sein même de la conjugalité.

En séance de thérapie conjugale, il est souvent question « des mauvaises habitudes d’avant » de l’un ou de l’autre qui dégradent l’intimité et qui déçoivent les attentes dans la sexualité à deux. Certaines femmes m’ont confié se sentir « trahies » par la pratique régulière de la masturbation de leur conjoint, alors même qu’il y avait une demande de sexualité conjugale non comblée ou peu satisfaisante.

Il est important alors d’en parler avec des professionnels, seul ou en couple ; car ce qui a pu conduire à des comportements de dépendance (masturbation compulsive ou pratiques déviantes) a pu trouver ses origines dans des difficultés psychoaffectives (solitude, timidité, isolement, traumatismes…) et entrainer à son tour des problèmes psychologiques, mais aussi physiologiques.

 

Les questions de pureté, notamment la pornographie, touchent la jeunesse de plus en plus tôt. Quels sont les dangers et séquelles d’une exposition précoce à des images explicites ? Comment la grâce de Dieu peut-elle aider face à cela ?

L’apprentissage de la sexualité par la pornographie n’est pas sans danger pour l’équilibre relationnel et sexuel. En effet, la pornographie modélise les conduites sexuelles et peut appauvrir l’imagination des hommes et des femmes et leur capacité à être sexuellement créatifs et tendres ; elle crée une perception déformée de la sexualité et des relations humaines. Ces images sont aussi porteuses d’agressivité, génératrices de troubles et d’excitations qui peuvent conduire à des comportements violents.

Les plus jeunes éprouvent souvent de lourds sentiments de culpabilité vis-à-vis de leurs pensées traversées par ces images envahissantes. Ils peuvent également développer des complexes lorsque la pornographie s’érige pour eux en modèle normatif.

Il ne faut pas minimiser l’impact d’images violentes sur les plus jeunes ; les enfants mineurs exposés volontairement ou involontairement à ces contenus pornographiques en ligne ne sont pas suffisamment armés pour en dire quelque chose ; d’autant qu’ils peuvent être à la fois sidérés et fascinés.

La grâce de Dieu est à l’œuvre dans ce qui est notre responsabilité d’éducateur. Pour désamorcer cet engrenage de la fascination, nous pouvons partager avec eux que nous trouvons aussi ces images choquantes. Nous pouvons également les aider à discriminer le vrai du faux et à discerner ce qui est bon et ce qui peut nuire au bon développement de chacun.

 

Selon toi, les problèmes sexuels dans les couples sont-ils plus souvent symptomatiques de déséquilibres ou causes de déséquilibres ?

Les problèmes sexuels dans un couple peuvent être à la fois symptôme et cause de déséquilibre. La dynamique psychosexuelle d’une personne s’appuie sur de nombreux facteurs : l’éducation, la compréhension que l’on a du fonctionnement de l’autre, les traumatismes, les dysfonctionnements sexuels (troubles du désir, troubles mécaniques etc..), les conditions de vie qui ne sont pas favorables à l’intimité/ une mauvaise gestion du temps, la fatigue liée à des investissements professionnels importants ou familiaux divers (grossesse, naissance, gestion des parents vieillissants, enfant handicapé…) et bien sûr des conflits conjugaux non résolus ou une absence de communication, une lutte de pouvoirs, un décalage de libido (des rythmes et des besoins différents), etc.

Pour résumer, les dysfonctions sexuelles peuvent représenter le symptôme de problèmes biologiques, intrapsychiques, de conflits interpersonnels ou une combinaison de ces facteurs. Elles peuvent avoir des causes organiques, toxiques (drogues, alcool), médicamenteuses, mais aussi psychiques et relationnelles.

Aussi, les dimensions cognitives, physiques, émotionnelles/affectives et spirituelles interagissent dans la sexualité humaine.

Quel cadeau précieux nous a fait notre créateur, que de nous vouloir comme des « êtres avec », des êtres de relation : « Tout comme le fer aiguise le fer, l’homme s’aiguise au contact de son prochain » (Proverbes 27 : 17) ; pourvu que cela se fasse dans le sens de la vie, de l’épanouissement de chacun !

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