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Bonjour Vincent Rébeillé-Borgella. Tu es médecin, chrétien, engagé dans ton Église locale et auteur de plusieurs ouvrages, dont Un médecin face à la peur de la mort, paru aux éditions Clé. Dans ton livre, tu parles de la mort comme un sujet d’actualité presque tabou. Comment penses-tu que nous en sommes arrivés là ?

En fait c’est une longue évolution de la société et en particulier de nos sociétés occidentales. Longtemps la mort a complètement fait partie de la vie, en particulier du fait de la mortalité infantile importante et de l’absence de médecine thérapeutique. La science et la religion marchaient main dans la main pour accompagner les mourants. Le surgissement de la rupture des penseurs avec l’église aboutit à l’autonomisation de la pensée vis-à-vis de l’église. La volonté de l’être humain de tout comprendre et de tout maîtriser en se passant de références transcendantales aboutit à ce qu’on appelle la pensée des Lumières et au scientisme du dix-neuvième siècle. Celui-ci a fait croire à la toute-puissance de la science pour tout comprendre et tout maîtriser. La mort qui était familière et devenue socialement beaucoup plus privée. Elle est devenue un échec pour la science médicale qui ne la maîtrisait pas et qui a donc cherché à aller plus loin, pour justement effacer cette mort. Ce qui a fait dire à certains qu’on allait bientôt pouvoir parler de la mort de la mort. C’est l’illusion du transhumanisme. Toute cette évolution aboutit à ce qu’on appelle le mal-mourir en France, qui est en fait un échec de notre humanité. La mort fait partie intégrante de la vie. Or, on parle de réussir sa vie. Mais réussir vraiment sa vie n’est-ce pas aussi réussir sa mort ? On en est souvent loin en France

 

Maintenant en fin de carrière, tu as accompagné et soigné certaines familles sur trois et même quatre générations. Ce qui est assez incroyable quand on y pense. Comment une relation de confiance ouvre-t-elle des portes uniques pour l’accompagnement en fin de vie ?

La médecine générale telle que nous sommes un certain nombre à la concevoir et à la pratiquer, est une médecine de la personne. Dans chaque consultation, on essaie de dépasser la plainte initiale pour voir ce que vit le patient dans son environnement familial, amical, professionnel, voire sociétal. On entre doucement et progressivement dans une connaissance de chacun de nos patients, avec lesquels on aborde des sujets bien éloignés du simple motif de consultation. Et il est impossible qu’en près de 40 ans d’exercice professionnel on n’ait pas parlé de la souffrance de la mort. Je dis souvent que le médecin généraliste prend en charge les personnes depuis moins 8 mois -au moment du diagnostic de grossesse- jusqu’à plus de 100 ans pour ceux qui finissent centenaires. Alors, que d’occasions d’échanges, de partages sur les belles choses de la vie, les joies et le bonheur autant que sur la souffrance et la mort ! Je pense que c’est une expérience unique qui est donnée à vraiment très peu de professions. Cela nous renvoie aussi à une responsabilité unique. Celle de prendre soin de l’humain dans toute sa dimension.

 

La mort ouvre des portes uniques pour parler du spirituel, même avec des gens qui ont peut-être été endurcis toute leur vie. En même temps, il est toujours délicat d’aborder le sujet. Comment abordes-tu la question de la mort et de la spiritualité avec des personnes en fin de vie ? Quels thèmes en particulier permettent d’approfondir la discussion ?

Je dois préciser d’abord que je n’aborde pas forcément la question de la mort qu’au moment où celle-ci s’annonce d’une manière ou d’une autre. J’ai souvent l’occasion, en parlant d’autre chose que du motif de consultation, d’aborder des sujets personnels ou des sujets de société à travers ce que chaque personne vit ou ce que la société nous fait vivre. Je prendrai simplement comme exemple significatif la mort de Johnny Hallyday. Elle revenait souvent dans les consultations et permettait alors d’élargir la problématique sur la mort, sur ce que chacun pense de la mort en général. J’ai donc souvent une connaissance antérieure de ce que les gens pensent de la mort, de leur arrière-fond métaphysique et spirituel.

Quand des personnes approchent de la mort, il est rare qu’elles ne se posent pas des questions sur le pourquoi de la mort, sur le sens de la vie et donc sur le bilan de leur vie.

C’est tout d’abord l’occasion de parler de l’importance de demander pardon ou d’accorder un pardon quand on se rapproche de sa mort.

C’est également l’occasion de demander ce que les gens pensent de la mort et de ce qui se passe après celle-ci. Là, souvent le médecin va plus loin en laissant l’homme que je suis s’exprimer, voire témoigner.

 

Quels conseils donnerais-tu à ceux qui hésitent à parler spiritualité à un proche en fin de vie ?

Parler spiritualité à une personne en fin de vie nécessite avant tout d’être à l’écoute de ce que la personne vit et pense. Écouter est le premier temps. Puis essayer de poser des questions comme « avez-vous peur de la mort ? ».  Cette question n’est pas facile à poser car elle renvoie à notre propre mort. Mais pour un chrétien qui a foi en sa résurrection, c’est sans doute plus facile. Quand on a peur de sa propre mort il est difficile de parler à l’autre de sa mort à lui. Quand on a moins peur, ou pas peur de la mort, cela devient un sujet d’offrande à l’autre pour qu’éventuellement il puisse entendre l’annonce de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ.

Parler de spiritualité à une personne en fin de vie nécessite donc de l’humilité.

On n’est pas là pour donner un enseignement. On est là pour commencer par écouter et tenter d’ouvrir une porte dans le cœur et l’esprit de la personne mourante, pour témoigner de ce que Jésus nous a dit en Jean 11.3 « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? »

C’est sans doute la phrase que j’ai le plus souvent partagée avec les personnes en fin de vie.

Ensuite, se laisser porter par l’Esprit pour éventuellement aider l’autre qui ne Le connaît pas encore à se préparer à sa rencontre avec l’Éternel.

 

Comment l’Église peut-elle se mobiliser pour être présente dans ces temps si opportuns ?

La première chose à faire est -je crois- se préparer en église à une situation qu’on n’a pas trop l’habitude d’envisager. Il est vrai que parler de la mort à quelqu’un de sa famille que l’on connaît bien, un frère ou une sœur en Christ, comporte une charge affective encore plus importante que celle du médecin face à un patient qu’il connaît, quel que soit le parcours antérieur commun et la sympathie qui existe entre eux. Cette émotion c’est aussi le gage de l’authenticité. Elle nous renvoie aussi aux pleurs de Jésus devant le tombeau de Lazare. Se former c’est bien. Mais partager avec d’autres est au moins aussi important dans la rencontre avec les personnes en fin de vie. Discuter avec d’autres, en église, sur ce que l’on a vécu dans cette rencontre me semble aussi important.

Je veux insister ensuite sur l’importance de la prière. Avant d’aller rencontrer une personne qui va bientôt mourir, il me semble important de prier pour elle. Tout comme au moment où l’on est avec elle. Il est important également de prier pour elle et pour soi après la rencontre car tout est entre les mains du Seigneur. Ceci afin de faire de ces moments qui seront uniques, tant -naturellement -pour la personne qui va mourir que pour la personne qui l’accompagne, un acte d’amour à l’exemple de Celui qui est mort sur la croix pour nous et nos péchés, le « Prince de la vie ».

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