En 1952, le philosophe Bertrand Russell compare la foi en Dieu à la croyance en l’existence d’une théière invisible en orbite autour du soleil. Ce faisant, il tente de souligner le caractère absurde de la foi religieuse, et notamment de la foi chrétienne, et insiste sur le fait que c’est au croyant de prouver ce qu’il affirme et non à l’athée. Que vaut réellement cette analogie bien connue ? La foi en Dieu est-elle aussi déraisonnable qu’en une théière invisible en orbite autour du soleil ?
Transcription
Nous avons vu dans notre dernière émission qu’il pouvait être tout à fait raisonnable de croire que Dieu existe, et qu’il pourrait même sembler plus compliqué de croire raisonnablement que Dieu n’existe pas. Pourtant, la célèbre analogie de la théière de Russell tend à démontrer l’inverse.
Imaginons que quelqu’un affirme qu’il existe une théière évoluant en orbite autour du soleil, et que puisque cette théière est parfaitement invisible, il est impossible de prouver qu’elle n’existe pas. Imaginons ensuite que cette même personne considère que puisqu’on ne peut réfuter l’existence de cette théière, il est complètement irrationnel de douter de son existence. Autrement dit, à moins de parvenir à prouver que cette théière n’existe pas, ce qui est impossible, toute personne sensée et douée de raison devrait reconnaître que cette théière invisible existe. Vous l’aurez compris, à travers cet exemple, Russell se fait le critique de la foi et particulièrement de la foi chrétienne, qu’il présente comme une démarche purement irrationnelle, absurde, indéfendable et inversant la charge de la preuve. Mais cette critique est-elle aussi pertinente qu’il voulait bien le croire ?
Tout d’abord, comparer la croyance en Dieu avec celle en une théière invisible, ou encore en un monstre de spaghettis volant pour étendre la gamme des parodies de la foi, est tout à fait illégitime et relève d’un argument fallacieux. En effet, le chrétien peut affirmer posséder plusieurs raisons de croire en l’existence de Dieu, mais nous n’avons à ce jour jamais rencontré d’arguments philosophiques en faveur de l’existence d’une théière invisible, aucune potentielle révélation d’une telle théière ne s’est jamais faite jour, personne n’a jamais affirmé qu’une théière invisible ait exaucé sa prière, etc. Comprenons bien que de telles raisons, si elles existaient, ne suffiraient pas à justifier la croyance en cette théière, il faudrait encore éprouver chacune de ces raisons, mais elles suffiraient du moins à justifier que la question se pose, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui et qui nous permet de conclure à l’absurdité d’une telle croyance.
Il semble inutile d’insister davantage pour expliquer en quoi l’argumentation de Russell est dès le départ fallacieuse. Il recourt au sophisme de l’homme de paille en dressant une comparaison illégitime de la croyance en Dieu afin de mieux pouvoir la ridiculiser. Mais en cela il manque de rigueur et l’image qu’il prend est en réalité très éloignée de celle qu’il souhaite critiquer.
Mais poursuivons tout de même. A travers cet exemple, Russell semble vouloir souligner que la foi en Dieu serait acceptée sans raison ni réflexion, en-dehors de tout sens critique. Précisons d’emblée que le croyant, contrairement aux croyants de la théière, ne fondent pas sa foi sur l’impossibilité de prouver l’inexistence de Dieu. Nous sommes d’accord pour dire que ce ne serait pas un argument valable. Au contraire, nous avons déjà eu l’occasion de mettre en avant un bon nombre de raisons et d’arguments, à défaut de preuves scientifiques, en faveur de l’existence de Dieu, et nous n’avons pas fini de le faire. Que ces arguments ne convainquent pas tout le monde n’est pas la question, leur existence suffit pour nous amener à reconnaître que la foi ne semble pas dénuée de raison, et qu’elle est tout à fait compatible avec l’esprit critique. La Bible elle-même d’ailleurs nous fournit de nombreux exemples de croyants faisant usage de leur esprit critique avant de croire quelque chose, et nous encourage à faire de même. Nous aurons l’occasion de revenir dessus prochainement.
Enfin, Russell affirme que c’est aux croyants d’apporter la preuve de l’existence de Dieu et que l’athée n’a pas à engager une telle démarche pour justifier sa position. Comme nous l’avons déjà développé dans une précédente émission, je n’entrerai pas dans le détail ici, mais nous pouvons rappeler qu’il est impossible d’exiger une preuve de tout ce qu’on croit. Il faut plutôt attendre une argumentation solide, ce que le croyant est tout à fait en mesure d’apporter. Rappelons également que l’athée doit lui aussi pouvoir argumenter sa position s’il ne veut pas tomber sous le coup de sa propre accusation d’irrationalité.
Pour conclure, l’analogie de la théière de Russell relève d’un raisonnement fallacieux et est donc inefficace. Contrairement aux croyants de la théière, le chrétien n’a jamais besoin d’écarter son esprit critique, il possède en effet plusieurs raisons, ses arguments lui permettant de défendre logiquement sa foi, mais en a-t-il assez ? Le même Russell affirmait en effet que s’il rencontrait Dieu, il lui dirait : « pas assez de preuves », vraiment ? Ce sera là le sujet de notre prochaine émission.
Nathanaël Delforge est passionné de théologie et de philosophie, il est également le créateur et l’animateur de Kurious, une chaîne YouTube d’apologétique chrétienne. Professeur de mathématiques dans le secondaire, il poursuit des études de théologie en parallèle. Il est marié et père d’une petite fille.