Hébreux 6.4-6 (cf. 10.26-31). Ce passage traite de l’apostasie et a fait l’objet de grandes discussions théologiques et pastorales dans l’Histoire.
La question centrale est de savoir si les vrais croyants peuvent perdre leur salut. Certains chrétiens répondent affirmativement, bien qu’il soit difficile de concilier leurs affirmations avec la « chaîne d’or » de Romains 8.29-30, ou les affirmations inconditionnelles de Jean 6.39-40 et 44, par exemple. C’est pourquoi des chrétiens ont suggéré que le passage considéré n’envisageait pas la perte de la vie éternelle, mais la disqualification d’un service utile. Contre cette idée, il faut reconnaître que le langage d’Hébreux 6 et 10 est beaucoup plus sévère et solennel. D’autres supposent que les avertissements sont purement hypothétiques, voire même bénéfiques, un moyen de grâce garantissant que les chrétiens n’abandonneront pas la foi. Si tel était le cas, il serait difficile de prendre au sérieux ces mises en garde, puisque nous serions assurés d’avance que l’ensemble des apostats est un ensemble vide. Cette conception des choses ferait de l’avertissement une pure hypothèse sans consistance, alors que l’auteur s’efforce visiblement de lui conférer un caractère extrêmement sérieux, car il croit à sa gravité. Pour d’autres encore, si le Nouveau Testament enseigne ailleurs la persévérance et la préservation des saints, ici il admet la possibilité de la chute dans l’apostasie ; nous devons donc vivre en acceptant cette tension, voire cette contradiction.
Mon sentiment personnel est que le raisonnement s’articule autour de deux aspects, avec une conséquence pastorale importante. Tout d’abord, ce n’est pas comme si l’auteur de la lettre aux Hébreux enseignait une chose, et Paul et Jean une autre. Paul exhorte les Corinthiens à s’examiner pour voir s’ils sont dans la foi (2 Corinthiens 13.5), ce qui ne l’empêche pas de forger la célèbre chaîne d’or. Jean avertit que les sarments du cep (Christ) peuvent être coupés (Jean 15.1-8), et insiste également sur le fait que Christ gardera tous ceux que le Père lui aura donnés. Il est donc vain de vouloir opposer Hébreux 6 à Jean, par exemple. Le contenu d’Hébreux 6 s’accorde parfaitement avec ce que disent Jean et Paul. Ensuite, il convient de se demander si les descriptions données (« éclairés », « goûté le don céleste », etc.) dans Hébreux 6 et 10 concernent des chrétiens authentiques. La réponse à cette question est liée à notre théologie de la conversion et à ce que signifie être un « chrétien véritable ». Le Nouveau Testament donne plusieurs exemples de gens qui ont été touchés par la grâce de Dieu à tel point qu’ils modifient leur façon de vivre et se joignent à l’Église visible, sans pour autant être au bénéfice de la grâce efficace qui leur permet de persévérer. Même l’épître aux Hébreux le souligne (3.6, 14). En tenant compte de cette définition étroite de ce qu’est un vrai chrétien, personne n’abandonne la foi. La question est alors : « Persévérerez-vous ? Votre expérience de la grâce est-elle tellement superficielle que vous pouvez vous éloigner de la croix ? »
Quelles sont les implications pastorales ? La méditation de ce passage suggère que la Bible donne une merveilleuse assurance à ceux qui sont faibles et craintifs, mais qu’elle demande à ceux qui sont trop sûrs d’eux-mêmes de s’assurer de l’authenticité de leur profession de foi.