La crainte et l’amour
De toute évidence, la crainte de Dieu n’est pas du tout ce à quoi nous pourrions nous attendre, avec la réaction allergique de notre culture au concept même de la crainte. Au lieu de ça, nous pouvons affirmer, comme Spurgeon, que c’est la « sorte de crainte dans laquelle se trouve la véritable essence de l’amour, et sans laquelle il n’y aurait pas de joie, même dans la présence de Dieu9 ». En fait, plus nous regardons de près, plus la crainte de Dieu et l’amour de Dieu apparaissent clairement. Parfois, la crainte de Dieu et l’amour de Dieu sont mis en parallèle, comme dans le Psaume 145 :
Il accomplit les désirs de ceux qui le craignent, il entend leur cri et il les sauve. L’Éternel garde tous ceux qui l’aiment, et il détruit tous les méchants (Ps 145.19,20).
De même, pensons à la façon dont Moïse utilise la crainte et l’amour comme des équivalents dans son résumé de la loi.
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Réjouissez-vous et tremblez
Michael Reeves
La crainte est l’une des émotions humaines les plus fortes, et souvent l’une des plus mal comprises par les chrétiens. Dans la Bible, cette émotion peut sembler tout aussi déconcertante : la crainte est-elle une bonne ou une mauvaise chose ? Et que signifie « craindre l’Éternel » ?
Dans Réjouissez-vous et tremblez, Michael Reeves lève le voile sur ce sujet en montrant que la crainte de l’Éternel n’est pas du tout une chose négative, mais plutôt un sentiment d’émerveillement intense devant Dieu, notre Créateur et Rédempteur.
Voici les commandements, les lois et les ordonnances que l’Éternel, votre Dieu, a commandé de vous enseigner, afin que vous les mettiez en pratique dans le pays dont vous allez prendre possession ; afin que tu craignes l’Éternel, ton Dieu […] Écoute, Israël ! L’Éternel, notre Dieu, est le seul Éternel. Tu aimeras l’Éternel, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force (De 6.1-5).
La raison pour laquelle il ne nous semble pas immédiatement évident que la crainte et l’amour sont si comparables est que souvent, nous comprenons mal l’amour. Aimer est un mot qui circule dans tous les domaines de nos vies : « J’aime » m’asseoir dans un fauteuil confortable pour lire un bon livre. « J’aime » ma famille. « J’aime » rigoler avec mes amis. Et donc, je peux allègrement supposer que « l’amour » pour Dieu est juste une autre expression de la même chose, qui ne signifie rien de plus qu’une prédilection ou qu’une préférence (peut-être vagues). Certains aiment le pouding, moi j’aime Dieu.
Cependant, mon amour pour une chose diffère de mon amour pour une autre, parce que l’amour change en fonction de son objet. En effet, la nature d’un amour est définie par son objet. Permettez- moi d’illustrer mon propos par trois affirmations qui sont vraies :
- J’aime mon chien et j’ai une réelle affection pour lui.
- J’aime ma femme et j’ai une réelle affection pour elle.
- J’aime mon Dieu et j’ai une réelle affection pour lui.
Chacune de ces affirmations est vraie, mais les lire l’une après l’autre comme ça devrait vous faire grimacer. Vous savez qu’il doit y avoir quelque chose de terriblement mauvais si ce que je cherche à exprimer est exactement identique à chaque fois. Vous espérez sincèrement qu’il y a une différence. Et il y en a une : ces trois amours diffèrent parce que les objets de ces amours diffèrent.
Le Dieu vivant est infiniment parfait et essentiellement et irrésistiblement merveilleux à tout point de vue : sa droiture, sa grâce, sa majesté, sa miséricorde, tout ce qu’il est. Et donc nous ne l’aimons pas comme nous le devons si notre amour n’est pas un amour tremblant, débordant et rempli de crainte. Dans un sens, la « crainte tremblante de Dieu » est une manière de parler de l’intensité de l’amour des saints pour tout ce que Dieu est, et du plaisir que nous prenons en lui. Le puritain William Bates l’a exprimé ainsi : « Il n’y a rien qui nous remplit davantage de crainte qu’un amour candide, et il n’y a rien de plus aimant qu’une crainte filiale10. » De même, Spurgeon a écrit :
Ce n’est pas parce que nous avons peur de lui, mais parce que nous nous réjouissons en lui que nous sommes dans la crainte devant lui […] « Ton cœur tressaillira et se dilatera », dit le prophète Ésaïe (És 60.5), et c’est ainsi que cela se passe en nous. Plus nous craignons le Seigneur, plus nous l’aimons, jusqu’à ce que cela devienne pour nous la vraie crainte de Dieu, que nous l’aimions de tout notre cœur, de tout notre esprit, de toute notre âme et de toute notre force.
La juste crainte de Dieu n’est donc pas le revers de la médaille de notre amour pour Dieu. Ce genre de pensée a été exprimé par le théologien catholique Hans Urs von Balthasar lorsqu’il a soutenu que « l’Évangile de la grâce n’est pas manifesté seulement dans l’amour (ce que c’est en Dieu), mais aussi dans la loi et les commandements, comme une révérence, une religio, une distance et une crainte du Seigneur12. » Mais les commandements de Moïse adressés à Israël pour résumer la loi disaient précisément que le peuple devait craindre et aimer le Seigneur leur Dieu. La crainte juste n’entre pas en conflit avec l’amour pour Dieu. Craindre de la bonne manière, c’est tomber face contre terre devant le Seigneur, mais c’est aussi s’incliner « vers le Seigneur13 ». Ce n’est pas comme si l’amour rapprochait et que la crainte distanciait. Cette crainte de Dieu n’est pas non plus une facette de notre réaction à Dieu. Ce n’est pas simplement que nous aimons Dieu à cause de sa grâce et que nous le craignons à cause de sa majesté. Ce serait une crainte de Dieu bancale. Nous l’aimons aussi dans sa sainteté et nous tremblons devant sa merveilleuse miséricorde. La vraie crainte de Dieu est le véritable amour pour Dieu défini ainsi : c’est la réponse adéquate à la révélation globale de Dieu lui-même dans toute sa grâce et sa gloire.
Évidemment, la crainte que le Christ lui-même ressent (És 11.1-3), et qu’il partage avec nous, est le contraire d’avoir peur de Dieu. La crainte pieuse de Dieu chasse la peur. Mais ce n’est pas non plus une estime tiède, sans passion pour Dieu. Maintes et maintes fois, nous avons vu dans les Écritures que les croyants qui ont une crainte pieuse tremblent devant Dieu. Submergés par sa bonté, sa majesté, sa sainteté, sa grâce et sa justice, par tout ce que Dieu est, les fidèles tremblent. Le thème biblique de la crainte de Dieu nous aide à voir quelle est la sorte d’amour envers Dieu qui convient. Cela nous montre que Dieu ne veut pas d’une performance sans passion ou d’une vague préférence pour lui. Rencontrer le Dieu vivant, saint et plein de grâce implique que nous ne pouvons pas nous contenir. Il n’est pas une vérité que nous pouvons connaître sans être affectés, ou un bien à recevoir d’une manière apathique. Lorsque nous les voyons clairement, la beauté éblouissante et la splendeur de Dieu doivent faire trembler nos cœurs.