Question
« J’essaye de formuler ma question :
Manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal fait mourir, a dit Dieu. Mais a-t-on une idée de ce que produit cette connaissance du bien et du mal en l’homme depuis que nos ancêtres en ont mangé ? Comment s’articule notre «prise d’indépendance» par rapport à Dieu par rapport à ce bien et ce mal ?
Ce n’est pas une question facile à écrire ! J’avais entendu aussi un enseignant dire que, depuis le fruit interdit, l’homme n’est, en réalité, plus libre. Mais cela semble contradictoire avec le fait qu’il peut (?) choisir entre le bien et le mal.
Serait-ce un peu philosophique tout ceci ? J’ai manqué de cours de philo dans mon Institut préféré !
Si vous arrivez à nouer la gerbe de tout ceci, bravo et merci ! Si vous voulez d’autres précisions sur ma question, n’hésitez pas, et merci en tous les cas ! »
Réponse
Cette question cherche à comprendre l’impact du fruit défendu sur notre nature et notre liberté. Elle nécessite de lire correctement le récit qui nous en est fait en Genèse 2 et 3, et de découvrir comment nous sommes moralement et spirituellement liés à cet acte historique d’Adam et Ève.
Ce que je compte démontrer ici, c’est que la liberté morale initiale d’Adam et Ève était réelle, mais que notre liberté actuelle est profondément affectée par la chute d’Adam en sorte qu’il est impossible de dire que nous avons « la liberté de choisir entre le bien et le mal ».
La liberté initiale
Genèse rapporte le tout premier commandement du Seigneur : « L’Éternel Dieu donna ce commandement à l’homme : Tu pourras manger de tous les arbres du jardin ; mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras » (Genèse 2.16-17).
Dieu édicte les lois qui définissent les frontières morales de sa création. Dieu commande de profiter de tout ce que le jardin propose. L’ordre de jouir de l’excellent monde créé se heurte à une seule limite, avec la mort pour conséquence.
Le fruit ne possédait aucun « poison » (Genèse 1.31). Il est probable que le fruit était simplement révélateur de ce que l’homme choisirait : confiance obéissante ou autonomie. C’est ce que reflète la traduction du Semeur : « Il y plaça aussi l’arbre du choix entre le bien et le mal. »
Adam et Ève étaient-ils libres d’obéir ? Pouvaient-ils réellement choisir de ne pas manger de ce fruit ?
La liberté initiale d’un point de vue humain
Si l’on définit ici la liberté comme un choix également possible entre deux options (prendre ou non du fruit), Adam et Ève étaient libres de choisir. Chaque instant dans l’obéissance a reflété cette confiance que les voies de Dieu étaient préférables. Il y a donc eu, pour quelque temps du moins, le libre choix de faire le bien. Il faut attendre l’intrusion du serpent pour introduire une autre option que celle de la confiance dans ce que Dieu dit.
La liberté initiale d’un point de vue divin
L’expérience d’une véritable liberté morale se confronte aussi à la souveraineté d’un Dieu qui accomplit tout selon un dessein, une volonté (Éphésiens 1.9-10). La Bible évoque le règne absolu et sans obstacle du Seigneur : « l’Éternel a établi son trône dans les cieux, et son règne domine sur toutes choses » (Psaume 103.19) . Son « trône est établi dès les temps anciens » (Psaume 93.2), et « subsiste à toujours et à perpétuité » (Psaume 45.7) .
Si Dieu a choisi ses élus avant que le monde existe (Éphésiens 1.4), c’est qu’Il avait décrété ou permis¹ tous les événements qui allaient réellement avoir lieu, de la création à la rédemption.
Si Dieu a décrété qu’il y aurait bien une chute et qu’il y aurait bien une rédemption, Adam et Ève étaient-ils réellement libres ?
Deux notions compatibles
Aucune logique humaine ne saura distinguer ces aspects apparemment contradictoires, mais qu’il faut pourtant tenir pour compatibles :
- Dieu est entièrement souverain et Il exerce une souveraineté parfaite selon les qualités qui lui sont propres.
- L’homme est pleinement libre et responsable de ses actes qu’il réalise selon sa nature propre.
Dieu et les hommes agissent ainsi selon les attributs de leur nature…
On retrouve cette compatibilité dans de nombreux passages de l’Écriture.² Le plus emblématique d’entre eux concerne la mort du Christ : ce sont bien les nations, Juifs et païens, Hérode et Ponce Pilate, qui se sont liés contre Christ. Ils l’ont fait à cause de leur nature jalouse et méchante. Ce faisant, ils ont accompli la volonté souveraine de Dieu, accomplissant « tout ce que [sa] main et [son] conseil avaient déterminé d’avance » (Actes 4.27-28).
La souveraineté de Dieu n’empêche nullement cette libre expression d’Adam et Ève. Ils ont choisi quelque temps d’avoir confiance en Dieu et choisi librement de suivre la voix d’un tiers. Sans percevoir qu’ils accomplissaient en cela un projet fixé de toute éternité.
La liberté actuelle
Nous ne sommes plus dans une situation analogue. Notre nature propre a été violemment affectée par le péché d’Adam. Paul écrit : « Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort »(Romains 5.12). Cette mort n’est pas seulement un jugement qui survient à la fin d’une vie, c’est une caractérisation de l’humanité. Nous sommes « né(s) dans la faute… conçu(s) dans le péché » (Psaume 51.7).
En fait, l’être humain pèche parce qu’il est pécheur dans son être. Observez la manière dont Paul décrit l’être et l’action de l’homme :
1 Pour vous, vous étiez morts par vos fautes et par vos péchés 2 dans lesquels vous marchiez autrefois selon le cours de ce monde, selon le prince de la puissance de l’air, cet esprit qui agit maintenant dans les fils de la rébellion. 3 Nous tous aussi, nous étions de leur nombre et nous nous conduisions autrefois selon nos convoitises charnelles, nous exécutions les volontés de notre chair et de nos pensées, et nous étions par nature des enfants de colère comme les autres (Éphésiens 2.1-3)
18 Ils ont la pensée obscurcie, ils sont étrangers à la vie de Dieu, à cause de l’ignorance qui est en eux et de l’endurcissement de leur cœur. 19 Ils ont perdu tout sens moral, ils se sont livrés au dérèglement, pour commettre toute espèce d’impureté jointe à la cupidité (Éphésiens 4.18-19)
Ainsi, l’humain a perdu le repère du bien, du vrai. Ses émotions, son intellect, ses affections son identité, tout ceci est affecté.
Est-ce que l’homme est libre ? Si la liberté est définie comme la possibilité d’agir selon sa nature propre, alors il est surtout libre de pécher ! Il est en fait prisonnier de sa nature pécheresse. Cela ne veut pas dire qu’il ne fait que le mal – Jésus reconnaît à la fois notre nature déchue, et le bien que nous sommes tout de même capables de réaliser (Luc 11.13).
Nous sommes donc incapables de réaliser pleinement le bien moral que nous aimerions réaliser. Seule une régénération intérieure (Jérémie 31.33, Ézéchiel 36.26) est susceptible de nous faire passer à une vie nouvelle (Jean 3.1-5, Romains 6.4), renouvelant ainsi notre volonté (Philippiens 2.13). Cette transformation est substantielle quoi qu’incomplète jusqu’à ce que le Seigneur vienne nous prendre pour nous transformer à son image (1 Jean 3.2).
1_ On peut préférer le terme « permettre ». De toute façon, du ciel, décréter et permettre engendre strictement les mêmes effets car le Seigneur de l’Histoire en reste l’ordonnateur.
2_ A titre d’exemple : Dieu envoie l’Assyrien, « bâton de ma colère… instrument de ma fureur » (Ésaïe 10.5), parce que la justice de Dieu exigeait le jugement de son peuple. Pour autant, l’Assyrien n’a pas réalisé cette sinistre besogne avec un sens du service du Seigneur. En sorte que le passage se termine sur cette promesse : « Je punirai le roi d’Assyrie pour le fruit de son cœur orgueilleux, Et pour l’arrogance de ses regards hautains » (Ésaïe 10.12)