Cet article est la suite de : Pourquoi chantons-nous à l’Église ?
Notre pratique est-elle biblique ?
« Ma compréhension du christianisme a été principalement façonnée par les chants que j’entonnais[i] » remarque Vaughan Roberts. En effet, on dit que l’on se souvient plus facilement des chants que de la prédication ! La musique est puissante pour influencer notre théologie et notre vécu pour le bien ou pour le mal…
Dans la première partie de cet article nous nous sommes posé la question : « pourquoi chantons-nous à l’église ? » Grâce à notre étude des textes du Nouveau Testament nous avons conclu que le chant vise à promouvoir les mêmes trois buts inter-reliés que toute autre activité du rassemblement : des chants qui exposent la Parole nous permettent de nous édifier les uns les autres par cette Parole et de répondre à cette Parole (principalement par l’adoration). Vu la puissance de la musique pour influencer notre théologique et notre vécu, nous devons impérativement nous demander si notre pratique est conforme à ces principes bibliques. Quelles pratiques adopter et quelles erreurs éviter ?
1. Deux erreurs à éviter
a. Une idée erronée : le chant et la présence de Dieu
Qu’en est‐il de l’idée largement répandue dans le milieu évangélique selon laquelle, comme l’écrit Alfred Kuen, « [l]a musique peut nous rapprocher de Dieu…[ii] » ? Nous sommes conscients que nous marchons sur un terrain sensible mais nous devons être prêts à refaçonner nos idées selon les Écritures. Le Nouveau Testament affirme que l’accès à la présence de Dieu a été ouvert une fois pour toutes par le sang de Jésus (Hé 10.19‐22) et que sa présence habite le cœur de tout chrétien dès sa conversion (1 Co 6.19). Le bâtiment de l’Église n’est donc pas « la maison du Seigneur » où on le rencontre. De plus, demander à Dieu de redescendre sur nous chaque dimanche et croire que nos belles mélodies ou la disposition de nos cœurs peuvent « convoquer la présence et la puissance de Dieu »[iii] suggèrerait que l’œuvre de Jésus était insuffisante ou incomplète et nous priverait de la joie de nous approcher à Dieu avec confiance à tout moment. Employons plutôt nos chants pour nous rappeler et célébrer la présence de celui qui est avec nous grâce à son œuvre accomplie !
b. Une idée à moitié-erronée : le chant et l’adoration
Les chants sont-ils notre « temps de louange » ? Cette équivalence est prise pour acquise dans la plupart des Églises. Nous avons vu que l’adoration est en effet l’un des buts du chant, mais nous craignons que ce langage révèle souvent un malentendu sérieux. Des phrases telles que « apportons à Dieu une offrande d’adoration agréable » (un langage qui n’est jamais employé dans le Nouveau Testament en lien avec le chant[iv]) rapprochent trop notre pratique du culte de l’Ancien Testament. Pensez-vous pouvoir susciter du fond de vous-mêmes une attitude d’adoration qui lui sera agréable ? La vraie adoration ne consiste pas principalement en ce que moi j’apporte à Dieu. Les chants qui glorifient Dieu avant tout sont plutôt ceux qui reconnaissent que nous sommes des adorateurs qui ont raté la cible (Rm 1.25), qui ont besoin du seul adorateur parfait qui a offert sa vie en sacrifice parfait (Hé 8.3) pour payer le prix pour avoir détourné notre adoration du seul vrai Dieu. C’est vrai que le Nouveau Testament emploie le langage du sacrifice pour décrire la vie chrétienne (p. ex. Rm 12.1), mais il s’agit toujours d’une réponse à la grâce de Dieu et non d’une offrande méritoire pour gagner sa faveur.
L’adoration ne se limite pas au chant, mais signifie offrir toute notre vie à Dieu
De plus, pour faire référence une deuxième fois à Romains 12.1, l’adoration ne se limite pas au chant, mais signifie offrir toute notre vie à Dieu à cause de ce que Jésus a fait. Alors, « [d]ire “Je vais à l’Église pour adorer Dieu” est aussi insensé que dire “Je vais au lit pour respirer[v].” » La conception populaire du « temps de louange » nous met vraiment en danger de renfermer l’adoration de notre grand Dieu dans quelques minutes de musique le dimanche matin. Nous obscurcissons en même temps le fait que le chant vise deux autres buts : l’exposition de la Parole et l’édification.
2. Notre choix de chants[vi]
a. Des paroles qui incarnent les trois buts de Colossiens 3.16…
En sélectionnant des chants, gardons en tête que les paroles d’un chant sont d’une importance primordiale, sinon comment peut-il exposer la Parole, et sur quelle base sera-t-on édifié ou poussé à adorer Dieu ?
Au sens le plus basique, les paroles devraient être bibliquement vraies. Nous trouvons parfois des idées erronées même dans les chants les plus populaires. Par exemple, peut-on vraiment dire que « pour moi tu as tout créé », selon le chant Infiniment Grand[vii], alors que la Bible affirme que c’est pour Christ que tout a été créé (Col 1.16) ? De plus, certains chants qui sont bibliquement corrects proviennent néanmoins d’un ministère qui enseigne des idées fausses (comme, notamment, Bethel Music). Bien que les chants eux-mêmes ne soient pas forcément faux, nous suggérons que le fait de chanter leurs chants risque de faire croire aux gens que ce ministère est fiable[viii].
Si tous nos chants restent limités dans leur portée ou manquent de substance biblique nous ne connaîtrons que très peu de propositions centrales de l’Évangile
Mais un nombre considérable de nos chants n’accomplissent pas le but d’exposer la Parole « dans toute sa richesse », bien qu’ils n’expriment pas des idées fausses. Par exemple, J’entre dans tes portes[ix], bien que citant le Psaume 100.4, prend le verset hors contexte et risque de faire penser que le bâtiment de l’Église est l’équivalent d’un temple où habite Dieu. Beaucoup de chants semblent centrés sur Dieu parce qu’on chante « je te loue Seigneur », mais mettent l’accent sur ce que moi, je fais (comme Entends mon cœur[x]). Il est juste d’exprimer un désir d’adorer Dieu mais d’où vient l’impulsion de l’adorer si ce n’est de ce que lui a fait pour nous ? Ou si tous nos chants restent limités dans leur portée (comme Louange à l’Agneau[xi]) ou manquent de substance biblique (comme Je veux chanter un chant d’amour[xii]) nous ne connaîtrons que très peu de propositions centrales de l’Évangile. Des chants simples ou personnels peuvent avoir leur place, mais nous devrions privilégier des chants qui respectent les principes de Colossiens 3.16, qui nous « instruisent » et qui mettent en valeur l’Évangile « dans toute sa richesse », comme, par exemple, À Dieu soit la gloire[xiii], Tu es venu jusqu’à nous[xiv], En Jésus seul[xv] et Notre Dieu[xvi] (pour prendre quatre exemples de styles qui font contraste).
b. De la musique qui soutient les paroles…
La musique peut susciter une réponse émotionnelle appropriée aux paroles, ou peut au contraire miner leur sens ! Nous voulons donc privilégier des chants où la musique reflète les paroles. Si les paroles sont plutôt faibles mais la musique est puissante, le chant risque de ne faire rien que de manipuler nos émotions.
Pour faciliter la participation de l’assemblée, le membre moyen doit pouvoir chanter la mélodie. Par exemple, des rythmes très syncopés ou une tonalité très haute peuvent être difficiles. Quant au style de la musique, nous savons tous que cela peut créer des divisions très importantes dans une Église ! Puisque l’unité de l’Église est d’une importance capitale, la règle d’or est que le style ne doit pas être une pierre d’achoppement. Il n’existe pas de style « saint » (même les vieux cantiques étaient à la base souvent des mélodies populaires !) et emprunter les styles du monde peut faciliter la participation, surtout s’il y a des visiteurs non-chrétiens présents (pourvu qu’on n’imite pas les pratiques immorales de notre culture qui sont parfois associées à un style de musique). Varier le style est aussi à conseiller pour refléter la richesse de l’Évangile et la variété des goûts. Pourtant, nous devons être prêts à laisser de côté nos préférences pour le bien de l’église (cf. Rm 15.2). Par exemple, la mélodie très syncopée de Béni soit ton nom[xvii] risque d’être difficile pour des personnes âgées, tandis qu’une génération plus jeune aura probablement du mal à s’identifier avec le style démodé de Ô grâce merveilleuse[xviii].
3. Notre manière de chanter
Si vous êtes chanteur ou musicien dans l’église, vous êtes des serviteurs de la Parole. Votre tâche est donc de faire en sorte que la musique soutienne les paroles, en créant une ambiance qui aide à réfléchir sur le contenu. Pour faciliter la participation de l’assemblée, ne soyez pas une distraction pour les participants par un manque de préparation ou au contraire par un style virtuose. Travaillez les introductions et les transitions afin que tout le monde puisse suivre facilement, et jouez à un tempo et à un volume approprié. Les chanteurs « seront des modèles de ce que c’est de “chanter les uns aux autres” ‐ avec le contact visuel, la chaleur, la joie, et la conviction[xix]. » Et attention à l’orgueil : nous sommes là pour servir l’assemblée et non pas pour être vus.
Nous voulons que chacun parte en proclamant : C’est l’Évangile de Jésus‐Christ qui compte
Si vous êtes simplement un membre de l’assemblée, vous avez aussi un rôle à jouer. Nous connaissons une dame qui a près de 90 ans. Sa mémoire ne fonctionne plus très bien et elle a parfois du mal à entendre le prédicateur. Mais lorsqu’elle chante (et qu’est-ce qu’elle aime chanter !) elle incarne les trois principes de Colossiens 3.16. Les paroles l’aident à se souvenir de l’Évangile, elle encourage les autres par sa joie évidente, et elle se laisse émerveiller devant le Dieu de la grâce. Est-ce que nous incarnons nous aussi ces trois principes ? Au final, comme le fait remarquer Bob Kauflin à propos du chant communautaire, « nous voulons que chacun parte en proclamant : C’est l’Évangile de Jésus‐Christ qui compte[xx]. »
BIBLIOGRAPHIE
CARSON, Donald A., sous dir., Worship by the Book, Grand Rapids, Zondervan, 2002, 256 p.
DEVER, Mark, et ALEXANDER, Paul, L’Église intentionnelle, tr. de l’anglais (The Deliberate Church, 2005) par Lori VARAK, Lyon, Clé, 2007, 254 p.
GETTY, Keith & Kristyn, Chantons ! : Comment transformer notre vie, notre famille et notre Église par la puissance de l’adoration, trad. de l’anglais (Sing!: How Worship Transforms Your Life, Family and Church, 2017) par Loanne PROCOPIO, Trois-Rivières [Québec], Cruciforme, 2018, 172 p.
KAUFLIN, Bob, Worship Matters, Wheaton, Crossway, 2008, 304 p.
KENDRICK, Graham, Worship, Eastbourne, Kingsway, 1984, 214 p.
KUEN, Alfred, Renouveler le culte, St-Légier, Emmaüs, 1994, 248 p.
PERCIVAL, Philip, Then Sings My Soul, Rediscovering God’s Purposes for Singing in Church, s. l., Matthias Media, 2015, 156 p.
PETERSON, David, En Esprit et en vérité, Théologie biblique de l’adoration, tr. de l’anglais (Engaging with God, 1992) par Pierre COLEMAN et Christophe PAYA, Charols, Excelsis, 2005, 341 p.
ROBERTS, Vaughan, True Worship, Milton Keynes, Authentic Media, 2002, 106 p.
RÉFÉRENCES
[i] ROBERTS, op. cit., p. 80 (notre traduction).
[ii] Alfred KUEN, Renouveler le culte, St-Légier, Emmaüs, 1994, p. 177.
[iii] Citation provenant d’un site web inconnu cité dans Bob KAUFLIN, Worship Matters, Wheaton, Crossway, 2008, p. 137 (notre traduction).
[iv] A l’exception peut-être de Hébreux 13.15 : « Par Christ, offrons [donc] sans cesse à Dieu un sacrifice de louange, c’est-à-dire le fruit de lèvres qui reconnaissent publiquement lui appartenir ». Mais ce n’est pas clair qu’il s’agit du chant, et en tout cas, voir nos remarques suivantes sur l’idée du « sacrifice » dans la vie chrétienne.
[v] ROBERTS, op. cit., p. 26 (notre traduction).
[vi] La plupart des chants mentionnés dans cette section sont disponibles dans les recueils J’aime l’Éternel de Jeunesse en Mission (JEM).
[vii] Sebastien CORN, Infiniment grand (JEM 956), Sebastien Corn Productions ENV Media, 2006.
[viii] Pour une discussion bien réfléchie sur ce sujet délicat, voir Todd WAGNER, « Devrions-nous utiliser les chants de Béthel dans notre adoration ? 4 questions pour un diagnostic », Evangile 21, [En ligne] https://evangile21.thegospelcoalition.org/article/devrions-utiliser-chants-de-bethel-adoration-4-questions-diagnostic/ (consulté le 18 février 2020).
[ix] Mady RAMOS, J’entre dans tes portes (JEM 428), Mady Ramos, s. d.
[x] Geoff MOORE, Entends mon cœur (JEM 570), Mercy Publishing / Universal / LTC, 1977.
[xi] Auteur inconnu, Louange à l’Agneau (JEM450), arrangement Jeunesse en Mission, s. d.
[xii] Craig MUSSEAU, Je veux chanter un chant d’amour (JEM 626), Mercy Publishing / Universal / LTC, 1991.
[xiii] William‐Howard DOANE, À Dieu soit la gloire (JEM 070), Editions Je sème, s. d.
[xiv] Graham KENDRICK, Tu es venu jusqu’à nous (JEM 553), Make Way Music / Kingsway ThankYou Music / LTC, 1983.
[xv] Stuart TOWNEND et Keith GETTY, En Jésus seul (JEM 1004), Kingsway’s Thankyou Music / LTC, 2001.
[xvi] Jonathan BAIRD, Meghan BAIRD, Ryan BAIRD et Stephen ALTROGGE, Notre Dieu, trad. de l’anglais (Behold our God) par Johnny et Naomi PILGREM, Sovereign Grace Worship (ASCAP) / Sovereign Grace Praise, 2011. (voir https://ecrituremusique.com/notre-dieu)
[xvii] Matt et Beth REDMAN, Béni soit ton nom (JEM 732), Kingsway Communications Ltd / LTC, 2002.
[xviii] Haldor LILLENAS, O grâce merveilleuse (JEM 076), Hope Publishing / CopyCare France / LTC, s. d.
[xix] PERCIVAL, op. cit., p. 120 (notre traduction).
[xx] KAUFLIN, op. cit., p. 130 (notre traduction).