Il ne fait pas bon être un pervers narcissique. Vous me direz… normal ! Pourquoi faudrait-il qu’il en soit autrement ? Ce type de personnalités ne détruisent-elles pas les autres qui, à cause d’influences manipulatrices, voient leur vie s’effacer ? Y a-t-il une intégration possible des « pervers narcissiques » dans l’Église, tout en reconnaissant leur comportement destructeur et manipulateur, ainsi qu’en œuvrant pour la restauration de ceux qu’ils ont fait souffrir ?
Entendons-nous bien…
D’abord, comprenons-nous bien. Je ne cherche pas à minimiser la nature destructrice d’un tel comportement, notamment lorsque ce dernier se manifeste sous couvert de « service ». Il est facile de se laisser influencer par ce type de personnalités qui se présentent souvent de manière très charismatique (au sens de leur caractère), ont une aisance de parole et veulent sans cesse « porter conseil ». Cela se traduit malheureusement par des abus psychologiques et spirituels par lesquels les travers de ces comportements deviennent évidents : manque d’empathie, culpabilisation de ceux qu’ils accompagnent, absence de remise en question, instrumentalisation des émotions, etc.
L’un des caractères principaux est bien la manipulation, et une manipulation ne peut qu’être destructrice pour celui qui en est « victime ». Soyons clairs, la personnalité narcissique ne cherche pas toujours consciemment à vous détruire, bien que par ce recentrage absolu sur elle-même, elle phagocyte ce qui se trouve autour d’elle… à commencer par ceux qui sont les plus susceptibles de tomber sous son contrôle. Les effets peuvent être radicaux : troubles de la personnalité, destruction de la famille, atteinte à la vie professionnelle, etc. Il ne s’agit pas simplement d’une attitude qui ne causerait que quelques rares irritations. Une fois encore, il ne faut pas minimiser les dommages causés par ces personnalités.
Se protéger ou vivre différenciés
La réaction la plus logique et naturelle pour éviter les destructions liées à ces manipulations est de se protéger : la restauration de la « victime » ne pourrait se faire qu’à ce prix. Cette réaction est bien compréhensible et sera parfois nécessaire. Si ces comportements sont, comme certains le disent, des formes de « prédation », il est possible que, pour certaines personnes, la seule option soit d’éviter les attitudes et personnalités prédatrices. D’ailleurs, l’Église est un corps dans lequel les membres prennent soin les uns des autres, et sont donc aussi appelés à se protéger les uns les autres. Il y a une œuvre d’édification mutuelle, elle aussi pouvant inclure la protection des plus fragiles.
La protection est la réaction la plus naturelle. Nous repousserons le « pervers narcissique », élèverons des protections entre lui et nous et ferons tout pour l’éviter. Si c’est une réaction naturelle, nous pouvons nous demander si l’Évangile, qui nous libère et qui nous unit les uns aux autres, n’ouvre pas une autre voie – pas forcément opposée, peut-être complémentaire. A côté de la protection, il y a aussi l’affirmation de la personnalité que nourrit l’Esprit-Saint. L’Esprit, en commençant une œuvre de restauration de nos personnes, nous fait non seulement vivre en Christ mais dévoile également notre propre personnalité. Faisant cela, petit à petit restaurés à l’image de Christ, nous devenons pleinement conscients de qui nous sommes par distinction avec les autres.
L’Esprit-Saint est ainsi le garant de notre intégrité personnelle. A travers son œuvre nous nous découvrons comme nous sommes, avec nos caractères, avec nos fautes, avec nos faiblesses. Avec cette vue humble et honnête que Dieu renouvelle, nous pouvons savoir qui nous sommes, et en même temps, nous distinguer des autres – y compris de potentiels manipulateurs. Cela suffit-il à être « protégé » ? Probablement pas. Le soutien fraternel et la présence de la communauté sont pleinement nécessaires et exigent une organisation et une discipline de l’Église, particulièrement sensible à ces manipulations.
L’Église est une communauté de pécheurs-rachetés, qui vont être transformés par l’Esprit. C’est aussi une communauté de restauration. Et enfin c’est une communauté d’accueil, un accueil plus radical que celui qui pourrait être trouvé dans d’autres communautés humaines. Aussi choquant que ce soit, l’Église est la communauté vivante dans laquelle cohabitent les « pervers narcissiques » et ceux qui ont été leurs cibles.
L’Église « safe space »
Disons-le une fois encore : la protection est bien naturelle, et elle me semble parfois être l’une des choses que nous désirons le plus au sein de la communauté du Ressuscité. J’entends régulièrement parler de l’Église comme un « safe place », un espace « sûr » où nous pouvons être nous-mêmes. Cet espace de sécurité se fait avec des personnes en qui nous avons confiance, dans un espace où la parole peut librement circuler. S’il ne s’agissait que de cela, rien ne distinguerait ce type d’espace d’un groupe de maison ordinaire. Mais la confiance en laquelle le « safe space » place son espoir est souvent conditionnée par sa nature restreinte et fermée : Il ne peut pas y avoir de « safe space » si nous ne savons pas qui va être présent. Après tout … pouvons-nous faire confiance à ceux que nous ne connaissons pas ? Qui sait s’ils ne vont pas nous manipuler, nous blesser, et nous détruire ?
Cet espace peut aussi malheureusement se faire au prix de l’ouverture à ceux qui ne se sont pas encore montrés dignes de confiance. Bien que je comprenne les raisons qui puissent motiver cet espoir mis en l’Église « safe space », je crois que l’Écriture présente un Corps qui n’exige pas en priorité que ses membres aient fait leurs preuves, mais qui les intègre avec tous leurs défauts, y compris leurs perversions – car je crois aussi que nous avons tous de telles tendances. Le Corps que nous formons est bien différent d’un simple « safe space » : il est un lieu de confiance, ouvert, au cœur duquel l’amour et le soin sont vitaux. C’est un paradoxe, une impossibilité humaine initiée et maintenue par la grâce et le pardon. C’est ainsi que l’Église pourra être un rassemblement humain différent et en cela diriger les regards et les cœurs vers son nouveau Roi.