1. Est-ce le temps de jeûner ?
Est-ce le temps de jeûner ? Jésus a répondu à cette question en disant que ses disciples jeûneraient quand l’époux leur serait enlevé (Mt 9.15). Le jeûne est la reconnaissance d’une absence, d’un manque que rien d’autre ne peut combler. « Comme une biche soupire après des courants d’eau, ainsi mon âme soupire après toi, ô Dieu ! Mon âme a soif du Dieu vivant : Quand irai-je et paraîtrai-je devant ta face ? » (Ps 42.2-3)
Le jeûne, comme la prière, manifeste une faim et une soif de Dieu qui devraient habiter chaque chrétien. « Que ton règne vienne ! » (Mt 6.10). « Viens, Seigneur Jésus ! » (Ap 22.20)
2. Attention aux bonnes choses !
Le jeûne, comme la repentance, consiste à dégager la place, à libérer l’espace qui revient à Dieu en vue de mieux répondre à sa volonté.
Dans cette recherche de la présence et de la volonté du Seigneur (de son Règne),
la repentance consiste à délaisser définitivement une chose mauvaise qui irrite le Seigneur, qui m’empêche de m’approcher de lui et de mieux le servir (Mt 3.2 ; 4.17 ; Ac 2.38 ; 26.20),
tandis que le jeûne consiste à délaisser pour un temps limité une chose bonne, légitime, susceptible elle aussi de m’empêcher de m’approcher encore du Seigneur, de mieux l’écouter, de mieux le servir.
Ceci revient à reconnaître que des choses bonnes – et pas seulement des choses mauvaises – peuvent constituer des osbtacles à une bonne écoute et une bonne réponse à la volonté de Dieu. L’objectif du jeûne est de rétablir l’ordre des priorités dans la perspective du Royaume de Dieu, comme le montrent les trois premières demandes du Notre Père. Jeûner, c’est délaisser un bien pour un meilleur.
3. Trois exemples
Le jeûne de travail.
Le sabbat, qui fait l’objet du 4ème commandement (Ex 20.8), est, selon la définition donnée ci-dessus, un jeûne de travail. Le travail est une bonne chose (Dieu a travaillé 6 jours), mais aussi bon soit-il, il risque d’accaparer l’attention et le coeur de l’homme et de la femme avec le risque de mettre en oubli l’amour et la fidélité de Dieu. « C’est pourquoi l’Eternel a béni le jour du repos et l’a sanctifié » (Ex 20.8, 11).
Le jeûne de pain.
Le premier enseignement que nous ayons de Jésus, après qu’il eût jeûné pendant 40 jours, est celui-ci : « L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4.4). Jésus ne dit pas que le pain est mauvais. Lui-même a eu faim (4.2). Lui-même a nourri la foule de pain (14.19). Mais il avertit contre le risque de se focaliser sur cette nourriture (Mt 6.31-34) et d’en être rassasié au point d’oublier que la Parole de Dieu est également une nourriture vitale pour l’homme qui la reçoit.
Le jeûne conjugal.
C’est une autre forme de jeûne recommandé par l’apôtre Paul dans sa première lettre aux chrétiens de Corinthe. Les relations conjugales sont bonnes dans le cadre d’un couple fidèle. Cependant, là aussi un risque existe : que cette relation intime fasse passer au second plan une autre relation intime, celle que chacun doit entretenir avec son Père céleste, dans l’écoute de sa Parole et la prière. Le mot jeûne n’est pas employé dans le texte, mais il s’agit bien de cela : s’abstenir pour un temps de quelque chose de bon pour quelque chose de meilleur. « Ne vous privez pas l’un de l’autre, si ce n’est d’un commun accord, pour un temps, pour vous attacher à la prière. Puis, retournez ensemble » (1 Co 7.5).
4. Quand devrait-on jeûner ?
Il me semble qu’il n’y a pas de règle. On pourrait dire : chaque fois que cela s’avère nécessaire ! Chaque fois qu’il paraît important de retrouver une bonne écoute de Dieu. Par exemple, quand la prière « ordinaire » ne semble plus en mesure de rattraper le terrain perdu de la communion avec le Seigneur ; quand mon oreille ne parvient plus à être attentive à la voix du Berger (Jn 10.3, 27) ; quand trop de richesses (diverses) ont envahi l’espace et se sont intercalées entre Dieu et moi (Mt 7.19-21 ; 13.22 ; Mc 10.24 ; Col 3.1). Chaque fois que ma relation avec Dieu doit être éclaircie, libérée, resserrée.
Cela peut s’avérer particulièrement important :
- dans une période d’égarement, de trouble, d’humiliation. « Sonde-moi ô Dieu, et connais mon coeur, éprouve-moi et connais mes pensées ; regarde si je suis sur une mauvaise voie… » (Ps 139.23-24 ; Juges 20.26-28 ; 2 Sam 12.16 ; Est. 4.3 ; Néh 1.4 ; Ps 137.3-4 ; Jc 5.13) ;
- dans la perspective d’une période difficile, d’un danger à venir, d’un combat à mener (2 Ch 20.3 ; Esd 8.21-23 ; Mt 17.21) ;
- avant une décision importante ou un engagement nouveau, en vue d’une consécration plus grande, un service plus pur( Mt 4.1-2 ; Ac 13.2-3).
« En temps d’âpres persécutions ou de guerre, ou de peste ou famine, ou grande affliction : item, quand on voudra élire des Ministres de la Parole, et quand il sera question d’entrer en Synode, on pourra décréter prières publiques et extraordinaires, avec jeûnes » dit la Discipline des Eglises réformées de France (1559).
5. Qui peut jeûner ?
Le paragraphe précédent suggère la réponse : toute personne qui ressent le besoin de (re)donner à Dieu la première place, d’ordonner ses affections, ses priorités, de mettre ses pensées en conformité avec la pensée de Dieu (Jn 4.32-34) ; toute personne qui comprend que la conversion n’est pas le but, mais le début d’une vie de disciple. Autant dire que tout chrétien peut se sentir appelé à jeûner, régulièrement ou pas.
Il est intéressant de remarquer que, comme la prière, le jeûne peut être une démarche toute personnelle (2 Sm 12.16 ; Mt 6.6, 16) ou une démarche communautaire qui suppose que l’on s’accorde pour un objectif commun (Jonas 3.5-9 ; 2 Ch 20.3 ; Mt 18.19 ; 1 Jn 5.14-15).
6. Attention à la motivation !
Tout comme la prière (Pr 28.9 ; Jc 1.6), le jeûne n’est pas un moyen infaillible d’obtenir ce que l’on veut. En aucun cas il ne peut être comparé à une grève de la faim, à un moyen de faire pression… C’est même le contraire de cela (Ps 119.67 ; 139.23-24). La motivation du jeûne, c’est la faim et la soif de faire la volonté de Dieu, et pour cela d’entendre ce qu’Il veut nous dire (Ps 37.4 ; 119.72), au risque d’être bousculé dans nos projets, notre confort, notre vision personnelle des choses. « Que ta volonté soit faite, et non la mienne ! » (Lc 11.2 ; 22.42).
Jeûner, c’est laisser un bien pour un meilleur.
Nous avons dit que jeûner, c’est laisser un bien pour un meilleur. Mais cela pourrait aussi être vécu dans un but égoïste, intéressé. L’objectif juste est plutôt la consécration, l’amour, la maturité dans la perspective du Royaume de Dieu.
Donner pour se faire remarquer, prier pour se faire voir, jeûner pour paraître plus pieux (Mt 6.1-6, 16-18), c’est le contraire de la motivation requise. Le jeûne est l’expression d’un abandon plus grand entre les mains de Dieu pour discerner sa volonté et le servir d’une manière convenable (Ro 12.1-2 ; Ph 3.7-11). Dans ce sens, jeûner c’est mourir à ce qui me retient en arrière, c’est m’affranchir pour mieux servir. Le jeûne ne me rend pas plus fort mais plus faible, plus conscient de mes faiblesses et donc plus dépendant de la force de Dieu (Mt 4.1-11). Le jeûne ne me rend pas plus joyeux mais plus triste, plus sensible au péché, à la misère. Plus sensible à l’Esprit de consolation et de joie, aussi !
7. Comment jeûner ?
Pour une personne qui n’a jamais ou que très occasionnellement jeûné, il peut être bien de commencer par s’abstenir d’un repas, en consacrant le temps libéré au recueillement et à la prière. C’est déjà une expérience qui peut s’avérer instructive. On peut facilement jeûner pendant deux repas ou une journée entière. C’est déjà une bonne étape. Par exemple en s’abstenant du repas du soir et en reprenant la nourriture le soir suivant. On peut jeûner pendant une période plus longue, mais avec une bonne détermination et quelques précautions.
Le jeûne de nourriture est le plus fréquemment mentionné. Nous nous souvenons que c’est en mangeant qu’Adam et Eve se sont égarés, qu’Esaü perdit son droit d’aînesse (Gn 25.27-34 ; Hé 12.16). C’est pour de la nourriture que les Israëlites murmurèrent dans le désert et désirèrent retourner en Egypte (Nb 11.5 ; Lc 21.34-36 ; Ph 3.19. Comparer avec Jn 4.32-34). Prenons conscience de la dépendance affective forte que nous avons souvent à l’égard de la nourriture. « Ils ont pour dieu leur ventre… » (Ph 3.19). La Bible parle des excès du manger et du boire comme d’une manifestation caractéristique d’un comportement charnel, insensible à l’Esprit de Dieu, au même titre que les querelles ou l’idolâtrie (Ga 5.19-21).
8. Jeûner de quoi ?
Nous avons mentionné le jeûne de travail (chaque semaine, pendant le temps d’une maladie…), destiné à rappeler que tout ne dépend pas de notre activité (Ps 127.1-2 ; Ac 14.16-17), à nous replacer dans la dépendance de Dieu (Dt 5.12-15 ; Mt 6.25-34). C’est lui qui fait croître.
Nous avons évoqué le jeûne de relations sexuelles dans le couple, décidé d’un commun accord, pour un temps, afin que Dieu demeure le premier dans nos coeurs (Mt 6.21 ; 1 Co 7.5).
On pourrait évoquer, pour ceux qui sont susceptibles de tomber dans un excès, le jeûne de paroles (Jb 39.37-38 ; Pr 30.32 ; Ecc 5.1 ; Lm 3.28-29 ; Jc 3.2-12), le jeûne de contacts humains (Lm 3.28 ; Mt 14.13, 23…) assez souvent pratiqué par Jésus, le jeûne de fête, de rire (Jc 4.8-10), de musique (Ps 137.3-4), d’exercice physique (1 Tm 4.8), de télévision, d’Internet.
Il ne s’agit pas de renoncer définitivement à ces choses, à moins que Dieu le demande (le célibat, 1 Co 7.32-33), mais de démontrer – et pas en paroles seulement – que nous sommes libres par rapport à ces choses, libres pour en faire un sain(t) usage (Jn 8.36 ; 1 Co 6.12-15 ; Ga 5.1, 13), libre de les perdre s’il le faut (Cf. Mt 10.37).
Curieusement, il me semble que Jérémie parle aussi d’un jeûne de prière. « Il est bon d’attendre en silence le secours de l’Éternel » (Lam 3.26 ; cf. Ps 37.7). Il arrive que Dieu réponde quand on s’arrête de demander. N’a-t-on pas le droit de demander à Dieu ? On a le droit, mais toutes les motivations ne sont pas pures. Il y a des prières qui nous empêchent d’écouter Dieu.
Le jeûne est un peu comme un creuset : c’est une épreuve qui rend l’or plus brillant. Pour briller ? Non, pour devenir plus transparent, pour que paraisse mieux la lumière de Dieu.
Le jeûne est un peu comme un creuset : c’est une épreuve qui rend l’or plus brillant. Pour briller ? Non, pour devenir plus transparent, pour que paraisse mieux la lumière de Dieu.
9. L’attente du retour du Seigneur
Le jeûne exprime une insatisfaction, une tristesse, le sentiment d’un exil. « Comment chanterions-nous les cantiques de l’Éternel sur une terre étrangère ? » (Ps 137.4). Dans ce sens, Paul a confié qu’il avait « le désir d’être avec Christ, ce qui de beaucoup est le meilleur » (Ph 1.23). Etait-il désespéré ? Au contraire !
Nous n’oublions pas que « c’est en espérance que nous sommes sauvés » (Ro 8.24). C’est déjà beaucoup, et nous sommes reconnaissants. Mais nous attendons encore beaucoup ! Le jeûne, comme la prière, manifeste une faim et une soif de Dieu qui devraient habiter chaque chrétien. « Que ton règne vienne ! » (Mt 6.10). « Viens, Seigneur Jésus ! » (Ap 22.20). Pour qui le Seigneur va-t-il revenir ? » Pour ceux qui l’attendent (Hé 9.28).