1 – Le « monde » au temps des Lumières
Les Lumières, au XVIIIe s., sont une étape majeure dans l’évolution de la culture européenne. Il s’agit vraiment, comme l’a montré le philosophe allemand Kant (1724-1804) dans son texte : Qu’est-ce que les Lumières ?, de ce moment où l’on passe de la religion à la philosophie, soit, comme il le dit, de l’impératif : « Croyez ! » à : « Pensez par vous-même. » On notera d’ailleurs que les Philosophes (Montesquieu, Diderot, Voltaire, Rousseau…) ont opéré une laïcisation de la métaphore de la lumière. Dans la religion chrétienne, elle désigne la connaissance donnée par la foi au Christ : « Je suis la lumière du monde » (Jean 8:12), alors que « les Lumières » des Philosophes se réfèrent, elles, à la raison. Ils vont aussi prendre le contre-pied du rapport des chrétiens à la terre : si, pour ceux-ci, elle n’est pas leur lieu d’appartenance, inversement, eux vont choisir la terre comme lieu, lequel se trouve désigné par la notion de « monde ».
Voltaire (1694-1778) a écrit un long poème intitulé : « Le mondain ». Il n’est pas d’une qualité littéraire remarquable, mais intéressant sur le plan des idées. Il s’achève par ce vers, fameux : « Le paradis terrestre est où je suis. » Le choix est net ! Voltaire ne dit pas : la terre est mon monde, mais il fait plus ! Celle-ci, donc de l’ici-bas, devient « le paradis » même. Voltaire était déiste : il admettait l’existence d’un Dieu créateur, mais rejetait les religions, pour lui source d’intolérance. Le ton qu’il emploie est critique, mordant. Je cite le début du poème : « Regrettera qui veut le bon vieux temps, / (…) Et le jardin de nos premiers parents ; / Moi, je rends grâce à la nature sage / Qui, pour mon bien, m’a fait naître en cet âge / Tant décrié par nos tristes frondeurs : /Ce temps profane est tout fait pour mes mœurs. / J’aime le luxe, et même la mollesse, / Tous les plaisirs, les arts de toute espèce. » Voltaire attaque ceux qui ont la nostalgie de l’Éden, donc d’une pureté originelle : les chrétiens. À Dieu, il oppose « la nature », qualifiée de « sage ». Ce qu’il a, il ne considère pas qu’il le doit à Dieu, mais à elle. Les « tristes frondeurs » (ou « docteurs », selon une variante) désignent les penseurs chrétiens, critiques par rapport à leur temps. Inversement, Voltaire entreprend, lui, une véritable déclaration d’amour envers le temps où il vit. Provocateur, il déclare en apprécier toutes les caractéristiques profanes (le terme s’oppose au « sacré »), comme : « le luxe », « la mollesse », « les plaisirs, les arts de toute espèce. »
Voltaire se présente donc bien comme un homme de son temps, dans son temps, pour son temps : un mondain, content et fier de l’être !
2 – Actualisation de la notion
Nous ne sommes plus au temps des Lumières, mais celles-ci ont mené tout droit à la Révolution française, et la modernité réclame fortement cette double ascendance : fille des Lumières et de la Révolution.
Les termes de « monde » ou « mondain » ne sont plus d’usage courant, au sens où les entendait à l’époque de Voltaire. Toutefois, le positionnement adopté par le philosophe, au XVIIIe s. est partagé par la majorité des individus aujourd’hui, dans le monde occidental. Négation de tout au-delà et adoption de l’ici-bas comme lieu du plein épanouissement.
Le XVIIIe s. est aussi l’époque de l’émergence du concept de « Progrès ». Notre rapport à cette notion a changé depuis cette époque, mais le « mondain », lui, reste dans une attitude positive face à son temps. Cette attitude peut être décomposée en un certain nombre de comportements, tels :
– Le matérialisme : trouver sa jouissance dans la consommation des biens matériels.
– L’individualisme : « Moi d’abord », et tout ce qui peut satisfaire mon ego.
– L’hédonisme : faire de la recherche du plaisir le but de la vie, en évitant la souffrance.
On le voit, le lien entre « le mondain » et l’homme contemporain peut facilement être établi.
3 – Dans la perspective biblique
Une parole du Christ vient immédiatement à l’esprit, en rapport avec cette problématique. En effet, il a déclaré, à propos de ses disciples : « Ils ne sont pas du monde » (Jean 17:16), en distinguant bien le fait d’être « du monde » et celui d’être « dans le monde » : « Je les ai envoyés dans le monde » (Jean 17:18). Le rapport du chrétien au monde est donc complexe : « dans » mais pas « du ». position parfois difficile à tenir, qui demande de trouver constamment un équilibre.
Soyons concret : le chrétien, parce qu’il n’est pas « du monde », pourrait se dire : dans ce cas, j’abandonne le monde à lui-même, ce qui serait une attitude contraire à l’ordre d’aimer son prochain donné par Dieu. Avoir le souci-du-monde est un impératif chrétien. Pour autant, le chrétien n’est pas appelé à trouver le sens de sa vie « dans le monde », dans son investissement pour le monde.
Où le chrétien a-t-il pleinement sa place ? Durant des siècles, une mauvaise compréhension du christianisme a exigé de la part des croyants qu’ils se détournent du monde, ici-bas, conçu comme lieu de souffrances (à s’imposer), pour se tourner vers l’au-delà, le paradis promis. Dieu veut que l’homme soit heureux, dès ici-bas, dans ce monde, en se réconciliant avec Lui par la foi au Christ sauveur, et suivant ses voies. De cette vie heureuse sur la terre, le Christ a donné un exemple sur terre, durant le temps de son Incarnation. N’a-t-il pas dit : « Je vous ai parlé ainsi, afin que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète. » (Jean 15:11)