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Un de mes premiers emplois fut de travailler comme tuteur pour enfants autistes. Je me souviendrais toujours de ce triste souvenir où à mon arrivée l’enfant de trois ans que j’accompagnais jouait avec une gameboy. Malheureusement son père s’était trompé et lui avait donné sa console à lui. Et à ma grande surprise, celle-ci était remplie d’images pornographiques.

Nous vivons dans une société hypersexuelle, où les images, les scandales et les questions délicates d’éthique touchent le quotidien de toutes les générations. Nul n’est épargné. Alors, parlons-en.

Par pudeur le titre est vague, le contenu cependant sera plus explicite, lecteurs avertis.

Question #2 : est-ce moral de se masturber en pensant à son conjoint ?

Même si la question est bien précise, la discussion touche une bonne partie des arguments généraux sur le sujet. Nous répondrons à cette question en abordant trois regards bibliques : l’idolâtrie, la fidélité du mariage et les addictions.

 

1. L’idolâtrie du monde des images et la sexualité

Dans la question éthique posée, il est sujet de projections mentales et sexuelles, des représentations imaginaires qui ne correspondent pas à la réalité, puisque le couple n’est pas réuni. La dimension spirituelle de l’unité conjugale disparait pour une contrefaçon. Ceci, nous argumentons, est l’essence même de l’idolâtrie.

En donnant les dix commandements, Dieu met rapidement et solennellement en garde contre l’idolâtrie liée aux images (Ex 20.4-6). Il interdit à son peuple toute représentation imagée menant à un culte et à l’adoration. Ces « idoles » sont en effet des substituts pervers de la réalité, des raccourcis qui finissent en impasses. Elles ne peuvent jamais mener aux merveilles spirituelles de Dieu. Les idoles, représentations limitées, s’arrêtent aux plaisirs de la création, sans jamais connecter au Créateur.

Le culte des idoles et des images, qui incarnent les plaisirs de la chair, sont ainsi sans surprise, depuis les temps anciens, liés à l’immoralité sexuelle. C’est l’essence même des cultes païens : une imagerie sensuelle et provocante accompagnée de comportements sexuels immoraux. C’est le narratif du veau d’or, où la première idole mène instantanément à l’immoralité sexuelle :

7Ne devenez pas idolâtres comme certains d’entre eux. En effet, il est écrit : Le peuple s’assit pour manger et pour boire; puis ils se levèrent pour s’amuser. 8Ne nous livrons pas non plus à l’immoralité sexuelle comme certains d’entre eux l’ont fait, de sorte que 23 000 sont tombés en un seul jour. (1 Co 10.7-8).

Dans la Bible, l’idolâtrie et l’immoralité sexuelle sont inséparables (voir Ex. 32, Es. 57.7-8 ; Rom 1.18-32 ; 1 Co 6.9-11, Ga 5.19-21 ; Ep 5.5 : Col 3.5 : Ap 2.14, 21.25). « Idolâtrie » et « prostitution » sont synonymes et pas seulement dans le sens spirituel : l’idolâtrie mène et encourage à l’immoralité sexuelle.

Pour en revenir à notre question, une personne qui cherche ainsi son propre plaisir en se nourrissant d’images, même de son propre conjoint, commet le péché de se couper d’une réalité spirituelle plus grande (la relation réelle du couple) pour une réalité charnelle dénuée de bénédiction spirituelle. Commettre un acte sexuel solitaire en pensant à son conjoint ne change pas la réalité que le conjoint n’est pas présent : il n’y a pas d’unité de chair, d’unité d’amour, d’unité d’esprit ; le conjoint n’est ni volontaire ni participant, l’image est forcée et artificielle même avec un « consenti » préalable-, comme pour la pornographie. Le substitut mental est loin de la réalité. Ce n’est ni plus ni moins la nature même de l’idolâtrie qui utilise des images pour n’arriver qu’à un résultat dénué de la présence de Dieu et de la réalité spirituelle plus belle qu’il a révélée dans sa Parole.

Dans une lettre personnelle et honnête, C.S. Lewis parle de sa propre lutte avec la pureté tout en prenant position sur la question :

« Le vrai exercice de l’imagination, de mon point de vue, est de (a) nous aider à mieux comprendre les autres (b) de répondre, et, pour certains d’entre nous, de créer de l’art. Mais il existe aussi une mauvaise utilisation : de nous donner, d’une manière ombragée, un substitut de la vertu, du succès, des distinctions, etc. qui doivent être recherchées dans le monde réel – par exemple, s’imaginer ce que je ferais si j’étais riche plutôt que de travailler et économiser.

La masturbation implique un abus de l’imagination de manière érotique (ce qui je crois est mal) et en conséquence encourage un abus similaire de l’imagination dans toutes les autres sphères.

Après tout, le travail essentiel de la vie est de sortir de notre propre égo, petit à petit, de cette prison noire dans laquelle nous sommes nés. La masturbation doit être évitée, comme toute autre chose qui retarde ce processus. Le danger c’est de finir par aimer cette prison. » (LewisYours, Jack, 292-293).

Le Proverbe 16.30 affirme : Celui qui ferme les yeux pour méditer des pensées perverses, qui se mord les lèvres, a déjà accompli le mal. Le mot « pervers » en français vient de per (à travers) + versus (tourné), et c’est le même sens du mot original hébreu dans le texte, quelque chose de contraire, de renversé. Utiliser son imagination est une chose, mais le faire en commettant un acte sexuel solitaire est un renversement de ce que Dieu a souhaité pour sa création.

 

2. Sexualité et fidélité

La question de la fidélité conjugale est aussi au cœur de cette question éthique. Lorsque Dieu instaure le mariage, c’est sacré, spécial, altruiste, intime, dévoué. La masturbation attaque toutes ces facettes de l’institution divine.

Concernant la réalité des tensions sexuelles, Paul écrit :

2Toutefois, pour éviter toute immoralité sexuelle, que chaque homme ait sa femme et que chaque femme ait son mari. 3Que le mari rende à sa femme l’affection qu’il lui doit et que la femme agisse de même envers son mari. 4Ce n’est pas la femme qui est maîtresse de son corps, mais son mari. De même, ce n’est pas le mari qui est maître de son corps, mais sa femme. 5Ne vous privez pas l’un de l’autre, si ce n’est d’un commun accord pour un temps, afin de vous consacrer à la prière; puis retournez ensemble, de peur que Satan ne vous tente à cause de votre manque de maîtrise. (1 Cor 7.2-7)

L’apôtre apporte plusieurs éléments de réponses à notre question : face à la tension sexuelle, les choix sont soit l’abstinence, soit des relations régulières dans le cadre du mariage.

Concernant les relations sexuelles, Paul affirme qu’elles sont réservées au cadre mis à part du mariage et « ensemble ». Il n’y a pas de place pour se satisfaire seul, la tension se résout par le mariage. Dans ce cadre, une affection sexuelle réciproque est dûe, elle est régulière et altruiste ; le corps appartient à l’autre, la sexualité est donc dans son essence la recherche du plaisir de l’autre avant le sien. S’abstenir dans le mariage est une forme de jeûne, pour une courte durée et pour un but spirituel partagé. Trouver satisfaction ailleurs est un péché et le résultat du manque de maîtrise de soi.

Le paradigme du mariage selon Dieu est une relation où l’autre a de la valeur, une place unique, le conjoint est irremplaçable. Et ainsi il est recherché, attendu, aimé. C’est aussi une relation où l’autre a besoin de nous, alors il faut se donner, avec fidélité, et s’engager dans tout ce qui construit l’unité. Un manque de disponibilité sexuelle régulière pour son conjoint est non seulement un péché, mais aussi une cause potentielle de péché pour l’autre.

La masturbation désacralise le mariage en dévaluant la mise à part de l’autre, son apport unique et essentiel. Il décourage la poursuite de l’autre, le « chérir » physique et spirituel de la relation (Ep 5.25-30), l’attente patiente et joyeuse des moments futurs de satisfactions conjugales consensuelles.

 

3. Sexualité et dépendance

Dieu a créé la sexualité dans le cadre du mariage pour qu’elle soit relationnelle, habituelle, qu’elle développe un attachement, une dépendance réciproque qui nourrit l’unité. La masturbation est un acte sexuel qui lie, et ainsi crée une dépendance ; un « devenir une seule chair » avec soi-même, un acte égocentrique.

La Bible décrit la sexualité dans le mariage comme une ivresse (Prov 5.17-18). En effet, c’est un acte dans lequel on se perd avec l’autre et qui génère beaucoup de dopamine, l’hormone du plaisir. Or, les études scientifiques révèlent bien que la sécrétion de cette hormone crée un cycle d’envie-récompense qui peut rapidement se cimenter en réflexes et habitudes.

Keener dans son commentaire de Matthieu, comme DeRouchie dans son excellent article en anglais, défendent l’idée que Jésus pourrait parler implicitement de la question de la masturbation dans son discours sur les tentations sexuelles :

27»Vous avez appris qu’il a été dit: Tu ne commettras pas d’adultère. 28Mais moi je vous dis: Tout homme qui regarde une femme pour la convoiter a déjà commis un adultère avec elle dans son cœur. 29Si ton œil droit te pousse à mal agir, arrache-le et jette-le loin de toi, car il vaut mieux pour toi subir la perte d’un seul de tes membres que de voir ton corps entier jeté en enfer. 30Et si ta main droite te pousse à mal agir, coupe-la et jette-la loin de toi, car il vaut mieux pour toi subir la perte d’un seul de tes membres que de voir ton corps entier jeté en enfer. (Mat 5.27-30)

Pour Jésus, la pureté sexuelle est importante et mérite des sacrifices. Les richesses spirituelles qui en découlent en valent la peine. Mais quand on touche au sacré, on joue sur le terrain de Dieu, et pour gagner il faut participer selon ses règles à lui.

En occident, la sexualité est probablement la plus grande pierre d’achoppement de notre génération. Et si la fornication est l’une des raisons principales pour lesquelles les gens refusent de croire en Dieu (voir cet article sur un échange avec Keller sur la question), la masturbation est un petit frère qui rivalise dans l’éloignement de Dieu.

Le fruit de l’esprit c’est l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bienveillance, la foi, la douceur, la maîtrise de soi (Gal 5.22) ; la masturbation n’exprime aucune de ces choses, c’est tout le contraire.

Martin Luther argumentait que la somme de la vie chrétienne se résume avec la phrase « expectabo Dominum », je m’attends au Seigneur. En effet, l’attente est l’essence même de la foi. La gratification immédiate est la carotte du diable.

Combattre les excuses

  • Si votre couple lutte dans sa sexualité, osez en parler à un couple d’aînés dans la foi ou à des spécialistes. Dans tous les cas, privilégiez l’attente et la prière plutôt que des raccourcis destructeurs. Placez le conjoint à un rang d’honneur, une place sacrée, engagez-vous à vous donner et recevoir.
  • Déconstruisez les excuses, les mauvais paradigmes, toute perspective qui déspiritualise la sexualité.
  • Refusez tout « ménage à trois ». S’il le faut, écrivez une lettre de divorce face au péché, notez la date, partagez-la à un mentor ou ami proche, prenez position.
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