Merci Jérémie Biancheri d’être avec nous. La question du divorce est très délicate, et le nombre de divorcés croissant dans l’Église. Comment se positionner en tant qu’Église sans mettre les gens dans des boîtes ? Privilégies-tu une vision d’Église claire sur le sujet, le cas par cas, un peu des deux ?
L’idée principale c’est que l’Église se positionne pour des mariages solides où les époux se servent mutuellement en cherchant l’intérêt de l’autre, se respectent, s’aiment réellement. C’est ce que Jésus a répondu quand les pharisiens lui tendent un piège sur le divorce. Un homme et une femme mariés sont unis, il faut chercher à développer ce lien.
Personne ne se marie pour divorcer. Nos assemblées locales agissent pour soutenir les personnes mariées afin que leur mariage soit un reflet authentique de l’union de Jésus et de l’Église. Dans une telle situation, les deux conjoints trouvent leur intérêt. Voilà l’essentiel !
La vraie difficulté pastorale est de voir des personnes mariées, se réclamant de la foi en Christ, mais qui ne choisissent pas d’aimer leur conjoint intentionnellement. Voilà le vrai problème. L’enjeu pastoral du divorce se situe avant la rupture. L’effort pèse sur les personnes mariées qui devraient faire le choix volontaire d’éliminer les comportements immatures et d’aimer concrètement, par exemple en faisant la demande d’un suivi pastoral ou de relation d’aide avant que la relation soit bloquée.
Si divorce il y a, la rupture est actée. Quand l’un des conjoints déclenche la procédure de divorce, très souvent, il est résolu et la réconciliation n’est plus envisageable. Il faut alors gérer au mieux une situation imparfaite où tout le monde est perdant. Chaque situation est unique.
Cette approche nous permet d’être à la fois très clairs sur le principe général et de répondre au cas par cas, avec compassion, aux situations que nous devons accompagner.
La relation entre les divorcés et l’Église évangélique est souvent complexe. Quels sont les domaines où l’Église peut s’améliorer selon toi ?
Je vois deux difficultés.
La première est qu’il est difficile de porter une conviction forte sur le mariage qui est férocement attaqué aujourd’hui et en même temps respecter ceux qui ne suivent pas (souvent malgré eux !) cette conviction en leur montrant de l’amour et de la compassion.
L’Église peut s’améliorer en ayant une théologie précise du divorce pour éviter les caricatures. Par exemple, nous utilisons un document qui balise nos choix éthiques sur le sujet.
Deuxièmement, nous devons aussi souligner qu’il y a une vie après le divorce. Dans la souffrance, la trahison, l’abandon, le monde s’écroule. Un sentiment de honte d’avoir loupé sa vie ou fait de mauvais choix peut être tellement destructeur. Rappelons que le tunnel a une sortie. La vie de disciple continue. Jésus est avec nous même dans les moments les plus noirs. L’Église est là pour apporter du soutien.
Pour certains, il faudra passer par la repentance de ses erreurs.
Nous vivons l’Église dans un contexte marqué par le catholicisme qui a une posture très dure sur le sujet. Quand je me présente en tant que pasteur, je m’entends souvent dire que les personnes ont perdu leur intérêt religieux suite à un divorce et un remariage qui les a privés de sacrement. Nous devons désamorcer cette culture de dans nos Églises.
Comment accompagnes-tu les divorcés dans ton assemblée ?
Nous accompagnons les personnes au cas par cas. Ce sont toujours des situations tellement complexes et difficiles.
Il me semble qu’il y a 3 situations auxquelles nous faisons face régulièrement.
Premièrement, il faut traverser la crise. Quand une personne divorce, c’est souvent dans une crise existentielle violente qu’il faut traverser. Même si une personne divorce de son plein gré pour fuir une situation difficile, qu’il y a une forme de soulagement, c’est une crise. Cette difficulté est souvent amplifiée par la procédure de divorce qui révèle tout le mal qui peut se trouver dans le cœur des hommes et des femmes. Dans ces situations, « à chaud », il s’agit d’accueillir et soutenir. Si l’occasion se présente, on peut par exemple lire des Psaumes de lamentations.
Ensuite, nous pouvons soutenir les victimes. Les situations sont souvent complexes. Il ne faut pas faire de généralités. Néanmoins, il y a des situations claires où nous devons nous tenir du côté de la victime. Une femme peut être harcelée par son ancien conjoint, même des années après une séparation. Nous devons défendre la victime.
Troisièmement, il s’agit d’aider à repartir. Le divorce n’est pas une impasse.
Peut-être faut-il nommer les abus subis et cultiver le pardon ? Un accompagnement en relation d’aide est peut-être nécessaire.
Peut-être faut-il nommer les péchés commis et cultiver la repentance ? Un manque de repentance, refuser de reconnaitre ses torts seraient des attitudes qui mènent à l’impasse.
Nous pouvons apprécier la grâce de Dieu et accompagner nos frères et sœurs pour continuer leur vie de disciples dans leur nouvelle situation de vie.
Dans de nombreux cas, nous pouvons aller vers une pleine implication des personnes divorcées dans nos Églises.
Est-ce possible selon toi que l’Église prenne position pour défendre un des deux conjoints et justifier un divorce « biblique » ? Dans quels cas ?
Oui, bien sûr, certains divorces sont « bibliques ».
Nous avons deux situations claires dans le Nouveau Testament. Une personne peut divorcer s’il elle subit une trahison adultère (Mt 5.32, mais sans obligation, la réconciliation est possible) ou si son conjoint non chrétien le souhaite (1 Co 7.15).
Dans certaines situations claires où l’un des conjoints détruit le mariage, oui, les responsables peuvent prendre position pour défendre l’un des deux conjoints. Dans le cas d’un conflit conjugal entre deux chrétiens, les anciens peuvent être amenés à discipliner l’une des parties et la considérer comme un incroyant (Mt 18.17) ce qui nous ramène à la seconde situation évoquée : le conjoint non croyant abandonne le foyer.
Comment libérer les divorcés de « l’opprobre » du divorce dans l’Église quand le divorce est « biblique » ?
Enfin une question plus simple !
Le message de Jésus est une bonne nouvelle pour tous, y compris les divorcés. Nous pouvons accompagner nos frères et sœurs pour se saisir de la réalité de leur Salut, de l’amour de Dieu pour eux.
Concrètement, nous pouvons les inclure dans la communauté, les encourager dans leur service à l’Église, bref, vivre pleinement l’Église avec eux.