Pendant mes études théologiques, j’ai eu le privilège de servir 4 années comme assistant d’un pasteur remarquable. Ces années à ses côtés en Californie ont été incroyablement formatrices. Cet homme, Steve, avait 69 ans et venait de commencer un ministère pastoral. Après avoir fini sa carrière de commercial, il était tellement engagé dans son Église et exerçait si naturellement le rôle de berger que l’Église l’avait élu parmi ses pasteurs. Il n’était pas prédicateur, ne se mettait pas en avant, et pourtant par son exemple et son ministère, il donnait le ton pour toute l’assemblée.
La semaine dernière, ce mentor et cet ami a rejoint le Seigneur. Après un AVC, il est parti dans la journée, il avait 83 ans. Il a vécu sa foi à fond jusqu’au bout.
Cet homme était vraiment exceptionnel, c’est la personne qui m’a le plus influencé dans ma vie chrétienne après mes parents. J’aimerais faire honneur ici à quelques qualités qui m’ont impacté de ce pasteur atypique au ministère atypique.
La force de l’encouragement
« Tu viens ? » me demande mon mentor.
« Non, je ne connaissais pas cette femme, je pense rester dans mon bureau, je ne sais pas ce que ça changerait que j’assiste à ses obsèques. »
Nous étions installés à l’étage au-dessus de la salle de culte. Il avait un vrai bureau, j’étais dans la garderie qui avait une fenêtre par laquelle nous pouvions observer ce qui se passait dans la salle principale.
« La Bible ne dit-elle pas de se réjouir avec ceux qui se réjouissent et de pleurer avec ceux qui pleurent ? »
Il parlait avec humilité, avec amour, assez pour désarmer n’importe quel assaillant. Avec simplicité et conviction, il puisait sa force des Écritures. Et il m’apprenait à mettre ma théologie en pratique.
Encourager dans la bible vient du grec qui signifie « appeler quelqu’un alors qu’on est à ses côtés ». Cet homme vivait son appel pastoral en faisant exactement cela. Aux côtés des gens, pour leur parler de Christ.
Quand on lui annonçait une bonne nouvelle, il la vivait comme si elle le concernait directement. Souvent même il poussait un cri de joie en louange au Seigneur.
À Noël et à Pâques, il accueillait chez lui les personnes seules de l’Église, en préparant une vraie fête pour 20 à 30 personnes chaque fois. Des célibataires, des veuves, de nouvelles personnes dans l’Église cherchant des connexions.
Avec une intelligence relationnelle incroyable, il connaissait les prénoms des 700 personnes de notre assemblée, et chacun aurait pu témoigner d’une manière dont il les avait touchés personnellement. Il avait la capacité unique de discerner les qualités des gens et de les encourager à persévérer dans leurs dons.
Mes deux premières années à ses côtés se sont déroulées pendant une phase extrêmement positive de croissance dans l’Église, où sa taille a presque doublé. Puis est venue une grande crise.
« Penses-tu que je dois rester et attendre que la crise passe avant de partir pour la France ? »
« Non » me répond-il avec conviction. « Dieu ne t’a pas appelé à faire du surplace ici. Tu dois aller à un endroit où tu pourras faire exploser le plafond ! »
Alors que notre Église à Lyon s’apprête à littéralement élever le plafond pour s’agrandir et que nous nous lançons notre 4e projet d’implantation en près de 10 ans, je ne peux que me réjouir de ses paroles qui continuent de me porter aujourd’hui.
10 ans après la fin du stage, il continuait de nous encourager. Alors qu’il était sur son lit de mort, son épouse nous écrit un mot : « Je m’excuse pour mon mari, il était en train de répondre à votre lettre de nouvelles, il aurait beaucoup voulu finir sa lettre. »
Un homme encourageant jusqu’au bout.
L’impact de l’amour
« Bon courage à toi. Je prie pour toi. Je t’aime. À bientôt »
Il raccroche le téléphone, au moment où j’entre dans son bureau. C’est une des premières journées de mon stage.
« Tu as compris que je ne parlais pas à mon épouse », me lance-t-il. « Cette dame âgée dans la solitude a besoin de soutien. Alors je lui dis que je l’aime. »
Je n’ai jamais rencontré une personne comme Steve qui pouvait dire « je t’aime » à autant de personnes sans pour autant que cela ne prête à confusion. Il était si rempli d’amour que cela paraissait évident.
« Je t’aime et je suis reconnaissant pour toi », disait-il à ceux qu’il voyait persévérer dans la foi.
Quand il voyait quelqu’un dans la souffrance à l’Église, il prenait la personne à part et priait à l’instant avec elle.
Mon épouse, qui était déjà dans l’Église avant son arrivée, se souvient d’une conversation alors qu’elle était encore préadolescente. À l’époque elle s’habillait en gothique, elle était souvent à l’écart des autres jeunes. Il était venu s’assoir à côté d’elle.
« Tu sais Sophia, au ciel notre différence d’âge n’aura plus aucune importance. N’est-ce pas formidable que même aujourd’hui avec Christ nous pouvons être amis ? »
Il regardait facilement au-dessus des apparences.
Je n’étais que stagiaire, mais il me traitait comme son propre fils. Il me faisait part de sa fierté, me préparait des cartes cadeaux pour mon anniversaire et diverses occasions, m’encourageait constamment.
Son amour pour les gens se reflétait aussi par une honnêteté sans pareil, elle était motivée par Christ et dirigée vers Christ.
Je le voyais parfois prendre un jeune homme à part. « Comment va ta pureté ? Je prie pour toi. »
Ou un couple : « Est-ce que vous priez ensemble ? C’est la base du mariage en Christ, vous savez. »
Ou encore une personne âgée : « De quoi es-tu reconnaissant en ce moment ? »
Ou envers un étudiant : « Es-tu fidèle dans ta lecture de la Parole ? »
Venant d’une autre personne, certaines questions auraient pu sembler légalistes. Mais il était si rempli d’amour qu’il n’y avait aucun doute sur le fond. Il aimait Christ et cet amour pour son Sauveur se transmettait par le souci de la vie spirituelle de son entourage.
Son amour pour les autres et son engagement pastoral ne le séparait pas non plus de sa consécration pour sa famille.
« Ne fais pas du ministère ta maîtresse » fut le premier conseil qu’il me donna.
La mesure de l’intentionnalité
Je ne me souviens plus de l’occasion. Mais un matin, j’étais chez lui de bonne heure alors qu’il finissait son culte personnel avec son épouse.
« Donne-moi un instant », me dit-il alors qu’il range son classeur de prière. Ce n’était pas un petit livret, mais un classeur énorme, bien organisé, avec des pochettes et des requêtes de prière pour des dizaines et des dizaines de personnes. Tous les matins il se levait à 5h30 pour prier une heure avec son épouse.
Il n’en faisait pas la pub, il ne se mettait pas en avant, mais plus on se rapprochait de lui, plus on voyait la force et la profondeur de sa foi.
Tous les matins, il priait pour l’humilité, la sagesse et la pureté. Et il vivait ces choses. Un homme mis à part pour le Seigneur, plein de bon sens et désireux d’élever le nom de Christ bien plus que son propre nom.
Un jour, un homme se précipite en colère dans son bureau, débordant d’insultes et de reproches. Même si ces accusations n’étaient pas fondées je me souviendrai toujours de sa réponse : « Vous savez monsieur, vous ne connaissez même pas la moitié de mes fautes. »
Steve était un homme intentionnel. Il faisait attention à ce qu’il mangeait, faisait du sport. Son dernier dimanche sur terre, il a marché plusieurs kms pour rentrer à pied. Jusqu’au bout il se donnait à fond. Il avait choisi de ne pas avoir de téléviseur. Il voulait utiliser son temps et son énergie au maximum pour servir le Seigneur.
Il avait une soif inlassable d’apprendre, de lire, d’écouter des conférences, de grandir dans sa foi. Il n’intellectualisait pas la foi mais cherchait constamment à la mettre en pratique.
Il a pris sa retraite de pasteur à l’âge de 80 ans, pour ensuite déménager et rejoindre un projet d’implantation d’Église. Il a vendu sa belle maison pour se faire construire un petit studio pour lui et son épouse, en investissant une partie des bénéfices pour la mission.
Lorsque nous visitions les États-Unis, il nous prêtait sa voiture : « Ce n’est pas ma voiture, c’est la voiture du Seigneur », nous disait-il. Tout ce qu’il avait servait à mettre Dieu en avant.
L’année dernière nous avons pu le voir une dernière fois avec mon épouse, lors d’un court passage en Californie pour une conférence.
« Priez pour moi pour que je finisse bien. Nous sommes dans une saison où avec mon épouse nous nous apprêtons à mourir. Nous sentons que c’est la fin, alors voulons honorer Dieu dans cette saison de vie. Je ne pense pas que nous allons nous revoir. »
Il semblait encore en forme, je trouvais son commentaire morbide. Sa sobriété d’esprit et sa sagesse m’ont si souvent surpris.
En pensant à une vie si bien vécue, je pense à cette prière de Moïse au Psaume 90.12,17 :
« Enseigne-nous à bien compter nos jours, afin que notre cœur parvienne à la sagesse! (…) Que la grâce de l’Eternel, notre Dieu, soit sur nous! Affermis l’œuvre de nos mains! Oui, affermis l’œuvre de nos mains ! »