La Bible plagie-t-elle les religions antiques ? Quiconque connaît un peu le monde religieux de l’Antiquité se trouve confronté au fait que la Bible semble emprunter de nombreux éléments aux récits mésopotamiens et égyptiens. Ces parallèles sont à première vue troublants, d’autant plus pour un texte qui se présente comme la révélation infaillible du Dieu unique. Alors qu’en est-il ? La Bible n’est-elle finalement rien de plus qu’une construction humaine, inspirée des religions alentours qu’elle plagierait par endroits ?
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La Bible plagie-t-elle les religions antiques ?
Quiconque connaît un peu le monde religieux de l’Antiquité se trouve confronté au fait que la Bible semble emprunter de nombreux éléments aux récits mésopotamiens et égyptiens. A titre d’exemple, le récit biblique de la création rappelle fortement celui de l’Enuma Elish, le récit du déluge semble reprendre des éléments de l’Epopée de Gilgamesh, le récit de la sortie d’Egypte en Exode est riche de parallèles évidents avec divers textes de l’Egypte antique, différents thèmes bibliques sont repris des religions cananéennes comme par exemple l’image de Dieu comme un cavalier céleste en Esaïe 19, qui n’est pas sans rappeler la littérature ougaritique, ou encore les manifestations divines associées à la foudre ou aux nuages qui évoquent là aussi les divinités du panthéon cananéeen.
Ces parallèles sont à première vue troublants, d’autant plus pour un texte qui se présente comme la révélation infaillible du Dieu unique. Alors qu’en est-il ? La Bible n’est-elle finalement rien de plus qu’une construction humaine, inspirée des religions alentours qu’elle plagierait par endroits ?
Nul ne peut nier les parallèles évidents que nous venons de citer, et il semble souvent difficile de plaider contre l’antériorité des récits mésopotamiens ou égyptiens. Autrement dit, il est très difficile de nier que les auteurs bibliques ne se soient inspirés de ces écrits, qu’ils n’en aient repris des éléments. Mais s’ensuit-il forcément que leurs récits sont faux ? N’allons pas trop vite.
Prenons, comme étude de cas, l’exemple des parallèles entre la troisième section du livre biblique des Proverbes et le texte égyptien connu sous le nom de La Sagesse d’Aménémopé. Je reprends là une partie de mon développement sur la question des emprunts bibliques à la culture égyptienne dans mon livre « Car Dieu a tant aimé les Noirs ».
Il est intéressant de relever que la Bible dit de Salomon, à qui l’on attribue généralement la rédaction du livre des Proverbes et de l’Ecclésiaste, que Dieu lui a donné, je cite : « une sagesse exceptionnelle, une très grande intelligence et une large ouverture d’esprit qui le fit s’intéresser à des questions aussi nombreuses que les grains de sable au bord de la mer. Sa sagesse dépassait celle de tous les sages de l’Orient et de l’Égypte. (1 R 5.9-10). Le texte biblique reconnaît donc l’existence d’une sagesse égyptienne et l’intérêt que pouvait y porter Salomon. Il est à ce titre pertinent de relever que la section des Proverbes en question s’intitule les « paroles des sages » (Pr 22.17). L’auteur biblique, par cette formule, réfère explicitement à ces paroles qu’il a pu trouver sages et inspirantes, et qu’il a donc incluses dans son recueil.
Mais peut-on pour autant parler de plagiat ? Je l’ai dit, les ressemblances entre la troisième section des Proverbes et la Sagesse d’Aménémopé sont flagrantes, mais non moins que leurs dissemblances. En effet, l’auteur biblique ne s’est pas contenté de copier purement et simplement le recueil égyptien, mais il en a sélectionné et arrangé le contenu qu’il trouvait pertinent. En comparant les deux recueils on s’aperçoit que certaines formules sont parfois rallongées, parfois raccourcies, mais surtout qu’elles sont recontextualisées pour s’insérer pleinement dans l’enseignement biblique et la culture israélite de l’époque. Ainsi, la mention égyptienne des oies disparaît pour laisser place à celle des aigles, par exemple. Plus important encore, jamais le nom d’une divinité égyptienne n’apparaît dans le texte biblique, lequel ne fait référence qu’au seul et unique Dieu qu’il reconnaît. Il est d’ailleurs significatif que cette section des Proverbes s’ouvre avec une exhortation à mettre sa confiance en Dieu (Pr 22.19). Le contenu de la Sagesse d’Aménémopé est ainsi soigneusement sélectionné, adapté et contextualisé pour véhiculer un message qui, sur certains points, diffère de l’original. L’inspiration est assumée, mais il s’agit bien d’inspiration et non de plagiat.
L’exemple de cette section du livre des Proverbes et de La Sagesse d’Aménémopé est révélateur d’éléments qui doivent être pris en considération pour juger des nombreux parallèles évoqués plus tôt dans cette émission. Tout d’abord, la Bible elle-même assume reprendre des éléments d’autres textes. Les auteurs bibliques ne vivaient pas en vase clos mais dialoguaient avec les œuvres littéraires de leurs voisins. De plus, lorsqu’ils en reprenaient certains éléments, ils ne les reprenaient jamais tels quels, mais les contextualisaient, et surtout les présentaient toujours dans un cadre strictement monothéiste, mettant l’accent sur la toute-puissance du seul Dieu véritable qui contrôle tous les éléments sans jamais se laisser contrôler par eux. Dans son ouvrage Against the Gods, qui s’intéresse justement à cette question, J. D. Currid parle ainsi d’un procédé de « théologie polémique », dans lequel on reprend des éléments théologiques connus, en les présentant différemment, pour entrer en polémique avec les croyances de ces récits et présenter, par contraste, la révélation du seul vrai Dieu. Ainsi, par exemple, le texte biblique met toujours l’accent sur la moralité de Dieu, contrairement aux récits antiques qui présentent les dieux comme remplies de toutes les vicissitudes humaines.
Faut-il alors considérer que ces récits sont faux, strictement arrangés et donc dénués de tout fondement historique ? Là encore, n’allons pas trop vite. Si Dieu existe, lui serait-il impossible de faire en sorte que les événements se déroulent de telle sorte qu’ils permettent ces procédés de théologie polémique ? Prétendre le contraire ne peut se faire, je crois, qu’en niant dès le départ la possibilité de l’existence de Dieu. D’ailleurs, un dernier point de contraste à soulever entre les récits bibliques et les autres récits antiques, c’est que les récits bibliques se présentent toujours comme historiques, là où les autres récits antiques sont pleins d’éléments purement mythologiques et ne s’ancre pas dans l’histoire comme le fait la Bible.
Nathanaël Delforge est passionné de théologie et de philosophie, il est également le créateur et l’animateur de Kurious, une chaîne YouTube d’apologétique chrétienne. Professeur de mathématiques dans le secondaire, il poursuit des études de théologie en parallèle. Il est marié et père d’une petite fille.