Parmi toutes les restrictions rendues nécessaires à cause la pandémie de COVID, l’une des plus frustrantes, au moins pour la plupart des chrétiens, est de ne pas être en mesure de chanter ensemble. Soit parce que nous ne sommes pas autorisés à nous rencontrer, soit parce que chanter n’est pas considéré comme sûr pour notre santé, dès lors que nous sommes en mesure de nous rassembler. Bien évidemment, ne pas pouvoir chanter ensemble ne nous a pas tués, et ce ne sera jamais le cas. Mais cela nous prive, nous ampute et, naturellement pour beaucoup, c’est profondément douloureux.
Alors, comme l’auteur des Psaumes 42 et 43, nous avons le droit de nous lamenter lorsque nous n’avons pas la possibilité de chanter ensemble, de réunir le peuple de Dieu afin de chanter selon l’exhortation des Écritures ou simplement l’élan de nos propres cœurs. Nous avons perdu quelque chose d’important, quelque chose qui ne fait peut-être pas partie de l’ « esse » de l’Église (ce qui est vital pour son être, son existence) mais de son « bene esse » (ce qui est vital pour son bien-être). La perte est importante.
Pour quelles raisons ?
Une manière de faire.
Dans mon livre « Come, Let Us Sing » [1], je m’attarde longuement sur ce point pour le faire ressortir : c’est parce que chanter ensemble est une manière très importante de faire un certain nombre de choses très importantes. C’est une manière de louer Dieu ensemble, une manière de prier Dieu ensemble et c’est une manière de proclamer la parole de Dieu ensemble, à la fois à soi-même et les uns aux autres.
Chanter c’est une manière de louer Dieu ensemble, une manière de prier Dieu ensemble et c’est une manière de proclamer la parole de Dieu ensemble, à la fois à soi-même et les uns aux autres.
Chanter, bien sûr, n’est pas la seule manière de faire tout cela. Nous pouvons louer, prier et proclamer en parlant, et heureusement que nous pouvons encore le faire (que nous partagions le même espace ou que nous nous rencontrions via des écrans interposés). Mais chanter est une manière unique de faire ces choses et une manière puissante de faire tout cela ensemble.
Car, en unissant la musique et les mots, l’émotion et la cognition, les pensées et les sentiments, d’une part, le chant nous intègre les uns aux autres en tant qu’individus : il nous aide à ressentir des pensées véritables et des sentiments authentiques. D’autre part, en tant que communauté, il nous aide à glorifier Dieu d’une seule voix et à nous fortifier les uns les autres en confessant une même espérance, une même foi, un même Seigneur. Comme l’écrit Steven Guthrie, il existe « une analogie de forme entre le son produit par des gens qui chantent ensemble et l’unité à laquelle aspire l’Église ». [2]
En tant qu’Église de Jésus-Christ, chanter ensemble nous aide donc à mener à bien les trois objectifs vitaux d’une rencontre : louer, prier et proclamer. Par la même occasion, deux processus vitaux eux aussi, sont concrétisés : une intégration spirituelle des individus [3] et une unification spirituelle collective [4]. Pas étonnant que chanter nous manque !
Cependant, tout n’est pas si mauvais.
Qu’est-il encore possible de faire ?
Comme nous l’avons déjà compris, il n’est pas totalement impossible de parvenir à ces résultats et ces effets sans chanter. Au contraire, c’est tout à fait possible. Par nos paroles, nous pouvons toujours louer, toujours prier et toujours proclamer. Mais quand il s’agit de chanter , une personne chante pour le plus grand nombre (un soliste), et il peut arriver que quelques personnes (un petit groupe) le fassent, mais pas un grand nombre de personnes (toute la congrégation). Bien sûr, quand nous nous réunissons via Internet, nous pouvons tous chanter en même temps, bien que nous ne puissions pas nous entendre les uns les autres. À moins d’être assez joueurs pour tous activer nos micros (ce qui, d’expérience, n’est pas quelque chose que je recommande).
Nous pouvons encore vivre l’intégration spirituelle des individus et l’unification spirituelle collective
Dès lors, que nous partagions physiquement le même espace ou que nous partagions nos écrans, nous pouvons encore vivre l’intégration spirituelle des individus et l’unification spirituelle collective alors que nous écoutons simultanément la parole de Dieu et que nous y répondons ensemble avec repentance et foi, dans la confession et par la prière, avec action de grâce et par la louange.
Qui plus est, si nous sommes en mesure de nous rassembler, considérons comme quelque chose de très précieux le fait de fredonner ensemble (ce que nous pouvons faire en toute sécurité) tout en voyant, en entendant et en méditant les mots qui nous sont chantés. En réalité, certains d’entre nous (moi y compris) ont constaté que nous prêtons encore davantage d’attention aux mots que nous écoutons précisément parce que nous ne les chantons pas.
Un moment pour se former.
Ce n’est pas vraiment surprenant. La distraction sensorielle a toujours été l’un des dangers du chant, c’est pour cela que John Wesley donnait ce conseil aux croyants : « Prêtez rigoureusement attention au sens de ce que vous chantez, et assurez-vous que votre cœur ne soit pas emporté par le son (c-à-d. la musique) , mais qu’il soit continuellement offert à Dieu. » [5]
L’idéal est donc de s’investir, esprits, cœurs et voix en même temps. Mais, puisque ce n’est pour le moment pas possible, en ce qui concerne nos voix (du moins, pas de la façon dont nous aimerions, et pas quand nous sommes réunis non plus [6]), je suggère que nous considérions cette période comme un temps propice à la formation, un temps pendant lequel nous pourrions parfaire nos compétences musicales et méditatives (c’est-à-dire notre capacité à nous investir simultanément dans la musique et dans les paroles). De ce fait, lorsque nous pourrons à nouveau chanter ensemble, nous serons à plus forte raison capables de nous exprimer clairement et fidèlement par nos voix, capables de méditer d’une manière profonde, nos esprits unis et tout cela au même moment.
Impliquer nos corps.
Permettez-moi d’ajouter une dernière pensée : il y a quelque chose d’autre que vous pouvez apprendre à faire (ou à mieux faire) au cours de cette période. Apprenez à investir votre corps, d’une manière ou d’une autre. C’est comme cela que Dieu nous a créés. Écouter et jouer de la musique, des chansons est une expérience somatique. C’est pour cette raison que certains d’entre nous aiment bouger avec la musique ou tapoter en rythme sur nos jambes ou frapper des mains, joindre les mains ou les lever en l’air. De telles actions corporelles ne sont pas seulement parfaitement bibliques, mais, selon Jean Calvin, elles servent trois usages :
Apprenez à investir votre corps, d’une manière ou d’une autre. C’est comme cela que Dieu nous a créés.
Premièrement, nous pouvons utiliser tous nos membres pour glorifier et adorer Dieu. Deuxièmement, nous sommes, pour ainsi dire, comme secoués hors de notre paresse par ce biais. Et troisièmement, parce qu’au travers de la prière solennelle et publique, nous, les fils de Dieu, professons notre piété, nous nous enflammons mutuellement de révérence envers Dieu. [7]
En conclusion, dans cette période de restriction et de frustration, alors que nous suivons les conseils des autorités qui nous dirigent et restreignons notre liberté par amour pour nos prochains, ne gaspillons pas l’occasion de développer notre capacité à mobiliser nos oreilles pour écouter, nos esprits pour comprendre, nos émotions pour ressentir et notre corps pour bouger, lorsque nous tous ouvrons nos cœurs pour chanter ou fredonner à la gloire de Dieu et pour le bien de nos frères et sœurs en Christ, même si, pour l’instant, ils peuvent seulement nous voir mais pas nous entendre. Rappelez-vous : cette période actuelle n’est pas éternelle. Alors préparons-nous pour la période qui viendra !
[1] Robert S. Smith, « Come, Let Us Sing: A Call to Musical Reformation » (London: Latimer Trust, 2020).
[2] Steven R Guthrie, « Singing in the Body and in the Spirit », JETS 46/4 (December 2003), 644.
[3] Comprendre que les individus sont rassemblés, comme agglomérés, intégrés dans un même esprit à la même unité.
[4] Comprendre que les individus, en groupe, deviennent une unité dans un même esprit.
[5] John Wesley, « “Preface” to Select Hymns with Tunes Annext » (1761), otherwise known as Sacred Melody, exhortation VII.
[6] Au jour de la publication de cet article dans la langue d’origine, les rassemblements pouvaient être autorisés et le chant communautaire interdit.
[7] Jean Calvin, Calvin’s Commentaries: The Acts of the Apostles: 14-28, trans. John W Fraser (Grand Rapids: Eerdmans, 1973), 190.