Y a-t-il des contradictions dans la Bible ? Le débat fait rage entre ceux qui affirment en dénombrer parfois plusieurs centaines, et les chrétiens qui nient l’existence de la moindre contradiction dans le texte biblique. Le sujet est délicat, d’autant plus que ce qui est en jeu n’est ni plus ni moins que la fiabilité du texte biblique, et donc l’authenticité de la foi chrétienne. Mais alors que la mauvaise foi prend trop souvent la part belle dans ce genre de débat, je vous propose ici de considérer dans un premier temps quelques principes élémentaires à garder à l’esprit lorsqu’on se trouve confronté à une « contradiction » biblique.
Transcription
La Bible contient-elle des contradictions ? A en croire certains sites internet, la Bible en cumulerait même des centaines ! A l’inverse, les croyants affirment que la Bible est dénuée de la moindre contradiction, et on peut trouver là aussi plusieurs sites internet qui s’évertuent à répondre à chacune des accusations de contradictions des premiers sites. Le thème des contradictions dans la Bible est ainsi sujet à débat, et c’est tout à fait compréhensible au regard de l’enjeu ! Car finalement, ce qui se joue n’est ni plus ni moins que la fiabilité du texte biblique, et donc la véracité du christianisme. Si la Bible se contredit, alors elle ne peut être considérée comme parole infaillible du Dieu omniscient, et le christianisme s’effondre. Il s’agit donc d’un sujet sérieux, qui déchaîne parfois les passions, mais qu’il convient justement de traiter avec tout le sérieux qu’il exige, car la mauvaise foi est malheureusement souvent de la partie dans ce genre de débat.
Parmi les contradictions que l’on peut penser trouver dans le texte biblique, il y a ce qu’on peut nommer les « contradictions externes ». J’entends par-là les contradictions entre ce que le texte biblique affirme d’une part, et ce que les sciences, naturelles ou historiques par exemple, affirment d’autre part. Un exemple bien connu serait celui du récit de la création en Genèse 1, qui décrirait une création en 6 jours, laquelle viendrait contredire directement le modèle quasi unanime de la théorie de l’évolution, pour ne citer que celui-là. Un autre exemple, historique cette fois, pourrait être celui du récit de l’exode, qui peut sembler difficile à documenter historiquement. Je ne m’attarde pas sur ces contradictions externes, lesquelles résultent bien souvent d’un conflit entre une lecture particulière du texte biblique, et/ou une interprétation particulière des données scientifiques, qui sont, l’une comme l’autre, faillibles. Si ces sujets vous intéressent, je vous invite à consulter les émissions déjà produites sur la question de la création en 6 jours, du déluge ou de la théorie de l’évolution, et plus largement la playlist « création, science et foi ». Pour ce qui est de l’exode, une émission y sera consacrée dans le futur.
Ce qui va surtout nous intéresser dans le cadre de cette émission, ce sont les contradictions internes au texte biblique. Les passages où la même Bible semble affirmer une chose en un endroit, puis son contraire ailleurs. C’est surtout là que le problème de la fiabilité du texte biblique se joue. Pour savoir comment traiter ces contradictions apparentes, il convient d’avoir quelques éléments importants à l’esprit.
La première chose à avoir en tête, c’est la nature du texte biblique. Le chrétien affirme effectivement que la Bible est la parole de Dieu, et donc qu’elle ne peut contenir d’erreurs ou de contradictions. La Bible elle-même l’affirme : Dieu ne ment point (Tite 1.2 ; Hé 6.17-18) et sa parole est la vérité (Ps 119.160 ; Jn 17.17). On ne saurait donc y trouver de contradictions. Mais attention, les chrétiens attribuent cette inerrance, c’est-à-dire l’impossibilité de se tromper en quoi que ce soit, aux textes originaux, donc aux premiers manuscrits hébreux, araméens et grecs, qui ne sont pas en notre possession. Le chrétien n’affirme pas que l’on ne peut trouver aucune erreur dans les copies de ces manuscrits, ni dans nos traductions actuelles. Ainsi, les théologiens distinguent les autographa, les écrits originaux, des apographa, les copies de ces écrits. Est-ce que cela signifie pour autant que nos Bibles et nos traductions ne sont pas fiables ? Absolument pas, et cela pour deux raisons : une première raison théologique : Dieu, dans sa parole, a affirmé qu’il préserverait sa parole, qu’il en prendrait soin, et donc que nous pourrons toujours nous y fier (Mt 5.18 ; 24.35 ; Jn 10.35). La deuxième raison est que Dieu a justement permis que nous ayons à disposition suffisamment de manuscrits, et même un très grand nombre de manuscrits, parfois très anciens et donc très proches des originaux, pour pouvoir nous approcher au maximum du texte original. Nous sommes ainsi en mesure d’identifier les quelques passages où des questions subsistent, lesquels concernent d’ailleurs des points majoritairement secondaires. Tout cela témoigne de la fiabilité du texte en notre possession. Je vous renvoie là à nos émissions sur la fiabilité de l’Ancien et du Nouveau Testament. Ainsi, par exemple, les différences entre les textes de Samuel 10.18, qui dénombre 700 chars et 40 000 cavaliers tués par David, et de
1 Chroniques 19.18, qui en dénombre 7 000 chars et 40 000 cavaliers, s’expliquent simplement par une erreur de copiste, laquelle ne consiste qu’en l’ajout ou l’omission d’une unique lettre.
Une deuxième chose qu’il nous faut préciser, est que la Bible se veut effectivement divinement inspirée, en toutes ses parties, et donc 100 % parole de Dieu, mais d’une inspiration qui s’incarne, qui prend pleinement forme humaine en ce qu’elle respecte entièrement la personnalité des auteurs humains, leur contexte culturel, linguistique, littéraire, etc. L’inspiration biblique n’est pas celle d’une dictée mot à mot, comme le serait le Coran par exemple, mais résulte d’un processus plus complexe de « spiration » au cours duquel Dieu donne aux écrivains bibliques de transcrire fidèlement sa parole, jusque dans les termes mêmes qui sont employés, mais dans le respect de l’humanité de l’auteur, dans un contexte historique précis, dans une culture donnée, et tout cela transparaît dans le texte biblique, on y retrouve la patte d’un Jean ou d’un Paul, qui n’écrivent pas de la même façon. Ainsi, la Bible se veut pleinement divine, et pleinement humaine, ce qui n’est pas sans rappeler son personnage central d’ailleurs ! Lorsque nous croyons discerner une contradiction dans le texte biblique, il nous faut donc bien avoir en tête qu’elle est à lire en prenant en compte les différents contextes : historique, littéraire, culturel, théologique, etc.
Et justement, prendre en compte le contexte suffit bien souvent à lever ladite contradiction. Pour prendre un exemple emblématique, bien qu’un peu caricatural, on pourrait penser trouver une contradiction dans le Psaume 14, au verset 1, où il est écrit, je cite « Il n’y a pas de Dieu ». Voilà en effet qui semble contradictoire avec le reste de l’enseignement biblique, qui témoigne bien de l’existence de Dieu. Mais si on lit simplement les mots qui précèdent, on s’aperçoit qu’il ne s’agit pas d’une affirmation de Dieu ou d’un prophète, mais d’un insensé. Le verset dit en effet : « L’insensé dit en son cœur : Il n’y a pas de Dieu », ce qui ne contredit en rien le reste du texte biblique, bien au contraire. Le contexte est bien souvent la clé pour lever les apparentes contradictions entre deux passages.
Pour finir, le théologien Norman Geisler, dans un article sur les prétendues erreurs dans la Bible, établit une liste de quelques principes de lecture à appliquer face à une contradiction biblique apparente. Je vous propose de compléter mon précédent propos par quelques éléments de cette liste qui me paraissent particulièrement pertinent.
Tout d’abord, je le répète, le chrétien professe l’infaillibilité de la Bible, et nous l’avons vu, dans ses manuscrits originaux, et non l’infaillibilité des interprétations humaines de la Bible.
Deuxièmement, face à deux versets qui semblent contradictoires, il nous faut toujours, dans la mesure du possible, interpréter le passage le plus difficile par le passage le plus clair, ou le plus établi.
Troisièmement, tenant compte du caractère humain et contextuel de la Bible, il nous faut maintenir la différence entre ce qui est vrai et ce qui est exhaustif. Ce qui est exhaustif est vrai, mais ce qui est vrai n’est pas forcément exhaustif. Prenons l’exemple de la confession de Pierre face à Jésus : Matthieu la rapporte ainsi : « Simon Pierre répondit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » (Mt 16.16), tandis que Marc écrit : « Pierre lui répondit : Tu es le Christ. » (Mc 8.29), alors que Luc écrit : « Pierre répondit : Le Christ de Dieu. » (Lc 9.20). Aucun des trois évangélistes ne rapporte exactement les mêmes propos, tout simplement peut-être parce qu’aucun ne rapporte les propos de Pierre strictement mot à mot, en ce sens, ils ne sont pas exhaustifs. Pour autant, rapportent-ils tous bien la même chose ? Assurément ! Et certainement que face à ces trois compte-rendu de la confession de Pierre, Pierre lui-même reconnaîtrait que c’est bien là ce qu’il a dit. Encore une fois, le vrai n’est pas l’exhaustif.
Quatrièmement, le vrai n’est pas non plus toujours le précis. A nouveau, ce qui est précis est vrai, mais ce qui est vrai n’est pas forcément précis. Ainsi, par exemple, si j’ai une liste de 14 tâches à effectuer dans ma journée de travail, et que je dise à mon collègue que j’ai 36 choses à faire aujourd’hui, mon propos n’est pas précis, mais il n’en est pas moins vrai pour autant. Tout le monde comprend qu’ici le nombre « 36 » est une figure de style signifiant simplement « beaucoup ». Autre exemple, si je dis qu’il y a 400 000 habitants à Canberra, là encore je manque cruellement de précision, mais personne ne considérera que je sois en train de mentir ou de me tromper. Dans le texte biblique également, et particulièrement quand il est question de nombre, il nous faut tenir compte de la souplesse du langage, des effets de style, et ne pas confondre le vrai avec le précis.
Cinquièmement, il ne faut pas confondre l’inexpliqué et l’inexplicable. Certaines contradictions apparentes ne sont en fait pas des contradictions formelles, mais mettent deux affirmations en tension, qui semblent s’opposer l’une à l’autre. Toutefois, ce n’est pas parce que l’on ne sait pas expliquer cette tension qu’elle est absolument inexplicable. Norman Geisler prend ici l’exemple des avancées scientifiques, qui ont pu rendre explicable ce qui était auparavant inexpliqué. Mais si elles ont pu le faire, c’est parce qu’elles n’ont pas considéré l’inexpliqué comme absolument inexplicable. De la même façon, certains éléments du texte biblique demeurent relativement inexpliqués, ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils soient intrinsèquement inexplicables, et donc fondamentalement contradictoires. C’est ici aussi qu’il ne faut pas confondre la contradiction, et le paradoxe ou le mystère, mais ce sera là l’objet d’une prochaine émission !
Pour conclure, nous avons vu que, face à des contradictions apparentes dans la Bible, il faut nous souvenir que la Bible est divinement inspirée et infaillible dans ses manuscrits originaux, même si le texte en notre possession est des plus fiables, que la Bible est à la fois parole divine et parole humaine, et que donc la prise en compte des contextes est nécessaire à une bonne compréhension du texte. Nous avons vu également que les contradictions externes sont en réalité surtout les contradictions de lectures humaines de la Bible et du monde, et non forcément des contradictions directes de la Bible et du monde. Nous avons vu enfin qu’il nous faut interpréter le passage obscur par le passage clair, distinguer le vrai de l’exhaustif et du précis, et ne pas confondre l’inexpliqué et l’inexplicable.
Nathanaël Delforge est passionné de théologie et de philosophie, il est également le créateur et l’animateur de Kurious, une chaîne YouTube d’apologétique chrétienne. Professeur de mathématiques dans le secondaire, il poursuit des études de théologie en parallèle. Il est marié et père d’une petite fille.