L’inconfort de nos prières

Bien que certaines personnes persistent à la définir comme un simple monologue d’une âme en quête d’un espoir illusoire, la prière n’est pas cela. La prière s’inscrit avant tout dans un dialogue. Elle est « réponse » de l’âme humaine à la suite d’une parole divine. Un dialogue initié par Dieu au sein d’une alliance fondée sur la grâce offerte en Jésus-Christ… une alliance, elle aussi, ayant été initiée par Dieu.

Le croyant prie avant tout parce que Dieu s’est approché de lui et Lui a parlé au travers de Sa parole dans la puissance du Saint-Esprit. C’est parce que Dieu s’est approché avec puissance auprès du croyant que ce dernier, en retour, est engagé dans une communion alors caractérisée par la prière… une communion qui telle qu’elle l’est aujourd’hui, n’est alors que le prélude d’une réalité qui atteindra sa pleine consommation lorsque Christ reviendra.

Ainsi, lorsqu’il prie, le croyant ne cherche pas à « connecter » avec son Créateur, mais il désire vivre et s’épanouir dans cette communion, qui a déjà été initiée par Dieu, en « répondant » à la Parole de l’Évangile qui la fonde.

L’humiliation de la prière

Cela étant dit, nous nous devons de faire le constat que la prière n’est pas une chose aisée. Loin de là. La prière est ce mouvement de l’âme qui, dès que nous l’initions, nous met face à notre finitude, notre petitesse et notre dépendance. La prière nous rappelle que nous ne sommes que des créatures profondément dépendantes de notre Créateur.

La prière est ainsi inconfortable.

Elle nous rappelle que nous ne sommes pas en contrôle, mais que nous dépendons de celui qui contrôle l’univers.

Elle nous rappelle que Dieu seul est saint et que nous dépendons de l’exercice de son règne dans notre vie pour croître dans la sainteté.

Elle nous rappelle que nous dépendons de lui et de sa providence pour notre pain de chaque jour.

Elle nous rappelle que nous sommes pécheurs et que le « pardon » est non seulement nécessaire pour nous, mais il est aussi une réalité à pratiquer envers les autres.

Elle nous rappelle que face à l’ennemi de nos âmes, nous avons besoin de Dieu et de sa protection.

Mais elle nous rappelle aussi, et c’est ce sur quoi je désire consacrer le reste de notre réflexion, que seule, la volonté de Dieu compte… c’est la sienne, et non la nôtre, que nous désirons voir s’accomplir au sein de notre histoire.

L’ignorance de la prière

A l’image du Christ, nous demandons ainsi dans nos prières que la volonté de Dieu le Père soit faite… mais alors que faire de la multitude de nos demandes personnelles ?

Tout d’abord, il est certain que nous ne devons en aucun cas réduire l’exercice de la prière à la simple formulation de nos requêtes. En effet, comme nous le voyons avec profondeur dans le livre des psaumes, la prière est un bouquet multicoloré dans lequel s’entrelacent, entre autres, la reconnaissance de l’œuvre rédemptrice de Dieu en nous et autour de nous, la reconnaissance de l’exercice de la providence de Dieu dans chacune des plus petites circonstances de notre vie,  l’adoration de la sainteté et de la majesté de Dieu, la proclamation de ses promesses (promesses qui trouvent leur parfait accomplissement en Christ), les lamentations face à la souffrance, l’intercession pour une intervention divine, la confession de nos craintes, de nos angoisses, de nos inquiétudes, de notre peur et de notre péché …

Mais, en ce qui concerne nos requêtes, est-ce qu’il est légitime de « toutes » les apporter au Seigneur ?

En effet, si certaines de nos requêtes ne correspondent pas exactement à ce que Dieu veut… ne devrions-nous pas les taire avant même de les formuler dans la prière ? Ne devrions-nous pas justement déposer aux pieds du Seigneur uniquement les requêtes qui correspondent précisément aux choses que Dieu a décidé d’accomplir ? Et cela, sans douter que Dieu les accomplira. D’ailleurs, Jacques ne nous a-t-il pas enseigné que celui qui doute est semblable au flot de la mer, agité par le vent poussé de côté et d’autre (Jc 1.6) …. Est-ce cela que Dieu attend de nous lorsque nous lui adressons nos requêtes ?

Tout d’abord, il est important de noter que ce verset (Jc 1.6) a souvent été mal compris. En effet, beaucoup ont souvent utilisé ce texte, alors hors de son contexte, pour affirmer que lorsque nous demandons « une chose » au Seigneur, nous ne devrions jamais « douter » que Dieu va effectivement nous donner précisément cette « chose ». Pour ces personnes, l’absence de doute vis-à-vis de l’accomplissement de notre requête (et non vis-à-vis de la sagesse et de la souveraineté de Dieu) est la seule chose qui nous garantit le succès dans la prière.  Cependant, l’intention de l’auteur dans ce texte est tout autre. Au verset 5, Jacques parle de la grâce que nous avons de pouvoir nous approcher de Dieu dans la prière afin qu’il nous communique cette « sagesse » dont nous avons désespérément besoin. Et Jacques affirme sans ambiguïté que Dieu répondra favorablement à cette demande. Cependant, il se permet de rajouter un conseil très important. Il nous demande de faire une telle demande sans « douter ». Mais de quel « doute » parle-t-il ? Douter que c’est la « bonne chose » à demander ? Douter que Dieu soit « capable » de nous la donner ? Douter que Dieu « désire » nous la donner ?

Nous devons alors faire un choix à partir du contexte. N’ayant pas l’espace suffisant pour faire une exégèse approfondie, je me limiterai ici à quelques observations[1].

Au verset 8, Jacques décrit cet homme « doutant » comme un homme « irrésolu » et « inconstant » dans toutes ses voies. Or le terme grec traduit dans la version Second par le mot « irrésolu » pourrait aussi être décrit par le fait d’avoir un « cœur (âme) double » (d’où le fait d’être irrésolu). D’ailleurs, le danger d’avoir un « cœur double » est une chose que Jacques soulignera à nouveau à la fin de sa lettre en Jacques 4.8. Ensuite, dès le début du verset 6, Jacques souligne que la demande doit être faite « avec foi ». Contrairement aux interprétations hérétiques du Word of faith movement, la foi n’est pas ici la « conviction que Dieu va nous donner exactement ce que nous demandons » (voir d’ailleurs Jc 4.1-3). Mais la « foi » dont Jacques parle est bien plutôt la pleine confiance en Dieu et la pleine assurance en sa fidélité telle que Jacques le décrit au verset 5. La « foi » demandée en 1.6 ne correspond pas à une simple pensée positive triomphaliste. D’ailleurs, quelques versets plus tard, Jacques nous donnera une exposition magistrale de la « foi en action » (2.14-26).

Ainsi, le « doute », dont nous parle ici Jacques, ne consiste pas en l’hésitation de savoir si ce que nous demandons correspond à ce que Dieu a prévu d’accomplir dans notre vie (cela serait d’ailleurs invraisemblable dans le contexte d’une demande concernant notre besoin de sagesse !). Mais ce « doute » prohibé correspond bien plutôt à la triste manifestation du cœur irrésolu d’une personne qui remet en question la fidélité et la bonté de Dieu. Un cœur qui ne désire pas vraiment lui confier sa vie. C’est une personne inconstante car son cœur ne s’est pas fermement positionné vis-à-vis de la seigneurie du Christ. Jacques encourage les croyants à demander cette « sagesse » dont ils ont besoin sans avoir un cœur double, c’est-à-dire, en ayant un cœur résolument attaché à la seigneurie de Dieu et fermement convaincu de la fidélité et de l’intégrité de celui-ci. D’ailleurs, un « cœur double » peut souvent se manifester par le fait d’entretenir les désirs contradictoires. D’un côté, le désir de suivre Dieu dans la confiance totale, et de l’autre côté celui de satisfaire l’ensemble des appétits de notre chair. Ce n’est pas possible ! Un choix doit être fait !

« Prier » ne consiste pas à demander exclusivement ce que Dieu a décidé d’accomplir dans notre vie

Si nous appliquons Jc 1.5-6 à un contexte plus général, Jacques nous encourage donc, alors que nous demandons des choses à Dieu dans la prière, à avoir un cœur qui se confie en Dieu et qui se focalise de manière exclusive sur Lui. Cependant, il ne nous interdit pas d’hésiter ou de douter sur la légitimité de « nos » demandes vis-à-vis du plan de Dieu pour notre vie ou la vie de ceux pour qui nous prions. D’ailleurs, l’apôtre Paul ira même plus loin lorsqu’il affirmera en Rom 8.26 que « nous ne savons pas ce qu’il convient de demander. »

Nous devons ainsi le reconnaitre, « prier » ne consiste pas à demander exclusivement ce que Dieu a décidé d’accomplir dans notre vie, une décision qui fut prise au sein de Son conseil depuis toute éternité et qui nous est alors totalement inaccessible.

Lorsque nous prions… nous hésitons… nous ne savons pas… nous ignorons ce qu’il convient de demander… et ceci est vraiment inconfortable. D’autant plus inconfortable pour ceux d’entre nous à qui il a été enseigné pendant des années qu’une prière « puissante et agissante » se devait d’être une formulation exacte de la volonté de Dieu confessée avec autorité.

Non… la prière est inconfortable, elle nous humilie, car nous ne savons pas quoi demander.

Bien entendu, il existe des choses « évidentes » que nous reconnaissons comme illégitimes et irrecevables dans le domaine de la prière … nous savons qu’il est mal de demander la « mort » de celui qui nous a offensé… nous savons qu’il est mal de demander la richesse pour satisfaire notre convoitise. D’un autre côté, il y a des situations pour lesquelles nous savons exactement quoi demander, car ce sont des requêtes et des prières que nous trouvons clairement enseignées dans la Parole de Dieu (par exemple : Matthieu 6.5-14) : Grandir dans l’amour, la foi et l’espérance, être renouvelé dans l’esprit de notre intelligence, prier pour l’avancement de l’Évangile autour de nous, prier pour la paix et la joie en Christ alors que nous sommes dans l’épreuve, prier pour comprendre la Bible etc … .

La prière est inconfortable, elle nous humilie, car nous ne savons pas quoi demander.

L’ignorance dont je parle ici concerne des situations bien plus dures et difficiles… des choses qui, comme le souligne le contexte de Romains 8, ont souvent attrait à la souffrance au sein de ce monde brisé par le mal et le péché : Prier pour la guérison de « cette » personne… prier pour avoir « ce » nouvel emploi… prier pour que je puisse servir Dieu dans « ce » ministère… prier pour réussir « ce » concours d’entrée… prier pour la conversion de « cette » personne…. Nous nous devons de le reconnaître, pour ce genre de prières… nous ne savons pas ce qu’il convient exactement de demander.

Nous apprenons alors à prier dans l’inconfort de notre petitesse et de notre finitude. Nous apprenons à prier en nous réfugiant non pas dans la certitude de la future et nécessaire réalisation de ce que nous demandons (par rapport au plan divin), mais nous apprenons à prier en nous réfugiant dans la certitude de la bonté de la volonté souveraine de Dieu. De plus, nous apprenons aussi à réévaluer nos prières alors que Dieu nous parle au travers de Sa parole et qu’il nous instruit au travers de la direction providentielle de notre vie. Nous apprenons donc à accepter cet « inconfort » non comme un ennemi, mais comme une protection qui nous garde « humble » et « soumis » au dévoilement de la volonté de Dieu au sein de notre petite histoire.

La puissance de la prière[2]

Mais « inconfortable » ne veut pas dire « impuissante » au sein de la compréhension biblique de « la prière ». En effet, en Rom 8.18-27, l’apôtre Paul décrit différents types de soupirs et de gémissements qui caractérisent la création. L’un d’entre eux est le nôtre : nous soupirons après la rédemption de notre corps… ce corps si fragile et soumis à la corruption.

Or dans ce texte, Paul y affirme aussi une chose invraisemblable et tellement réconfortante : le Saint-Esprit « soupire » avec nous.

Quelques versets plus tôt, Paul avait établi le fait que nous, les croyants, pouvions crier « Abba, Père » envers Dieu parce que le Saint-Esprit était présent en nous et il était lui-même à l’origine de ce cri filial (cf. Gal 4.6). Et ici, en Rom 8.26-27, il souligne le fait que le Saint-Esprit s’exprime encore d’une autre manière au sein même de notre vie : il accompagne de « ses » soupirs « nos » soupirs.

Alors que nous ignorons ce qu’il convient de demander et que nous offrons des prières bien imparfaites qui ne sont que soupirs et gémissement verbalisés, le Saint-Esprit accompagne nos prières en intercédant lui-même, avec nous, par des soupirs qui ne sont pas articulés dans des constructions verbales. Dieu le Saint-Esprit œuvre en nous et au travers de nous, alors dans un ministère silencieux, en associant « ses » propres gémissements aux nôtres. Et parce que « ses » gémissements et « ses » soupirs sont accomplis par Dieu le Saint-Esprit selon la volonté de Dieu (Rom 8.27), nous sommes ainsi assurés du plein accomplissement de celles-ci.

Dieu, non seulement écoute et reçoit nos prières, mais aussi manifeste sa « force » par l’intercession parfaite du Saint-Esprit

C’est donc ici que réside la puissance de la prière… non pas en nous… mais dans le puissant ministère du Saint-Esprit qui nous accompagne, nous soutient et prie « avec » nous alors que nous répandons notre cœur devant le Seigneur. C’est alors que nous prions dans l’inconfort de notre « faiblesse », que Dieu, non seulement écoute et reçoit nos prières, mais aussi qu’il manifeste entre autres sa « force » par l’intercession parfaite du Saint-Esprit.

L’inconfort de nos prières est ainsi une bénédiction providentielle pour chacun d’entre nous, non seulement pour grandir dans la soumission à Dieu et dans l’humilité, mais aussi pour expérimenter le ministère puissant et silencieux du Saint-Esprit.

Embrasser notre inconfort

Notre dépendance et notre finitude font partie intégrante de notre état de créature humaine.

Lorsque nous prions, nous pouvons apprendre à « embrasser » avec joie notre dépendance et nos limites afin de nous réfugier dans la sagesse et la puissance souveraine de Dieu. Et ceci de la même manière que nos plus jeunes enfants ne voient pas leur petitesse comme un « handicap » mais bien plutôt comme une bonne chose lorsqu’ils se trouvent enveloppés par nos bras de parents.

Lorsque nous prions et que nous faisons nécessairement face à notre « fragilité » et à nos « souffrances »[3], réfugions-nous en Dieu en embrassant la promesse de la vie éternelle que Christ nous a acquise dans sa mort à la croix et dont nous en goûtons déjà les prémices dans notre union à Christ par la foi. En effet, les souffrances du temps présent ne sauraient être comparées à la gloire à venir qui sera révélée pour nous (Rom 8.18).

 

 

[1] Pour ceux qui désirent approfondir cela, je vous encourage à consulter l’excellent commentaire de Douglas D. Moo ou de C. Blomberg sur l’épitre de Jacques, ainsi qu’un article très intéressant sur l’usage du verbe « diakrino » (https://www.etsjets.org/files/JETS-PDFs/48/48-4/JETS_48-4_733-755.pdf).

[2] Je suis reconnaissant au Dr Cobb pour son excellent article sur le ministère du Saint-Esprit en Romains 8 qui a été révolutionnaire pour moi lors de mes études à la Faculté Jean Calvin : Donald COBB, L’Esprit intercède : Romains 8.26-27, La Revue Réformée, N°260, Novembre 2015. Les quelques lignes de ce paragraphe découlent de la réflexion présente dans son article.

[3] La « souffrance » constitue un autre « inconfort » à distinguer de notre « finitude » car il est une conséquence de la chute en Eden, alors que notre « finitude » est une caractéristique nécessaire de la créature humaine que nous sommes.