Alors que les 16-30 ans trinquent, offrons leur Christ

Au beau milieu de cette année 2021 marquée elle aussi par la pandémie de Covid-19, une étude Ipsos réalisée pour la compagnie d’assurance Macif, vient rediriger notre réflexion sur la situation fragile des jeunes adultes. Avec tous les débats actuels sur le pass sanitaire, sur la liberté individuelle et sur les droits de l’état à promouvoir une politique sanitaire que certains disent contraignante, il serait facile d’oublier que ces sujets ne sont pas les seuls d’importance. Les chrétiens pourraient être tentés de se concentrer exclusivement sur ces questions d’ordre éthique. Je ne veux pas minimiser ces derniers. Ces questions sont cruciales et exigent d’être posées, et débattues, sans que nous nous invectivions avec ces qualificatifs (Covidiot, antivax, etc.) disqualifiant d’office ceux qui sont d’une autre opinion. Il me semble cependant que nous oublions les implications de cette crise sanitaire, et les conséquences apologétiques de la pandémie de Covid-19. L’un des exemples de ces défis que nous sommes en danger d’oublier est résumé dans un sondage d’Ipsos d’avril 2021 portant sur « Les addictions et leurs conséquences chez les jeunes »[1].

Les statistiques

Les statistiques finales concernent aussi bien les substances dures que l’alcool. Ce dernier est la première substance consommée par les 16-30 ans : plus de 8 jeunes sur 10 disent consommer de l’alcool (84 %). En soi cela ne semble pas étonnant ou problématique. La fréquence de consommation est par-contre élevée : un sur deux dit boire régulièrement, et un tiers de façon hebdomadaire. Cela aussi ne suffit pas à nous inquiéter : un verre de vin par semaine ne serait a priori pas frappant si les conséquences de la consommation n’étaient pas, elles, très inquiétantes. Je me focaliserai sur les indications concernant la consommation d’alcool, substance la plus commune.

Car le plus sérieux, ce sont les conséquences de la consommation de substance et leur association. Ainsi, plus de la moitié des 16 à 30 ans ont déjà perdu le contrôle d’eux-mêmes  dans l’année écoulée, soit depuis la fin du premier confinement. Prenons mesure de ce chiffre : la moitié d’entre eux ont tellement abusé de ces substances, dont l’alcool, qu’ils n’étaient plus conscients de leurs gestes, et pas maîtres de leurs décisions. Ils n’étaient plus eux-mêmes, ils ne savaient plus ce qu’ils faisaient. Ce n’est pas rien comme observation. Pour des êtres humains, créés à l’image de Dieu, la perte de contrôle, c’est la perte symbolique de l’image de Dieu.

Un consommateur régulier d’alcool sur cinq dit même avoir « perdu le contrôle » au moins 10 fois dans l’année, soit presque une fois par mois. Certes, il ne s’agit pas de tous les 16-30 ans, mais nous parlons de quasiment 20% d’entre eux. Un 16-30 ans sur cinq perd le contrôle presque une fois par mois ! C’est énorme, et cela doit nous interroger. D’ailleurs le sondage remarque bien que « le cumul des substances que les jeunes consomment n’est pas un phénomène nouveau, mais l’ampleur du phénomène est frappante » (p. 3). Resterons-nous sourds à cet état des choses ?

Raisons et conséquences

Quelles sont les raisons qui poussent les 16-30 ans à consommer de telle manière ? L’étude évoque plusieurs raisons : « Les consommateurs d’alcool justifient avant tout leur consommation par l’envie de s’amuser (41 %) et le souhait de déstresser (33 %). Par ailleurs, un quart des jeunes interrogés déclare que cela leur permet de se sentir bien (26 %), raison encore plus prononcée chez les consommateurs quotidiens (38 %, contre 18 % des consommateurs non réguliers). » (p. 5) S’amuser, dépasser le stress, se sentir bien : je ne sais pas si ces désirs sont liés à la pandémie actuelle, mais il est bien difficile de ne pas y penser.

La consommation actuelle d’alcool chez les 16-30 ans est donc non seulement un défi personnel, mais plus encore un danger social dont ils sont les principales victimes.

Quant aux conséquences, elles sont plus tragiques encore. Une grande majorité des 16-30 ans sont conscients de l’impact que leur consommation d’alcool a sur leur vie quotidienne. Ils sont même tout à fait conscients, ce qui ne ralentit pas leur consommation. La moitié des consommateurs disent subir les conséquences suivantes :

La consommation actuelle d’alcool chez les 16-30 ans est donc non seulement un défi personnel, mais plus encore un danger social dont ils sont les principales victimes.

Les implications apologétiques

Les implications de cette étude pour nous, témoins de Jésus-Christ sont nombreuses. La première, c’est que la situation des 16-30 ans est réellement tragique, qu’ils en soient conscients ou non.  Leur perte de contrôle, implique une perte de conscience de qui ils sont. Les témoins que nous sommes doivent ainsi regagner une forte conviction anthropologique. La confession de l’être humain, créé en image de Dieu doit redevenir l’un des grands arguments de notre apologétique. Redevenir pleinement humain, être restaurés dans notre humanité, doit être un facteur de désirabilité de la foi chrétienne.

La seconde implication est que nous devons présenter à nouveau, de manière renouvelée et pertinente, la grande vocation qu’est celle de notre humanité. Vivre en Christ, vivre son amour, sa compassion, et sa générosité doivent être au cœur de notre quotidien. Nous devons présenter une autre raison et manière d’être : vivre en serviteurs, pour les autres et d’abord pour Christ. Les 16-30 ans cherchent une raison de vivre, ils sont en quête d’un sens qui les dépasse. Ne le trouvant pas, ils essaient de s’oublier eux-mêmes. Ils tentent de s’évader de leur propre personne, et de ce monde qui est leur prison.

Le philosophe réformé Jean Brun avait déjà évoqué cela dans plusieurs de ses livres et concluait que l’homme, épuisé par ses tentatives d’évasion « entendra la Voix lui disant le seul mot qu’il espérait du fond de sa prison : un mot que lui-même avait murmuré dans une pièce silencieuse mais qui, cette fois, s’adressera à lui comme l’appel suprême : Viens »[2]. Alors même que la pandémie n’est pas terminée, prenons conscience des enjeux qui nous entourent. Continuons de vivre cet appel divin auquel, par sa grâce, nous avons répondu, et qui est la seule espérance d’un monde errant.

[1]   Résultats complets disponibles sur http://presse.macif.fr/assets/synthese-barometre-macifipsos-addictions-2021-pdf-c0a2-821df.html, consulté le 2 août 2021.

[2]   Jean Brun, Les vagabonds de l’occident, Paris, Desclée de Brouwer, 1976, p. 218.